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Claude Couffon (Traducteur)
EAN : 9782020127042
287 pages
Seuil (20/02/1992)
4.12/5   8 notes
Résumé :
"Asturias inscrit son histoire dans la roche révulsée, dans l'encre corrosive, dans le flot tourmenté du baroque le plus échevelé et le plus séduisant." Albert Bensoussan, La Quinzaine littéraire

Dans le cadre féerique des Andes vertes, en Amérique centrale, une poignée de conquistadores quitte l'armée espagnole victorieuse pour se lancer dans une étrange aventure. Avides, comme tous leurs compagnons, de richesses et de titres royaux, ils veulent les ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai regretté de ne pouvoir lire ce texte dans sa langue d'origine. Car je crois vraiment que pour être encore plus envoûté par ce roman, mieux vaut dominer tous les jeux de langage qui y abondent. Et connaître les références culturelles ..
Mais tant pis, il suffit finalement de plonger dans le monde de la Cordillère des Andes vertes," là où tout le sol blessé perd son sang". Et surtout dans cette langue foisonnante, et d'accepter de s'y noyer un peu.

En fait, pour moi, il y a deux parties distinctes dans ce livre. La première est plus historique, celle de la conquête d'un territoire par ces fameux conquistadors , nommés ici les Teules. Mais d'emblée, un élément majeur, à chaque camp sa magie:

"Les Teules- yeux bleu clair, cheveux blonds, peau blanche- ont fait un mauvais calcul: l'hiver les a devancés. Les premières averses paralysent leur progression. L'eau les frappe, l'eau qu'ils ne voient pas, aveuglés par le brouillard; l'eau les frappe, l'eau qu'ils n'entendent pas, assourdis par l'altitude; l'eau les frappe, l'eau qu'ils ne sentent pas, tellement la pluie tombe sur eux. Ils combattent contre une armée de cristal qui dispose de la foudre, de l'éclair et du tonnerre, des arbres qui tombent, des pierres qui roulent, des étincelles et des serpents de feu. Une main osseuse, cubitière d'armure, sort des croix de l'air et se les plaque sur le visage. Une autre main osseuse, manche de bure, sort des croix de l'air et se les plaque sur le visage. Guerre de religion, non. Guerre de magie."

Et c'est cette même magie qui va manquer au chef des opposants Mam.. déjà là pointe l'ironie , aux croix brandies, prétexte des invasions espagnoles, Caibilbalàn, le Seigneur des Andes vertes, opposera sa raison..:

"Puissant Caibilbalàn, le valeureux guerrier de ta compagnie te répond! Salut, Seigneur de la Grande Forteresse! Sans la magie, la guerre perd son attrait et se réduit aux dimensions mesquines de l'exactitude: elle est le feu qui brûle, l'eau qui noie, la pierre qui écrase, le poison qui tue, l'obsidienne qui blesse comme blessent la flèche, la lance et la pique. Et sans les escadrons de guerriers chatoyants aux visages peints et aux parures de couleur, la guerre n'est plus qu'une chose confuse, grise, dépourvue de grâce et de beauté.
- Et ce qui nous a manqué pour triompher dans la dernière bataille contre les Teules.....
Toute puissance est magie! La magie c'est l'éclair qui ne se transforme pas en pierre d'aimant mais qui se change en chef , et alors, comment obéir à un chef qui ne croit pas qu'il est.... qu'il est le mage des tempêtes? Pourquoi lui obéir?"

Ces longs extraits, d'une part pour la beauté du texte lui-même, mais aussi pour la portée universelle qu'il a.

La deuxième partie, beaucoup plus longue, s'attache au chemin de quatre marginaux. Anti-héros par excellence, partis découvrir le fameux passage entre Atlantique et Pacifique, pour en tirer une gloire personnelle.
Et là débute aussi la fabuleuse histoire du Mauvais Larron.
Ce larron "mauvais" est un personnage très précis des Evangiles. Deux larrons sont crucifiés en même temps que Jésus. La Tradition les retient sous les noms de Gesmas ou Gestas pour le mauvais larron, et de Dismas (Saint Dismas, fêté le 25 mars) pour le bon larron.

