Les écrivains des années 60 – 70 occupent une place un peu bâtarde à la charnière entre deux époques. le monde a changé profondément et brutalement. Beaucoup ont raté à la marche, ou au contraire ont essayé de la sauter avec trop d'enthousiasme. Dans les deux cas l'oubli les a vite engloutis. Quant à ceux déjà installés, c'est une autre question. Certains, tels
Romain Gary, regardent d'un oeil un peu sardonique le monde des convenances morales chavirer sur ses bases. Et d'autre, comme notre ami Borgeaud (Prix du journalisme international de Rome 1962, Prix Renaudot 1974), décident qu'ils en ont marre de ces conneries, et se retirent tranquillement dans leur pigeonnier.
Et ce n'est même pas une plaisanterie, car le livre raconte la vie et les expériences de l'auteur dans un ancien pigeonnier en ruine qu'il avait acheté et retapé, au fin fond des Causses, une dizaine de kilomètres au sud d'Agen. Il décrit sa découverte des lieux, les travaux pour restaurer ce qui était l'étable d'un mulet, en faire un lieu habitable – selon les standards de l'époque s'entend, et initialement sans électricité ni eau courante. La vie qu'il y mène est solitaire majoritairement, mais avec tout de même la compagnie d'une chatte débonnaire, le passage de quelques amis, et surtout ses voisins.
Il n'évoque que rapidement la vague des néo-hippies de mai 68 tentant le ‘retour à la terre', dans le plus pure style maoïste – tout plaquer pour aller planter des légumes ou faire du fromage de chèvre, et découvrir que les maisons sans eau courante ni électricité ni chauffage c'est quand même pas fou. Ceux sur lesquels il est intarissable, ce sont les ‘vieux paysans'. Ceux dont les familles arpentent bien souvent depuis des siècles ces mêmes terres, s'assoient dans les mêmes pièces – voir aux mêmes tables – pour prendre des repas à peine plus soignés.
Quand il arrive dans le pays, plusieurs familles s'entêtent encore à labourer son sol sec et pierreux. Un à un les enfants, devenus grands, partent à la ville. Les parents restent, vieillissent. Derniers vestiges de l'âge des paysans, qui le fascinent par leur simplicité. C'est donc la chronique d'une vie à Aubiac où, sans rentrer dans sa vie personnel, l'écrivain nous fait partager sa vie quotidienne, et surtout celle des derniers vestiges d'un monde en train de disparaitre, le monde des campagnes françaises, dont je n'ai vu que les vestiges des vestiges. Mon fils en verra-t-il seulement les vestiges des vestiges des vestiges ?
Cela même n'est pas sûr…