Balzac est un massif littéraire de haute altitude et le Père Goriot en est une des dents les plus acérées. Ce pauvre père, passé à la moulinette des fiches de lectures, soumis à la férocité ou à l'enthousiasme des analyses littéraires, critiqué un nombre incalculable de fois – Jean-Joachim Goriot dévoré par, et victime de l'amour quasi incestueux qu'il porte à ses filles – a-t-il encore besoin d'un énième avis ? Mais après tout, je suis lectrice et membre d'une communauté de lecteurs, alors, voici l'angle sous lequel j'ai relu le Père Goriot.
Dans la cours des grands, Zola reste, à mon sens, plus visionnaire que Balzac sur les bouleversements de la société du 19ème siècle, induits notamment par le capitalisme et la bourse. Zola lui-même délimite précisément leurs terrains de jeux respectifs, à Balzac et à lui : "Les bases de la Comédie sont le catholicisme, l'enseignement par des corps religieux, principe monarchique. [...] Mon oeuvre sera moins sociale que scientifique. En un mot, son oeuvre veut être le miroir de la société contemporaine. Mon oeuvre, à moi, sera tout autre chose. le cadre en sera plus restreint, je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifié par les milieux." (Zola, Différences entre Balzac et moi, 1869). Il est pourtant un sujet toujours d'actualité et toujours conflictuel, l'homosexualité, qui fut évoqué par les deux écrivains et notamment par Balzac. Certes, il faut lire entre les lignes : l'intransigeance, le respect des convenances, la condamnation morale à l'égard de toute déviance est alors extrême et comme à chaque fois qu'une forme de censure s'exerce, écrivains et artistes s'ingénient à coder leurs oeuvres, à pratiquer le déplacement dans un milieu autre que celui de la classe bien pensante.
Dans le Père Goriot, apparaît un personnage inquiétant et suborneur – que l'on retrouvera au fil de la Comédie – Vautrin, bagnard évadé, qui jette sa griffe sur l'ambitieux Rastignac. Celui-ci, effrayé, lui échappera, mais Vautrin aura eu le temps de lui inoculer le germe de l'arrivisme.
En conclusion ? Un grand moment de lecture, un plaisir toujours renouvelé, une écriture incisive et moderne, à lire à (presque) tout âge.
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