"Comment les réchappés des galères auraient-ils pu ne pas adorer le Mauvais Larron? Et avec eux les fils qui n'oubliaient pas leurs pères brûlés sur le bûcher, les réconciliés et les apostats, les hérétiques, les non-baptisés, les judaïsants? Pourtant, en dehors de ces hommes de sac et de corde ou de ces sangs-impurs, les chrétiens aux idées larges préféraient eux aussi à la croix spirituelle la croix rebelle de l'impie. Moins d'anges et plus d'or! Moins d'indiens convertis et plus d'esclaves dans les mines! Moins de christs et plus de croix du Mauvais Larron , Seigneur de toute la création dans le monde de la cupidité, depuis que l'homme est homme!"

C'est long, je sais , mais c'est très difficile de parler de cet extraordinaire roman sans être long. Et encore, je vous épargne les écureuils, les tarentules, les coeurs de palmier et leurs conséquences digestives, les tigres et les guenons !
Pour m'attarder juste une minute sur ce fabuleux dialogue entre Lorenzo Ladrada, le sculpteur et sa créature, le Mauvais Larron, presque d'ordre métaphysique:

"On peut tout pardonner à l'homme , sauf ce que tu fais et qui consiste à dérober au coeur de celui qui attend quelque chose, oui, quelque chose, ce petit brin de possible... ou d'impossible, si tu préfères, car partout et à toute heure, quand on n'est pas de ton clan, quelque chose est sur le point d'arriver. Tu es le pire des voleurs! Va.. tu me fais souffrir... je ne veux pas te voir mourir sur une croix.. ils ne te pardonneront pas, tu leur as volé l'espérance.. va et dis-leur que si, tu crois au ciel, dis-leur que dans la mort tout ne finit pas, dis-leur que la matière est pétrie dans l'homme avec les forces divines qui composent l'âme, dis-leur qu'il n'est pas sûr que l'homme une fois disparu, une fois désintégré, rien ne lui survive!
Et, après un silence, l'esclave, couché sur le sol poursuit, sans ouvrir les yeux:
- Je pourrais t'éclairer sur d'autres points- c'est pour cela que tu m'as acheté- mais que peut t'apprendre d'utile, à toi qui n'as ni foi ni espérance, celui qui comme moi croit que l'âme retourne au tout et qu'elle reprend sa place dans le brasier des cieux?"

Et le mot de la fin ( pas du texte!)à Güinakil, l'Indien:

"- Il n'y aura pas d'autres fers ni d'autres croix ! Si la première, avec ce Dieu qui n'avait rien à voir avec les biens matériels et la richesse de ce monde, a coûté tant de fleuves de larmes, tant de mers de sang, tant de montagne d'or et de pierres précieuses, à quel prix nous aurait-il fallu contenter ce deuxième crucifié, bandit de grand chemin, pour lequel on doit profiter ici-bas de tout ce qui est à l'homme ? ...Si le Dieu de la première croix, le rêveur, le songe-creux, nous a valu la désolation, l'abandon, l'esclavage et la ruine, qu'aurions-nous pu attendre de ce deuxième crucifié, pratique, cynique et voleur ? Si, avec la première croix, celle du juste, tout ne fut que rapines, viols, bûchers et pendaisons, qu'aurions-nous pu attendre de la croix d'un hors-la-loi, d'un brigand ? ..."

Fresque épique, iconoclaste ,pleine d'une saine ironie, contenant de nombreux thèmes de réflexion..
Je redoutais un peu cette lecture, j'en suis sortie ravie..
Beaucoup de citations, mais l'auteur dit toujours beaucoup mieux que moi ce qu'il y a à dire..
Magnifique.






