Petit Rappel Historique :
Dès que la nouvelle s'est répandue en Occident de la sortie prochaine de la flotte turque, le pape Pie V a décidé que c'était la bonne occasion de réaliser un projet dont il rêvait depuis longtemps : l'union des puissances chrétiennes pour affronter les infidèles en mer avec forces écrasantes et mettre fin une fois pour toutes à la menace qui pèse sur le christianisme.
Lorsqu'il devint de plus en plus évident que la tempête était destinée à débarquer sur Chypre, le vieil inquisiteur devenu pontife, avide persécuteur des juifs et des hérétiques, voulut hâter les temps.
Nous sommes au printemps 1570. Un an et un demi plus tard, le 7 octobre 1571, l'Europe chrétienne inflige une défaite catastrophique aux Turcs.
Mais la vraie victoire catholique n'est pas célébrée sur le champ de bataille ni mesurée en terres conquises. L'importance de Lépante réside dans son énorme impact émotionnel lorsque, dans un flot de livres instantanés, de rapports, de souvenirs, de prières, de poèmes et de gravures, sa renommée submerge tous les coins de l'Europe.
Ce livre n'est pas la énième histoire de ce jour. C'est une tapisserie de l'année et demie qui l'a précédé. Son intrigue est faite des états d'âme, des entrelacs diplomatiques, des chansons chantées par les armées, des préjugés qui alimentaient les deux camps, de la technologie de la guerre, de ce que les Turcs pensaient des chrétiens et vice versa.
Cet essai est colossal dans tous les sens du terme, très documenté, je n'ose imaginer le temps passé à recueillir et agréger les différentes sources.
Alessandro Barbero est très attentif à ne pas tomber dans les lieux communs, regardant les faits à l'aide des chiffres et force d'analyse, apportant les réponses les plus logiques et cohérentes aux doutes que des moments historiques importants et souvent, pour des raisons de propagande ou de négligence, très confus, ont toujours emportés avec eux.
La bataille de Lépante reste l'un des affrontements militaires les plus célèbres de l'histoire, entré directement dans la légende comme d'autres affrontements tout aussi célèbres tels que Marathon, Cannes, Austerlitz.
Célèbre, aussi parce que ce fut probablement la bataille navale la plus gigantesque de l'histoire, qui s'est curieusement déroulée exactement dans le même détroit (un peu plus au sud) que l'autre grande bataille navale en Méditerranée qui est entrée dans l'histoire, Actium.
La gloire était-elle méritée ?
D'un point de vue politique et stratégique, probablement pas : les vainqueurs ne parvinrent en aucun cas à tirer des avantages territoriaux ou tactiques de la victoire, les Vénitiens perdirent de toute façon Chypre (dont l'invasion par la partie ottomane avait été l'événement déclencheur qui avait conduit à la guerre, puis à la bataille), les Turcs parviennent en 1572 à mettre à l'eau une flotte presque égale à celle de Lépante (même si elle était de piètre qualité).
D'un point de vue militaire, Lépante marque plutôt un tournant : elle montre à toutes les marines du monde comment la supériorité de l'artillerie embarquée (y compris les arquebuses) donne un avantage incalculable à ceux qui la possèdent.
L'évolution déjà en cours, notamment dans les marines de l'Atlantique, pour construire des voiliers toujours plus gros et de plus en plus équipés de canons, va bientôt mettre au grenier les vieilles et glorieuses galères - sauf en Méditerranée - et tous leurs défauts : fragilité excessive ;
le très faible tirant d'eau, qui impliquait d'énormes difficultés à les maintenir dans une mer agitée;
le besoin d'une grande quantité de main-d'oeuvre pour ramer;
l'espace très limité à bord.
Les Vénitiens, comme d'autre part les Turcs, seront à la traîne sur cet aspect (et les effets se feront sentir à la fin du XVIIe siècle, lorsque la Méditerranée sera colonisée par les agiles et très puissants navires anglais, français et hollandais ).
Enfin, Lépante est avant tout une victoire de propagande, que les Occidentaux savent exploiter pleinement grâce à la "littérature post bataille" , donnant l'impression d'un tournant historique (qu'il y a eu, mais pas à cause de la bataille, mais plutôt du fossé technologique entre l'Europe et l'Empire ottoman en cours et en expansion continue).
Il est surprenant, surtout à la suite de ce mythe que la propagande occidentale a construit si efficacement, de considérer Lépante comme une victoire quasi mathématique : la supériorité numérique en termes de galères et, surtout, d'artillerie (écrasante) qu'elle ne pouvait que conduire à la victoire de la flotte de la Ligue.
Le mythe de l'invincibilité turque était souvent astucieusement gonflé pour cacher les inefficacités des Occidentaux, ainsi que les jalousies vénielles et les intérêts commerciaux qui avaient avec une énorme crédulité ouvert les portes de la Méditerranée aux Ottomans.
Même à Lépante, la rivalité féroce entre les Espagnols (et les Génois, vassaux du roi catholique) et les Vénitiens avait failli faire sauter l'alliance, et tant le résultat de la campagne désastreuse de l'année précédente que la perte de Chypre avaient été le résultat d'une part du manque de collaboration entre les puissances occidentales et d'autre part des inefficacités démontrées d'un point de vue logistique et militaire.
Certes, l'Empire ottoman avait confirmé dans la guerre une efficacité inconnue des Occidentaux, la même qui lui avait permis d'infliger défaite sur défaite au siècle dernier aux armées et flottes européennes, et qui venait des grandes ressources matérielles de l'empire, de la méritocratie substantielle qui y régnait (qui permit au fils de berger de devenir grand vizir, chose incompréhensible pour un Européen gentleman de l'époque) et par la technologie de la guerre, domaine dans lequel les Turcs au moins jusqu'au XVIe siècle étaient à l'avant-garde.
Il n'en reste pas moins que l'alliance des principaux États européens aurait sanctionné l'inévitable défaite du Grand Turc, ici comme avant et à l'avenir : les États européens réunis sous un commandement unique étaient essentiellement invincibles.
En tout cas, il n'en demeure pas moins que la bataille fut une défaite catastrophique pour les Turcs, anéantissant complètement la flotte, dont la Ligue (et en particulier Venise, la plus intéressée par ce qui se passait dans les eaux du Levant) n'a pu tirer profit puisque la saison était désormais trop avancée, ayant même réussi à combattre en octobre en raison des retards monstrueux dans la préparation de la flotte alliée : mais peu de choses auraient changé.
Le XVIe siècle est le siècle où le monde commence à changer. Les puissances méditerranéennes, exclues des grands circuits commerciaux mondiaux, commencent à être à la traîne même dans les domaines où elles ont toujours été en tête, notamment en ce qui concerne la technologie et l'art militaire (tant terrestre que naval). L'évolution, de ce point de vue, va là où il y a plus de concurrence et là où il y a plus de ressources, hier comme aujourd'hui, et les grands flux commerciaux se déplaçaient alors de plus en plus nettement vers l'Atlantique.
En résumé Lépante était le chant du cygne d'un monde qui devenait marginal, et le resterait pendant plusieurs siècles.
En tout cas, comme dans chacun des ses ouvrages
Alessandro Barbero domine son sujet et réussi en 32 chapitres à nous faire revivre les préparatifs, les aléas diplomatiques, dans une moindre mesure la bataille elle même, et a prendre le recul sur cet événement majeur. Une lecture dense mais Ô combien passionnante.
Mais avec un capitaine comme
Alessandro Barbero vous pouvez embarquer sans risque