Mon admiration pour
Joseph Kessel, l'aventurier, le combattant, mais aussi pour l'écrivain magnifique du Lion, des Cavaliers, des Temps sauvages, des Mains du miracle, de
l'Armée des ombres, et tant d'autres récits, et mon intérêt pour son neveu,
Maurice Druon, l'auteur des Rois maudits, m'ont fait accueillir avec plaisir la proposition de lire et commenter cette biographie croisée de ces deux « grands », écrite par l'académicienne
Dominique Bona.
Je ne suis pas un grand amateur de biographies, j'en lis très peu, mais en apprendre un peu plus sur ces deux hommes qui ont écrit ensemble le chant des partisans, cet hymne bouleversant de la Résistance, dont je garde en moi le choc ressenti lors de la retransmission télévisée du transfert des cendres de
Jean Moulin au Panthéon, faisant suite au discours inoubliable de
Malraux, oui, vraiment, c'était l'opportunité.
Après un début qui nous fait vivre la traversée des Pyrénées, en 1942, par
Kessel et
Druon, accompagnés par l'actrice et chanteuse Germaine Sablon, une des nombreuses maîtresses de « Jef », celle qui va immortaliser, un an plus tard, le chant des Partisans, l'auteure nous livre une biographie croisée des deux auteurs, mettant en avant leurs différences de caractère:
Jef, l'aventurier, le bourlingueur, l'homme ouvert aux rencontres et au dialogue avec toutes les cultures, mais aussi plus ténébreux, plus angoissé, plus excessif en tout, y compris la consommation d'alcool.
Maurice, courageux, volontaire, mais, à l'inverse de son oncle, mesuré, aimant son confort, voyageant peu, épris de classicisme et des beautés de l'Antiquité.
Mais aussi, ce qui les rapproche, et au premier plan, la passion de l'écriture et le patriotisme.
Dominique Bona met aussi en avant le personnage attachant de Germaine Sablon, la soeur du célèbre chanteur
Jean Sablon, chanteuse et actrice, qui non seulement participera à la création du Chant des Partisans, mais s'engagera dans le corps des infirmières des Armées, d'abord en 1940, puis en 1943, et participera aux combats qui amèneront les Alliés à reconquérir l'Italie, puis à remonter la France jusqu'à Paris. Une femme courageuse, entière, qui veut participer à son niveau à l'effort de guerre comme le font ses fils dans l'armée des Alliés. Mais avec qui
Kessel rompra après la guerre.
Dans la vie de
Kessel et de
Druon, une grande place est donnée à leur création littéraire, inséparable de sa vie chez un
Kessel, écrivain solitaire, alors que celle de
Druon est plus organisée, plus « pensée ».
Maurice Druon s'entoure d'une équipe, il l'appellera d'ailleurs l'Atelier
Druon, pour l'aider à préparer sa célèbre saga des Rois maudits, mais aussi la vie d'
Alexandre le Grand et bien d'autres livres.
Passionnant de voir comment la vie aventureuse, ou de reportage, alimente les romans de
Joseph Kessel, depuis l'Équipage jusqu'à son dernier
Les temps sauvages, et en passant par tous ces magnifiques récits,
L'Armée des ombres,
le Lion,
Les cavaliers,
Les mains du miracle, etc…Touchant aussi de repenser à son livre
Avec les alcooliques anonymes, lui qui souffrit de la terrible addiction à l'alcool de sa dernière épouse Michèle.
Étrange aussi d'apprendre que l'oncle comme le neveu refusèrent d'avoir des enfants. C'est
Druon qui s'en expliquera de la façon la plus claire: «La progéniture …..est toujours un aveu d'insatisfaction, d'inaccomplissement de soi, de délégation faite au futur. »
Vivre sa vie, rien que sa vie, sans vouloir un avenir après soi passant par une descendance, voilà une conception assez dure .
Et pourtant l'un comme l'autre firent dans certains de leurs livres des magnifiques portraits d'enfants, surtout
Kessel dans
le lion ou
La passante du sans-souci, mais aussi
Druon dans son petit livre pour enfants « « Tistou les mains vertes ».
Et l'autrice nous raconte ainsi dans le détail toute la vie de ces deux grands hommes et de cette femme exceptionnelle qu'était Germaine Sablon.
Mais cette volonté d'exhaustivité nuit, je trouve, à cette biographie. En effet, ce sont déjà des vies bien remplies que celles-là, surtout celle de
Joseph Kessel, mais
Dominique Bona veut aussi nous raconter les histoires de personnages qui ne font qu'apparaître et disparaître dans le récit, ou dont l'histoire ne mérite pas, à mon avis, de tels développements, telle celle de Jean Sablon en Amérique pendant la seconde Guerre Mondiale, le détail des origines familiales de personnages secondaires, etc…Cela rend souvent le récit parfois lassant, on en perd le fil.
Et puis, il y a des redites de phrases, voire d'anecdotes complètes, et de nombreux clichés.
En définitive, cette fresque, malgré toutes ses qualités, m'a donné le sentiment d'un récit écrit trop vite, sans une relecture attentive, un peu bâclé.
C'est dommage, car ce récit représente une masse considérable d'informations, et l'analyse psychologique de nos deux « héros », ainsi que celle de Germaine Sablon, est pleine de finesse et d'acuité.
Un grand merci, néanmoins, à Babelio et aux Éditions Gallimard de m'avoir proposé cette lecture d'un livre dont je relirai volontiers certains chapitres.