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EAN : 9782718609362
96 pages
Galilée (25/01/2016)
4/5   2 notes
Résumé :
« Disons cela en plus court : la poésie se refuse-t-elle aux séductions de la gnose ? Oui, mais le poète, lui, ne cesse de les subir : d’être en situation de leur trouver sens et d’avoir à lutter pour s’en défaire. La poésie se porte-t-elle à l’avant des mots, vers l’immédiat, dans le simple, oui, mais le poète n’en reste pas moins dans les trébuchements de son entreprise, et sur cette voie qui semble se perdre il ne peut s’empêcher de recommencer à rêver. Et comme ... >Voir plus
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Une des formes de ce souci de la gnose ayant
été dans mon cas – et demeurant – le désir de
prendre conscience du péril qu’elle est pour la
poésie en l’observant non seulement dans le
jour après jour de l’écriture mais partout dans
l’histoire de la pensée, dont de remarquables
événements – par exemple les débats des
gnostiques avec les néo-platoniciens ou beaucoup des premiers chrétiens – peuvent aider à
comprendre ce qui en motive les spéculations
et les conduites. D’où mon intérêt – hélas,
pas assez approfondi, resté l’activité d’un
philologue et d’un historien on ne peut plus
amateur – pour les études savantes qui portent
sur les diverses époques et aussi les dehors
souvent surprenants du gnosticisme. Celui-ci,
en effet, peut se vêtir de façon multiple, tout
particulièrement dans l’espace littéraire, où il
est donc important d’apprendre à le déceler.
Mais davantage de précisions maintenant.
Et d’abord, qu’est-ce que la pensée que l’on
devra dire gnostique ? C’est toute façon de
percevoir le monde où l’on vit comme insuffi -
sant ou même mauvais, et cela en se souvenant
d’une autre réalité, elle bonne, satisfaisante,
qui aurait pu exister ou pourra le faire, mais
alors au-delà des temps présents ou plutôt
même par transgression et dissipation du
temps lui-même, lequel ne serait qu’un des
aspects les plus sombres de l’humaine déréliction. Il y aurait eu dans l’espace
métaphysique une sorte de chute, comprise souvent
comme un accident, par exemple l’intervention, dans les plans du ciel pour le monde,
d’un démiurge pervers ou maladroit : un drame dont l’existence du temps ne serait que la
conséquence. Cette chute, cette perte d’un
bien auquel il estime avoir droit, c’est ce que
ressent le gnostique dans l’ordinaire des jours,
c’est une ténèbre qui vicie toutes ses heures,
même celles qui pourraient être de quelque
joie. Mais c’est aussi ce qu’il vérifie dans ces
instants où de façon soudaine tout ce à quoi
on tenait s’effondre, laissant l’esprit dans la
nuit, agrippé au rebord d’un gouffre.
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D’abord : oui, c’est vrai, la perception
gnostique de la réalité et de l’existence et la
sorte d’imaginaire qui en résulte – ou en est
la cause – présentent de nombreuses et assez
précises analogies avec les pensées qui caractérisent nombre d’œuvres littéraires ou même
philosophiques parmi les plus spécifiques de
notre modernité ; et ce fait suffi rait à justifier la recherche qui a été commencée il y a
déjà longtemps par Hans Jonas dans un article
célèbre. Jonas s’interrogeait sur Nietzsche, sur
Heidegger. Il aurait pu tout aussi bien chercher à déceler des résonances gnostiques chez
Franz Kafka, ou André Breton, ou Antonin
Artaud, ou Samuel Beckett.
Toutefois, la poésie n’est pas la philosophie, ni même, ni surtout, elle n’est la littérature, en dépit des voies que suivent parfois
de conserve ces diverses façons d’aborder les
problèmes de l’être au monde. Et si les façons
de réagir à la vie qu’eurent les gnostiques des
premiers siècles ou de plus tard dans l’histoire
peuvent bien – nous le verrons –
être comparées à certains aspects du comportement des
poètes, ce n’est qu’à ces quelques aspects-là,
nullement à la totalité et à la spécificité de leur
expérience, laquelle a ses visées et même son
lieu à un autre plan. La poésie, c’est ma conviction, n’est pas la gnose. Elle est même, dirai-je,
l’anti-gnose, une lutte contre le rêve gnostique
qui certes se renflamme à bien des moments
dans les poèmes – d’où suit que quelquefois,
en effet, on ne saura guère y désenchevêtrer les
deux intuitions –, mais n’en est pas moins un
vouloir propre, une ambition constamment
retrouvée et réaffirmée. Pour ma part, et c’est
en cela que mon propos est peut-être d’abord,
et à tout le moins, un témoignage, je n’ai eu
d’affection pour la poésie qu’en cherchant à me
délivrer des suggestions de l’imaginaire gnostique, lequel ne cesse pas de troubler – j’aurai
aussi à le dire – l’emploi des mots dans l’élaboration des poèmes et même sinon d’abord
l’existence de qui leur prête attention.
