J'ai été agréablement pris au piège par le premier thriller psychologique de
Suzanne Aubry. En première partie, le scénario imaginé par l'auteure de ce roman sur fond historique s'amorce dans les années 1930. On y fait entre autres la connaissance de la gouvernante Clémence Deschamps, originaire de Saint-Hermas, progressivement confrontée à quelques phénomènes s'apparentant à la littérature fantastique. Genre littéraire, soit dit en passant, dont je ne suis pas friand.
En deuxième et troisième partie, l'auteure nous ramène vingt ans en arrière dans le passé des principaux protagonistes pour camper les origines du sombre destin qui se trame dans cette famille outremontaise. Une centaine de pages qui mettent sur pause la montée dramatique amorcée précédemment. L'occasion de découvrir le profil psychologique de la brochette de personnages bien campés dans leurs rôles : les Valcourt, une famille bourgeoise dont les parents, Eugène et Ludivine, tiennent à la préservation de leur statut social, les jumelles inséparables Isabelle et Jeanne, M. Achille (Toussaint), le chauffeur-jardinier et homme à tout faire d'origine haïtienne et la cuisinière Mme Augusta entièrement dévoués envers leurs patrons – figures toutes fort sympathiques –, l'odieux Charles Levasseur que je vous laisse découvrir, Tristan, son fils somnambule et quelques personnages secondaires en soutien. Cette portion du roman dévoile la thématique du récit : la domination machiste, le désir de vengeance et l'impitoyable cruauté dont certains êtres déviants peuvent se nourrir. Avec comme décor cette étrange maison de la rue Querbes dont l'architecture contribue à entretenir le climat angoissant qui caractérise cette sordide histoire.
Les quatre dernières parties nous convient à une finale qui ne permet pas d'anticiper impossible à anticiper les événements tels que vécus par M. Achille, Mme Augusta, Jeanne Valcourt et Charles Levasseur. Quant au bref épilogue, il laisse présager que bien que « les fantômes n'existent pas »...
Ce roman au rythme relativement lent se caractérise par une écriture impeccable et une structure dramatique efficace. J'y ai appris qu'Outremont tire son nom de sa situation « outre le mont Royal ». J'ai aussi découvert le verbe « morigéner » peu utilisé dans les romans québécois.
J'ai noté au passage quelques extraits évocateurs :
« Un cri inhumain, ressemblant à celui d'un animal traqué, surgit de ses lèvres pâles. »
« Clémence observa l'immense édifice, avec les centaines de fenêtres qui luisaient comme les yeux d'un chat. »
« Une odeur pénétrante de détergent se mêlait à celle de la détresse humaine. »
« Jeanne avait gardé un souvenir ébloui d'un voyage en train à destination de New York qu'elle avait fait avec ses parents et Isabelle quelques années auparavant. Aussi, en voyant la gare Viger apparaître à distance à travers des filaments de brume, avec sa myriade de pignons et de tourelles, elle se rappela le compartiment tapissé de boiseries, dont les bancs se transformaient en couchettes, les grandes fenêtres garnies de rideaux de velours grenat, le paysage qui défilait à toute vitesse derrière les vitres, la voiture-restaurant, où se succédaient de petites tables nappées de blanc, avec chacune une lampe munie d'un abat-jour vert et d'une rose rouge placée dans un vase effilé. »
Quant au titre du roman, il s'explique ainsi :
« Pour leur sixième anniversaire de mariage, Charles lui avait offert de faire peindre son portrait par un jeune artiste, Vincent Gauthier - tout juste diplômé de la prestigieuse École des Beaux-Arts -, qu'un collègue lui avait suggéré. ‘' Toutes les bonnes familles commandent ce genre de portraits, c'est très à la mode ‘', lui avait-il affirmé. »
Suzanne Aubry nous livre une description de l'Asile Saint-Jean-de-Dieu complémentaire à celle de
Jean Charbonneau dans son roman
Tout homme rêve d'être un gangster à la même époque. le retour soudain à la « réalité » d'Isabelle Valcourt m'a paru plutôt précipité. Mais bon, on est au coeur d'une fiction !
Il est aussi intéressant de noter que certains personnages de l'auteure qui fut présidente de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) de 2017 à 2023 s'évadent par la lecture : Clémence Deschamps avec Filles de Chouans (Delly) et
le Père Goriot (
Honoré de Balzac) ; Jeanne Valcourt avec Les Pardaillan (Michel Zécaco) ; Tristan Levasseur avec
Sans famille (
Hector Malot) et le Tour du monde en quatre-vingt jours (
Jules Verne).
Une belle découverte que ce quinzième roman de
Suzanne Aubry qui, en 1994, avait fait une incursion dans le genre thriller en tant que coscénariste du film Meurtre en musique (d'après le roman Meurtre en 45 tours de
Boileau-Narcejac) réalisé par
Gabriel Pelletier et mettant en vedette, entre autres, Joe Bocan, Serge Dupire, Yves Jacques, Claude Léveillé et
Marcel Sabourin :
« le couple formé par Ève, une célèbre chanteuse et Alex, auteur compositeur, se désagrège. Ève est amoureuse de Jean son pianiste. Alex, ivre d'alcool et de jalousie, surprend les amants. Au cours de la rixe qui s'ensuit, Jean tue Alex. Ève et son amant maquillent le crime en accident. Peu après, ils reçoivent une cassette avec la voix du mort... »
Merci aux éditions Libre Expression pour le service de presse.
Originalité/Choix du sujet : *****
Qualité littéraire : *****
Intrigue : ****
Psychologie des personnages : *****
Intérêt/Émotion ressentie : ****
Appréciation générale : ****
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