Qui se souvient encore de Jean-Louis Bory ? Moi: je l'écoutais avec grand plaisir à la radio dans l'émission "Le Masque et la Plume" et aussi je lisais ses chroniques de cinéma dans "Le Nouvel Observateur". J'appréciais énormément son engagement, la finesse de son goût et la sincérité dans ses convictions. Lorsque j'étais "fan" de ses critiques, il était politiquement à gauche, mais libre d'attaches partisanes. Auparavant, il avait obtenu le prix Goncourt alors qu'il était âgé de 26 ans seulement. Une de ses particularités était son homosexualité dont il n'a pas fait mystère, à une époque où le sujet était largement tabou. "Ma moitié d'orange", publié en 1973, est une brève autobiographie où l'auteur évoque son orientation sexuelle avec finesse et délicatesse. Je l'avais lu en temps réel et j'avais bien apprécié ce petit livre. On ne l'écrirait certainement pas ainsi aujourd'hui mais, l'ayant relu récemment, je considère qu'il n'a pas trop vieilli.
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Le but de la vie c'est la vie, il n'y a rien de mieux, c'est formidable, il n'y a que ça. faut-il parler de but ? Dans la vie le but ne compte pas, qui est la mort. Ce n'est pas l'arrivée le but du voyage, c'est le voyage. (p.37)
Dans l'arrière-pharmacie, un soir : "Qui ou quoi que tu sois, n'aie pas peur. Si tu ne fais de tort à personne, tu n'as pas à en rougir. Regarde-toi bien en face, c'est le principal. Il se peut que le parti que tu prennes, en accord avec ce que tu sauras que tu es, te rende la vie difficile. Bon courage. Si tu as des ennuis, viens me les dire. Si je peux t'aider, je le ferai. Mais j'en doute. Ne compte que sur toi. L'expérience ne vaut que pour soi - et encore. Celle des autres est nulle et non avenue."
Je crispais les poings de rage quand la très mamelue vieille fille qui nous serinait le "caté" nous assenait ces sornettes médiévales en riboulant des yeux.
Toute cette humanité bedonnante (il y a une façon de bedonner de la cervelle) qui dégobille les slogans, les formules dont on l'a gavée comme on gave une oie de bouillie, et elle a le culot de baptiser pensée ce renvoi.
Ces intermittences de la solitude, je réussis à me les aménager loin de mes arbres et de ma rivière, en société. Ce congé invisible que je prends en laissant derrière moi mon corps, les gens l'appellent distraction. (p.22)