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Guatemala, 16ème siècle.
"- Chef ! Chef ! Les Espagnols sont là, il faut les harceler en faisant la guérilla dans la montagne !
- Non non, on va se battre comme une vraie armée.
- Mais chef, ils ont des fusils et nous des lances, ils vont nous mettre la misère !
- J'ai dit."
Voilà, en gros, l'action des soixante premières pages.
Bien évidemment, vous remplacerez à chaque fois "Chef" par : "Orgueilleux Guerrier Mam, Seigneur aux oreilles percées pour les émeraudes, Seigneur aux bras polis avec des feuilles de chêne pour les bracelets, Seigneur aux jambes fines de lévrier et aux pieds légers" et ainsi de suite pour chacun des termes, de façon à atteindre les soixante pages.
Arrivés là...
...les Mayas se sont fait ratatiner et se sont repliés dans leur forteresse des Andes vertes, et leur Seigneur devient une taupe.
La narration passe ensuite du côté des Espagnols. C'est un groupe - plutôt bigarré - d'Espagnols qui arpente l'Amérique centrale à la recherche du passage souterrain qui joindrait l'Atlantique au Pacifique : "Je vais mourir ici en cherchant l'endroit où la mer que nous avons traversée rejoint celle qui mène à la Chine. Ma théorie est qu'elles se rejoignent sous terre. Ce n'est pas un isthme qui sépare les deux mers, c'est un pont. Et quelque part, Pedro Paredes, l'eau passe sous ce pont."
Arrivés là...
... pour obtenir le troisième oeil, et même plus d'yeux que ça, deux des Espagnols se font piquer par une tarentule et sont saisis de convulsions, ce qui crée un parallèle avec les rites indiens contre les tremblements de terre - mais rend le voyage plus compliqué.
Arrivés là...
... les Espagnols vont "adorer le diable en la personne d'un larron" (celui du titre) et ils vont tenter de convertir les Indiens en construisant un temple dans la Vallée du Mauvais Larron.
Mais arrivés là...
... vous serez tombés sous le charme total de ce roman inclassable, mélange de roman historique, de poésie ("Les océans, ces grands animaux de cristal mousseux") et d'humour rabelaisien. Difficile d'y entrer, mais une fois dans le récit vous regretterez que leurs aventures se terminent déjà (avec une morale : vous risquez une fin atroce si vous partez conquérir des personnes qui n'ont rien demandé, et si vous mangez des coeurs de palmier la nuit.)
Traduction, un vrai tour de force, par Claude Couffon.
Challenge Globe-Trotter (Guatemala)
Challenge Nobel
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
C'est la première terre que le navigateur découvre de la mer du Sud. Il la contemple ébloui. Elle est le nuage terrestre où naît le maïs. Le premier grain de maïs qu'il y eut sur la terre.
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-- Tu avances avec ton armée vers la mort sur la tige d'un chemin qui est coupé un peu plus loin mais qui semble continuer sous un entassement de parapets de roseaux couverts de feuilles, de boue et de sable. Tu vas rouler avec tes hommes dans des ravins qui ont une profondeur de cauchemar, tandis que Caibilbalan, le Grand Mam, dirigera en personne l'attaque des roches qui dévalent et qui vous enterrera tous.
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- Mon fils est danseur, répond le vieux qui, même ainsi, la main collée au pavillon de l'oreille, n'a rien entendu. Il joue de la flûte et il danse. Parfois, il reste comme ça, les pieds en l'air. Mais il les remet sur terre car autrement il prendrait feu. Et puis il pèse moins lourd que nous. Il pèse à peu près autant que nous pensons. C'est un danseur, quoi !
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Seule la magie dénoue la réalité qui nous attache au peu que nous sommes, au peu que nous valons, au peu que nous pouvons,...
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Vidéo de Miguel Angel Asturias
Jacqueline Duhême Une vie (extraits) conversation avec Jacqueline Duhême à la Maison des artistes de Nogent-sur-Marne le 8 février 2020 et où il est notamment question d'une mère libraire à Neuilly, de Jacques Prévert et de Henri Matisse, de Paul Eluard et de Grain d'aile, de Maurice Girodias et d'Henri Miller, de Maurice Druon et de Miguel-Angel Asturias, de dessins, de reportages dessinés et de crobards, d'Hélène Lazareff et du journal Elle, de Jacqueline Laurent et de Jacqueline Kennedy, de Marie Cardinale et de Lucien Bodard, de Charles de Gaulle et du voyage du pape en Terre Sainte, de "Tistou les pouces verts" et de "Ma vie en crobards", de Pierre Marchand et des éditions Gallimard, d'amour et de rencontres -
"Ce que j'avais à faire, je l'ai fait de mon mieux. le reste est peu de chose." (Henri Matisse ). "Je ne sais en quel temps c'était, je confonds toujours l'enfance et l'Eden – comme je mêle la mort à la vie – un pont de douceur les relie." (Miguel Angel Asturias)
+ Lire la suite
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature espagnole et portugaise>Romans, contes, nouvelles (822)
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