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René Bertelé (Éditeur scientifique)
EAN : 9782221501801
190 pages
Editions Seghers (01/01/1983)
4.25/5   6 notes
Résumé :
René Bertelé rencontra Henri Michaux en 1942 à Marseille. Directeur de la section littéraire du mouvement « Jeune France », il contacta le poète pour son projet d'anthologie de la poésie française. Dès lors, leur relation ne cessera de s'enrichir. C'est à Bertelé, par exemple, que Michaux montrera ses premières aquarelles. Un privilège dont « le plus encourageant des compagnons » mesura toute la portée. Aussi, est-ce à ce confident admiratif que l'auteur dut la prem... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
N° 1449- Avril 2020.

Henri MichauxRené Bertelé – Seghers.

S'il est une caractéristique d'Henri Michaux (1899-1984), c'est bien d'être impossible à situer parmi les poètes. Voyageur, peintre, dessinateur, chroniqueur, conteur, il refusait la tyrannie des mots et de la syntaxe pour s'inventer son propre univers, s'inscrivant lui-même loin des médias et des milieux littéraires. Il resta volontairement étranger au mouvement surréaliste qui, dans les année 30, avait un rôle de boussole pour nombre d'écrivains. Pourtant, il en cultiva la spontanéité et la liberté d'écriture qui entourent nombre de ses textes d'un halo de mystère. Refus est sans doute le mot qui caractérisa sa vie, celle de l'enfance qu'il vécut comme un étranger (son personnage de Plume lui ressemble beaucoup, c'est un inadapté au monde, un malchanceux qui s'habitue à sa condition au point de s'en sentir responsable, un véritable personnage kafkaïen enveloppé d'un humour décalé), refus du contexte extérieur caractérisé par l'usage de la drogue, refus de son pays, la Belgique, qu'il n'aima pas, celui du quotidien auquel il s'opposa avec ses mots pour mieux s'affirmer face à lui comme un écorché-vif. C'est sans doute dans les hésitations successives de sa vie où il changea souvent de parcours qu'on peut déchiffrer sa démarche. Ses dessins, sa peinture, son autre moyen d'expression, reproduits partiellement dans cet ouvrage, ou plutôt des esquisses de quelque choses, ajoutent à cette impression un peu malsaine. Sa poésie est un refus du monde dont il a une vision pessimiste, la prise de conscience du vide qui l'entoure et dont il cherche à se libérer et à le remplacer par la création de mondes imaginaires qui peuvent rapidement devenir obsédants voire angoissants mais dans lesquels il nous entraîne. Elle s'inscrit aussi dans un refus des romantiques et de leur mélancolie à qui il substitue une poésie moins conventionnelle et tellement libérée que visuellement elle s'apparente à de la prose, avec des mots pleins d'une musique forte, parfois faite de néologismes, mais une écriture libératrice au fort pouvoir cathartique. Il nous accompagne d'ailleurs dans cette démarche au point d'en être obsédé et tellement possédé que cette posture peut devenir agressive et angoissante. On a même cette impression bizarre que les mots échappent à celui qui entend se les approprier et les maîtriser au point qu'existe entre eux une véritable lutte. C'est un thème qui m'a toujours paru intéressant dans la démarche d'un écrivain et qui remet en question le vrai sens de l'écriture qui n'est pas qu'un simple remplissage de pages blanches. Dans une démarche créatrice qui n'est jamais gratuite, on croise souvent ses propres fantômes, ses obsessions qui ressemblent à des absences, à du dénuement ou pire à des échecs, ce qui a pu faire dire qu'on ne sort jamais indemne d'une telle expérience qui n'existe que dans le contexte d' un univers douloureux. Ce phénomène est ici exacerbé par l'usage de la drogue, conçue par notre auteur (selon Bertelé) non comme une addiction, non comme une évasion mais comme une libération de soi, une expérimentation intellectuelle, un combat créateur né d'une connaissance analytique approfondie et duquel naissent les mots mais aussi avec une sorte de fascination. Sa démarche n'est pas dénuée d'aliénation, de violence, de culpabilité nées de l'impuissance à créer, du jugement qui viendra sanctionner tout cela comme un tribunal suprême dont il serait son propre juge. Il y a de l'abscons comme si son univers et ses mots lui échappaient, se refusaient, se dérobaient à ses yeux, comme si c'était le mal-être de celui qui sait ne pas être à sa place et qui combat mollement cet état de fait par l'humour, le corps à corps avec les mots, le voyage intérieur vers un improbable salut.

Cela faisait longtemps que je voulais me replonger dans le monde imaginaire de Michaux ce qui d'une certaine façon fut une redécouverte assez inattendue et surprenante, cette période de confinement favorable à la lecture m'y a incité.
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Un petit livre de la collection Poètes d'aujourd'hui (Seghers) qui m'a fait découvrir et aimer, Henri Michaux

.Qu'il s'agisse du poète, du médecin, du peintre, du calligraphe, tous les moyens sont bons pour explorer cet "espace du dedans" vertigineux et dangereux. La seule grande aventure qui vaille..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Rends-toi, mon cœur
Nous avons tant lutté
Et que ma vie d'arrête.
On n'a pas été des lâches,
On a fait ce qu'on a pu.

Oh mon âme
Tu pars ou tu restes
Il faut te décider.
Ne me tâte pas ainsi les organes,
Tantôt avec attention, tantôt avec égarement,
Tu pars ou tu restes,
Il faut te décider.

