« Si tu veux un monde juste, il faudra en trouver un autre. »
Les premières pages donnent le cap à tenir « ..., j'ai pensé trouver de quoi tenir en me tournant vers ce que peut la littérature contre ce qui entrave, au-delà de ces semaines confinées, en revenant à cette croyance ténue mais entière en une capacité des phrases à changer quelque chose au réel, par l'entremise de ceux qui lisent. » (page 10), quelques phares baliseront le parcours : Syriens et Syriennes martyrisé.es, mère hospitalisée en fin de vie ; on tangentera des continents : l'Europe, la complexité, l'universel (notion aussi indéfinie que celle de diversité, car en l'absence d'énumération des « valeurs universelles » que signifie universel ; le dernier chapitre du livre s'intitule « réarmer les mots », étrange d'utiliser ce vocable guerrier « réarmer », il se passe décidément quelque chose du côté du vocabulaire) ; pour cette croisière, assez courte, un seul mets, des citations sur une immense table où l'on peut aller se resservir à volonté de
Proust,
Duras, Arendt, Ernaux, etc.
Ce texte, mélange du récit de la fin de vie de sa mère innommée dont on finit par savoir qui elle était - comme F d'ailleurs -, des hésitations à écrire ce texte, de rappels sur Razan Zaitouneh objet d'un précédent livre et de réflexions sur les pouvoirs de la littérature n'est pas désagréable à lire mais un tantinet lourd et redondant.
Justine Augier, n'impose pas de point de vue. le titre « Croire » ainsi que « croyance » (utilisé de nombreuses fois) et « foi » (une seule fois dans le texte me semble-t-il, page 10) montrent que ce récit reste un essai sur la littérature, que les pouvoirs de celle-ci sont une croyance, pas une vérité absolue, pouvoirs qu'il faut plausiblement relativiser : en 2023 les français lisent en moyenne 41 minutes (les romans et essais sont loin du podium sauf la catégorie floue « autres genres de romans » pour les femmes ; source : baromètre bisannuel, Les Français et la Lecture, du CNL, disponible sur Internet) pour 3 heures et 14 minutes d'écran (hors livre numérique). Espérer que le réel, tel que l'imagine (le réel comme l'universel n'étant pas défini dans ce texte, parle-t-elle du réel comme Patrick Pouyanné le 30 août 2023, lors d'un débat à l'université d'été du Medef avec le climatologue
Jean Jouzel : « Je respecte l'avis des scientifiques, mais il y a la vie réelle. »)
Justine Augier, change par l'entremise de ceux qui lisent relève probablement de l'utopie sauf à considérer que les « Livres pratiques, arts de vivre et loisirs », les plus lus par les français.es aujourd'hui, possèdent, en plus du pouvoir de changer la couleur du mur du fond et l'agencement du jardinet, le pouvoir de bousculer le Monde dans la direction souhaitée, souhaitable, par l'autrice. N'oublions pas que certains génocidaires rwandais et des commandants d'einsatzgruppen étaient loin d'être analphabètes. N'oublions pas que foi et croyance s'accompagnent souvent d'une certaine radicalité, d'une difficulté à appréhender le « réel » autrement que par le prisme de sa croyance, sa foi.
« Cette idée d'un moment crucial que l'on pourrait manquer et ne pas réussir à identifier continue de me travailler, tandis que les dangers ne cessent de monter [quels dangers ?, il faut parfois sortir de l'implicite convenu] - à quel moment devient-il impératif de rompre avec l'engourdissement ? Et cette idée que l'on pourrait même souhaiter qu'il soit trop tard, pour ne pas avoir à affronter ses responsabilités. » (page 40), évoque le problème des signaux faibles et de leur détection ou bien celui du bruit des pantoufles bien plus problématique que celui des bottes ou bien le nous-n'avons-pas-voulu-cela-mais-avons-accepté-tout-ce-qui-précède.
Tanguy Viel avec Iceberg,
Annie Ernaux avec l'Écriture comme un couteau,
Sophie Divry avec
Rouvrir le roman,
Marie-Hélène Lafon avec
Chantiers m'ont plus fait réfléchir sur la littérature que ce « récit » de
Justine Augier. Et si la littérature avait le pouvoir de nous permettre de faire un pas de côté pour mieux cerner le réel, le voir avec un angle légèrement différent que quand on y patauge ?