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Et même qu’il est facile de découvrir en
nous d’indéniables vestiges de cette plénitude
perdue ! Ce sont des souvenirs de notre petite
enfance. « The things which I have seen I now
can see no more », écrit Wordsworth dans Intimations of Immortality, le grand poème de la
réflexion sur la poésie. C’est dans son « early
childhood » que la relation au monde de ce
poète avait eu une transparence, une évidence
dont sa vie adulte l’a privé. Mais de ce bien
il garde donc une idée, puisqu’il en constate
la perte, et il en reste cette lumière qui illumine dans le Prélude les « meadow, grove, and
stream » du pays de lacs et de petites collines
où il a tout de même bonheur à vivre.
L’enfance fut-elle vraiment l’époque d’une
plénitude authentique de l’être au monde,
un « vert paradis », comme cette fois écrit
Baudelaire ? Et en cela serait-elle le bien que
nous avons perdu mais qui, resté dans notre
mémoire, parfois se renflammerait pour des
instants, ce qui expliquerait l’espoir que certains d’entre nous gardent vif en dépit de leurs
accès de révolte ? Le monde supérieur dont la
poésie atteste le fait semble bien n’être que le
monde ordinaire vécu d’une meilleure façon,
ce n’est nullement cette réalité radicalement
autre dont le gnostique se sent privé du fait
d’un désastre de nature métaphysique. De cette
façon déjà la poésie se sépare de la gnose.
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Mais l’analogie entre poésie et gnose se
limite à cette intuition. D’abord, le souvenir
d’un exister de plus de qualité que la condi
tion présente n’est nullement dans le cas de la
poésie une détestation de la vie et du monde
où il faut la vivre. Bien au contraire, c’est
de ce qui reste de beauté dans les arbres, les
fleuves, les nuées, les bêtes – les bêtes « d’une
élégance fabuleuse », disait Rimbaud – et de
ce qu’il y a d’évident attrait dans des visages et
leurs regards, que résulte ce sentiment d’une
perte. Le lieu terrestre a grand prix pour les
amis de la poésie. Ils le pressentent une terre
dont les êtres et les choses les plus simplement
naturels pourraient être leurs partenaires dans
une très concevable « vraie vie ». En bref, ils
perçoivent la suffisance là même et à l’heure
même où ils éprouvent le manque. La lumière
qui baigne le monde d’à présent n’est-elle pas
la même que celle du monde de l’origine et
déjà, de ce fait, une promesse ? Le chemin de
retour, elle nous donne à penser qu’il s’ouvre
en tous lieux et à tout instant. Nous sommes
de ce monde, estime la poésie, au plus vif de
son inquiétude.
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La vie comme elle est, ce ne serait que
non-sens, non-être. Certains dans la société
de cette époque hellénistique tardive tentaient
de s’échapper de la geôle par l’écoute d’enseignements par essence ésotériques : ce que l’on
nomme des gnoses, apportées par un messager
du dieu forclos du monde, lointain. Ceux-là
imaginaient que ces pensées les illuminaient
de l’intérieur, transmutaient leur soumission
au corps déplorable en – enfin – un bonheur
à être. Mais plus que l’espoir inquiet de ces
quelques initiés, l’expérience fondamentale
des gnostiques reste l’horreur de ce qui est, ici,
maintenant, et le regret, lancinant, de ce qui
aurait pu être. « Je ne suis pas de ce monde »,
pense amèrement le gnostique. Le moi qu’il
sent vivre en lui n’a que faire des situations de
l’existence sur terre.
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Vidéo de Yves Bonnefoy
Les derniers livres d'Yves Bonnefoy (1923-2016) expriment son désir de transmettre le legs de la poésie par-delà la mort. « Lègue-nous de ne pas mourir désespéré », lit-on dans L'heure présente (2011). Quant à L'Écharpe rouge (2016), c'est un « livre de famille » testamentaire en même temps que l'histoire d'une vocation : « Il se trouve que j'étais apte à me vouer à l'emploi disons poétique de la parole… » La Pléiade fut pour Bonnefoy l'occasion de porter sur son oeuvre un regard ordonnateur. Il choisit le titre du volume, Oeuvres poétiques, sans céder sur son désir de faire figurer au sommaire quelques textes brefs que l'on qualifierait spontanément d'essais. Tous les livres ou recueils poétiques, vers, prose, ou vers et prose, sont présents. Bonnefoy ne se reniait pas ; il a souhaité donner dans les appendices quelques textes rares. Il a voulu aussi que soit présente son oeuvre de traducteur, de Shakespeare à Yeats, de Pétrarque à Leopardi. Enfin il a ouvert à ses éditeurs les portes de son atelier.
« Le souvenir est une voix brisée, On l'entend mal, même si on se penche. Et pourtant on écoute, et si longtemps Que parfois la vie passe. Et que la mort Déjà dit non à toute métaphore. » L'heure présente, Yves Bonnefoy
À lire – Yves Bonnefoy, Oeuvres poétiques – Coll. La Pléiade, Gallimard 13 avril 2023.
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