Pas qu'une histoire d'urgence climatique, mais aussi un appel à garder l'humanité intacte pour que chacun puisse y vivre. Une année 2089 qui ne doit jamais exister sous cette forme dépeinte, sous peine d'être invariablement condamnée.
C'est l'Inuit qui gardera le souvenir du Blanc est un de ces romans dont on regrette le format court, parce que son potentiel appelle à un développement pour en apprécier chaque élément. Faute de mieux, on en goûte la saveur de chaque mot conduit par
Lilian Bathelot, et on se réjouit du coup de coeur !
Les premiers chapitres de ce curieux mélange de thriller et d'anticipation – science-fiction accueillent un lecteur perdu entre le Groenland glacial et sauvage pour qui s'y aventure sans le connaître, et la France à l'affût de dangers, étrangère à souhait avec ses équipements technologiques qui nous perdent autant qu'ils nous intriguent. le résumé paraît simpliste : un individu français hors-la-loi recherché par la police après avoir trahi son ordre. Fuyant au Groenland, il faut le retrouver, tout en cherchant ce qui l'a fait basculer dans l'autre côté. le tout dans une ambiance course contre la montre !
Dépaysante aventure où il faut aussi trouver le temps de comprendre, et ce temps arrive à pic. Dans des petites scènes qui mélangent action et exposition,
Lilian Bathelot nous laisse nous immerger dans ce 2089 pas très enclin au bon-vivre. On y apprend que presque tous les peuples ont perdu leur autonomie et que le G7 contrôle une majorité du globe par des surveillances ultra-efficaces et connectées. Seuls les peuples dits Indigènes échappent à ce contrôle, parce qu'ils refusent d'être Implantés pour garder leur autonomie et leurs coutumes. C'est dans ce contexte que l'on va s'arrêter sur la population Inuit du Groenland, l'occasion pour le lecteur novice d'apprendre les rudiments d'une culture fascinante et ancestrale.
On a peu le temps de s'asseoir et de prendre une pause dans ces pages qui défilent, et plus on se rapproche de la fin du livre, plus on se demande pourquoi c'est aussi court ! Si bien que lorsque la fin en question arrive, elle paraît forcément incomplète, et en un sens, elle l'est. Parce qu'après avoir découvert tous les enjeux d'une sécurité extrême ayant nécessité la privation de certaines libertés fondamentales, après avoir craint avec Kisimiipunga et Manuel que la police française leur mette la main dessus, et après toutes les réflexions déclenchées, on s'attend à une fin explosive, qui laisse sur les rotules. Elle le fait avec un arrière goût d'inachevé, parce que si certains noeuds trouvent leur fin, d'autres sont gardés ouverts voire juste effleurés, et ça titille un peu !
On se dit à certains chapitres que
C'est l'Inuit qui gardera le souvenir du Blanc grossit les traits et caricature pas mal, notamment sur les personnages : La Gaufre comme un enfoiré de première, Manuel comme le justicier repenti, Kismii comme la jeune chercheuse brillante en tous points, puis viennent d'autres figures pour compléter le tableau. Au final, le personnage que l'on retiendra le plus dans cette symphonie, c'est Damien et son évolution, un petit air de Montag dans Fahrenheit 451, avec une fin mi-figue, mi-raisin, mais toute en justesse. Les autres ne laissent pas assez de saveur ou de tension pour rester en tête, à l'exception peut-être de Cath, intéressante elle aussi dans son changement. Les personnages dits principaux font même figuration à certains moments, tant ils apparaissent « linaires ».
Au-delà de l'intrigue prenante et de ses paysages hostiles, il y a une multitude d'axes de réflexions qui foisonnent : cette hyper sécurité qui apporte la paix et empêche tout crime d'avoir lieu précisément parce qu'elle a la capacité de stopper tout mauvais geste, par exemple. Vaut-il mieux vivre dans un monde ultra-protégé et perdre ses libertés, ou vivre dans un monde sans surveillance et risquer d'y perdre la vie ? Un peuple doit-il sacrifier ses coutumes ancestrales et toujours vivantes pour se conformer à un modèle qu'on a décidé pour lui, sans qu'il n'ait un mot à dire là-dessus ? Ce qui est aussi passionnant ici, c'est que la technologie n'est pas vue comme le monstre absolu ; il faut simplement en user à bon escient et ne pas se laisser guider entièrement par ses nombreux avantages, sous peine de devoir se confronter à ses autres aspects, moins joyeux ceux-ci.
Un roman d'anticipation qui n'est pas une dystopie, enfin !
C'est l'Inuit qui gardera le souvenir du Blanc n'est pas qu'un admirable mélange de deux genres qui propose une histoire haletante. C'est aussi un nid à réflexions et un coup de coeur 2021, malgré son goût d'inachevé et cette énième vision d'européens vus encore une fois comme les oppresseurs de toute une planète. Ce qui compte ici, c'est que tous les peuples puissent vivre sans craindre de se perdre, et sans y perdre leur humanité en voulant évoluer. Unis, ça serait un énorme plus, mais ça, c'est à nous de l'écrire.
Note : 4,5/5
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