Moi, je n'en peux plus.
Seigneurs de la Mort
Je ne vous ai ni blasphémés ni applaudis.
Ayez pitié de moi, voyageur déjà de tant de voyages sans valises,
Sans maître non plus, sans richesse, et la gloire s'en fut ailleurs,
Vous êtes puissants assurément et drôles par-dessus tout,
Ayez pitié de cet homme affolé qui avant de franchir la barrière vous crie déjà son nom,
Prenez-le au vol,
Qui'il se fasse, s'il se peut, à vos tempéraments et à vos humeurs,
Et s'il vous plaît de l'aider, aidez-le, je vous prie.
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“Contre !”

«Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu'une espèce d'évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos arts arabes, et de vos Mings.

Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peau de tambour,
Je vous assoirai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquelles votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussière de sable sans raison.

Glas ! Glas ! Glas sur vous tous, néant sur les vivants !
Oui, je crois en Dieu ! Certes, il n'en sait rien !
Foi, semelle inusable pour qui n'avance pas.

Oh monde, monde étranglé, ventre froid !
Même pas symbole, mais néant, je contre, je contre,
Je contre et te gave de chiens crevés.
En tonnes, vous m'entendez, en tonnes, je vous arracherai ce que vous m'avez refusé en grammes.

Le venin du serpent est son fidèle compagnon,
Fidèle, et il l'estime à sa juste valeur.
Frères, mes frères damnés, suivez-moi avec confiance.
Les dents du loup ne lâchent pas le loup.
C'est la chair du mouton qui lâche.

Dans le noir nous verrons clair, mes frères.
Dans le labyrinthe nous trouverons la voie droite.
Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes !
Comme je vais t'écarteler !»
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Ce qu'il faut d'abord dire, c'est que l'univers d'Henri Michaux n'a rien de voulu, de concerté, de construit. Quelque étrange qu'il ait pu paraître à certains, il n'a rien que de spontané, de naturel. D'où sans doute son authenticité. Déjà, l'auteur de Qui je fus y remarquait : "On s'est mis en commun pour les besoins du ventre, il faut se faire entendre du boulanger pour avoir du pain. On fait effort continuel pour se banaliser. Le rêve qui paraît drôle, provient de ce que l'homme se parlant à lui-même cesse de se gêner." Le rêve est naturel – et toute poésie qui revient à ses sources : c'est alors qu'elle effarouche ceux qui n'aiment justement pas rêver.
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Intervention

Autrefois, j'avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les
choses et les paysages et je les laissais faire.
Fini, maintenant "j'interviendrai"
J'étais donc à Honfleur et je m'y ennuyais. Alors résolument, j'y mis du chameau. Cela ne paraît pas fort indiqué.
N'importe, c'était mon idée. D'ailleurs, je la mis à exécution avec la plus
grande prudence. Je les introduisis d'abord les jours de grande affluence, le samedi sur la place du Marché. L'encombrement devint indescriptible et les touristes disaient : " Ah ! ce que ça pue ! Sont-ils sales les gens d'ici ! " L'odeur gagna le port et se mit à terrasser celle de la crevette. On sortait de la foule plein de poussières et de poils d'on ne savait quoi.
Et, la nuit, il fallait entendre les coups de pattes des chameaux quand ils
essayaient de franchir les écluses , gong ! gong ! sur le métal et les madriers !
L'envahissement par les chameaux se fit avec suite et sûreté.
On commençait à voir les Honfleurais loucher à chaque instant avec
ce regard soupçonneux spécial aux chameliers, quand ils inspectent
leur caravane pour voir si rien ne manque et si on peut continuer à faire
route ; mais je dus quitter Honfleur le quatrième jour.
J'avais lancé également un train de voyageurs. Il partait à toute allure de
la Grand'Place, et résolument s'avançait sur la mer sans s'inquiéter de la
lourdeur du matériel ; il filait en avant, sauvé par la foi.
Dommage que j'aie dû m'en aller, mais je doute fort que le calme renaisse
tout de suite en cette petite ville de pêcheurs de crevettes et de moules.

Henri Michaux, in La nuit Remue, 1930

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Projection

Cela se passait sur la jetée d’Honfleur, le ciel était pur. On voyait très clairement le phare du Havre. Je restai là en tout bien dix heures. A midi, j’allai déjeuner, mais je revins aussitôt après.

Quelques barques s’en furent aux moules à la marée basse, je reconnus un patron pêcheur avec qui j’étais déjà sorti et je fis encore quelques autres remarques. Mais en somme, relativement au temps que j’y passai, j’en fis excessivement peu.

Et tout d’un coup vers huit heures, je m’aperçus que tout ce spectacle que j’avais contemplé pendant cette journée, ça avait été seulement une émanation de mon esprit. Et j’en fus fort satisfait, car justement je m’étais reproché un peu avant de passer mes journées à ne rien faire.

Je fus donc content et puisque c’était seulement un spectacle venu de moi, cet horizon qui m’obsédait, je m’apprêtais à le rentrer. Mais il faisait fort chaud et sans doute j’étais fort affaibli, car je n’arrivai à rien. L’horizon ne diminuait pas et, loin de s’obscurcir, il avait une apparence peut-être plus lumineuse qu’auparavant.

Je marchais, je marchais.

Et quand les gens me saluaient, je les regardais avec égarement tout en me disant : « Il faudrait pourtant le rentrer cet horizon, ça va encore empoisonner ma vie, cette histoire-là », et ainsi arrivai-je pour dîner à l’hôtel d’Angleterre et là il fut bien évident que j’étais réellement à Honfleur, mais cela n’arrangeait rien.

Peu importait le passé. Le soir était venu, et pourtant l’horizon était toujours là identique à ce qu’il s’était montré aujourd’hui pendant des heures.

Au milieu de la nuit, il a disparu tout d’un coup, faisant si subitement place au néant que je le regrettai presque.

Henri Michaux, La nuit remue
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