Savoureux récit pas si déjanté que ça d'un terroriste libanais, cycliste et gourmet.
Publié en 2002, traduit en français par
Claro en 2012, le premier roman de
Viken Berberian, Américain d'origine arménienne né à Beyrouth, fit, six mois après le 11 septembre, l'effet d'une petite bombe médiatique, au risque de faire oublier ses intenses mérites littéraires.
Ce récit à la première personne, souvent habilement confus, raconte en deux parties la préparation d'un attentat à l'explosif dans un hôtel international à Beyrouth, du point de vue de l'un des conjurés, cycliste passionné et néanmoins féroce amateur de bonne chère, dont l'habitude du vélo doit jouer un rôle éminent dans l'attentat. Tout d'abord cloué, atrocement diminué, sur un lit d'hôpital suite à un accident dans lequel il a été renversé par une voiture, s'efforçant de récupérer pourtant le plus vite possible en vue du jour J, réconforté nuitamment par sa petite amie et complice en appréciation de la vie, également conjurée, qui s'introduit par la fenêtre de sa chambre médicale, soumis à de puissants flashbacks légèrement hallucinés sous l'effet des médicaments, le narrateur émerge dans la deuxième partie, proche du but, puis engagé dans la fameuse course cycliste populaire qui doit masquer l'action finale du commando...
Là où le tardif "Terroriste" de
John Updike, publié en 2006, ratait largement sa cible par excès de sérieux glissant parfois à la péroraison,
Viken Berberian l'atteint pleinement, par ce subtil lacis de farce, d'humour, de glacial et de tragique qui voit s'affronter forces de mort et forces de vie, puissamment représentées par le sexe, mais surtout par la cuisine, tout au long de ces 285 pages. Comme les également improbables mais si attachants Pepe Carvalho chez Montalban et Sebastiano Montalbano chez Camilleri, le concret des saveurs et de leur préparation joue à fond son rôle de contrepoids à la tentation du désespoir et du vide... pour le plus grand plaisir, par moments légèrement incrédule, du lecteur.
Une réussite qui donne envie naturellement de se précipiter sur "
Das Kapital", le second roman publié en 2007 (en 2009 en français).
"Le message modéré d'une explosion peut être concentré dans son impératif moral. Mais en termes pratiques, sa puissance et sa portée aléatoires peuvent échouer à discriminer d'après la race, la religion ou la foi. En dépit de vastes progrès scientifiques, l'humanité n'a toujours pas mis au point de technologie susceptible de concevoir des bombes super intelligentes, capables d'accomplir un nettoyage ethnique précis, d'éliminer, par exemple, les Belges francophones. Une vraie bombe intelligente serait équipée de capteurs spéciaux parvenant à différencier un Suisse d'un Druze en fonction de leur apparence, à tuer l'un tout en épargnant l'autre."