J'étais très motivée pour lire le dernier roman de
Michèle Audin «
Comme une rivière bleue», traitant d'une période historique qui m'intéresse particulièrement : la commune de Paris. J'avoue que j'ai eu une drôle d'expérience de lectrice passant de paragraphes passionnants à de longues énumérations ennuyantes.
L'histoire est centrée sur une courte période, entre mars et mai 1871. le parti pris de
Michèle Audin est de raconter la vie de gens qui ont vécu la commune de Paris de l'intérieur, des anonymes pour la plupart, c'est-à-dire d'adopter un point de vu sociologique pour présenter des évènements politiques qui ont marqués l'historique de France.
Je trouve l'idée très bonne et plutôt originale mais le résultat n'est pas totalement convainquant.
D'abord parce que le (très beau) titre fait référence à un homme célèbre et pas à un homme de la rue. Il s'agit de
Jules Valles, fondateur du journal le Cri du Peuple. En 1871, il fait partie des élus de la Commune de Paris et appartient à la minorité au conseil de la Commune opposée à la dictature d'un comité de Salut public.
Il écrit dans son roman autobiographique « L'Insurgé » à propos du 26 mars 1971 : « Quelle journée ! Ce soleil tiède et clair qui dore la gueule des canons, cette odeur de bouquets, le frisson des drapeaux, le murmure de cette révolution qui passe, tranquille et belle
comme une rivière bleue ; ces tressaillements, ces lueurs, ces fanfares de cuivre, ces reflets de bronze, ces flambées d'espoir, ce parfum d'honneur, il y a là de quoi griser d'orgueil et de joie l'armée victorieuse des républicains. »
Alors que Vallès est mis en avant, comme Charles Longuet,
Auguste Blanqui, Edouard Vaillant,
Martin Nadaud, Elie et Elysée Reclus,
Pierre Leroux et surtout Lissagaray, grand témoin de cette période, les femmes célèbres comme
Louise Michel sont à peine évoquées. Pourtant,
Louise Michel est une des figures majeures de la Commune de Paris, d'autant plus qu'elle collabore à des journaux d'opposition comme le Cri du peuple de Vallès. Et dans ce livre, les journaux ont beaucoup d'importance. Car c'est à partir du siège du Journal Officiel, quai
Voltaire, et des réunions de la rédaction, mais aussi des passages impromptus de ceux qui rédigent des articles, comme Paul, que vont se tramer les faits et les préoccupations des parisiens. C'est Charles Linguet, socialiste et homme de culture qui dirige le journal. Il est intéressant de savoir comment ils s'y prennent pour diffuser des informations et évoquer des questions essentielles comme, par exemple, la science pour tous et la nécessité de la science pour l'éducation du peuple.
Si les journalistes ont autant d'importance c'est parce que
Michèle Audin s'est beaucoup documentée en consultant les journaux de l'époque à la bibliothèque.
D'ailleurs, elle le raconte. Enfin, pas elle mais le narrateur qui décrit sa démarche et ses recherches dans le but d'écrire ce livre. Il y a donc une alternance entre le présent et le passé. Je ne dis pas que c'est mal, au contraire, mais je me demande pourquoi elle parle au masculin. C'est bizarre et ça n'apporte rien, comme les messages d'inconnus reçus et classés dans une boîte spams-poèmes.
Ce qui compte surtout, ce sont les lieux. Là j'ai beaucoup aimé retrouver des endroits connus marqués par l'histoire et qui symbolisent la lutte pour la liberté, comme le mur des fédérés, l'École Turgot, le square Severine, le Moulin de Saquet à Vitry-sur-Seine et puis les quartiers comme Belleville évoqué par Goncourt qui parle « d'un quartier qui a l'apparence d'un quartier vaincu mais non soumis ». D'ailleurs, le narrateur fait une visite virtuelle de Paris avec Lissagaray où chaque rue est un point d'étape. Car
Prosper-Olivier Lissagaray était un journaliste républicain et socialiste connu pour l'enquête qu'il a mené avec acharnement sur l'
Histoire de la Commune de 1871. Il recueillit ainsi des témoignages auprès de tous les survivants dans l'exil, à Londres, en Suisse et consulta tous les documents alors disponibles à l'époque.
L'auteur nous emmène aussi déambuler dans les rues du Paris actuel en suivant l'itinéraire des vestiges des fortifications.
Il faut dire qu'il y a un énorme travail de recherche et j'en suis assez admirative. Malheureusement, les énumérations sont trop longues, comme si il était indispensable de restituer toutes les informations recueillies. La description heure par heure quand les versaillais attaquent en mai 1871, la liste interminable des victimes et martyrs, par exemple, donne un côté documentaire à ce livre pourtant présenté comme un roman.
Ces descriptions à n'en plus finir de personnes noyées dans la masse sont pour moi plutôt contre-productives bien que
Michèle Audin sait aussi rappeler les moments de fête et les bals organisés à une époque pleine d'espérance pour un avenir meilleur.
Ce livre m'a été offert par les éditions Gallimard dans le cadre d'une opération masse critique et je les remercie de tout coeur.