L'Argentine que décrit
Carlos Bernatek, le roman se passe pour partie pendant le mondial de football 1978, est-elle comme il l'écrit, reprenant l'expression de
Primo Levi, cet anus mundi, le trou du cul du monde qui recycle les merdes de l'humanité ?
L'accueil des Nazis cherchant à se refaire une virginité n'est que la suite logique d'une société qui s'est construit sur le massacre des indigènes vivant sur place et la relégation de leurs descendants au 36ème dessous de la société. La dictature militaire n'est qu'un avatar de cette histoire chaotique dont n'avait pas besoin la société argentine poussée à faire fleurir ses penchants les plus vils.
Oui, même si l'on décèle un humour féroce sous les mots de
Carlos Bernatek, banzaï n'est pas une partie de plaisir.
Le narrateur cherche à fuir cette société, à s'en défaire. Mais pour aller où ?
« Parfois, je me demande ce que je veux, Bon Dieu, et je me réponds : je veux une vie, mais pas n'importe quelle vie ; j'en ai déjà eu une de ce genre-là et je m'en suis débarrassé. Je ne veux pas la paix, je veux le chaos, le bourbier. L'adrénaline, pas la lymphe ; et jamais au grand jamais l'ennui. Quatre-vingt pour cent de la vie est ennui. »
La nostalgie de son enfance, cette période où les journées ne sont que découvertes, est loin. Il est devenu adulte. Il ressent que sa prochaine étape est la mort. Mais combien de temps encore, cela va-t-il durer ? C'est la raison pour laquelle, comme ces Nazis qui se dissimulent sous une fausse identité, il décide de saisir l'opportunité d'un accident, d'usurper l'identité de la victime et de se faire passer pour mort.
Il devient Garnier.
Le titre du roman banzaï fait référence aux Kamikazes japonais décidant de s'immoler sur les navires américains avec leur avion.
La relativité du temps est la même. Garnier est rentré dans la logique du Kamikaze. Comme le pilote, il sait qu'il va tomber, mais au fonds, quelle est sa notion du temps ? Est-elle la même que celle du marin qui attends le point d'impact ? Pendant ce court laps de temps, que vit le Kamikaze, qu'magine-t-il ? A quoi pense-t-il ? Revit-il sa vie antérieure ?
Bernatek se livre à cet exercice dans banzaï. Plus rien n'a d'importance que lui-même. Que ce qu'il vit par procuration pour le temps qu'on l'autorisera à la faire.
Les Nazis vivant sous de fausses identités se font prendre un à un par des agents du Mossad ou des groupes de chasseurs, mais ils ne savent jamais quand ni comment. Ils ne peuvent se défaire aux yeux de ces justiciers, de ce qu'ils ont été à un moment de leur vie. En dépit de toutes les apparences qu'ils se donnent :
« Evidemment, le passé revient de temps en temps rendre visite à ces petits vieux qui saluent aimablement leurs voisins et achètent leur pain en souriant à la boulangère. »
« (…) moi je me contentais d'exécuter les ordres, comme disaient les nazis en 45 à Nuremberg, ou comme on disait en 83 en Argentine ou dans n'importe quel pays où vivent des assassins officiels. Il y a toujours quelque part dans le monde un bourreau devant un tribunal s'efforçant de minimiser sa responsabilité. Les autres, ceux qui n'arrivent jamais devant un juge, deviennent d'aimables petis vieux sans passé. le devoir d'obéissance. »
De même le narrateur n'attend rien que la fin.
« En réalité, à ce stade, ce qui m'inquiétait le plus, c'était la crasse qui allait rester sur l'Alfa Romeo après un trajet aussi merdique. »
« Je me suis rasé chaque matin en essayant d'esquiver les questions que mes yeux renvoyaient dans le miroir. »
Et à la fin du roman, il comprend.
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