C'est un petit opuscule qui nous donne une idée du calvaire qu'a vécu
Boulgakov dans les années 30, depuis les premières interdictions de publier ses oeuvres ou de présenter ses pièces de théâtre jusqu'à sa mort en 1940. On y retrouve aussi la retranscription (présent également dans
le roman théâtral) d'un célèbre appel téléphonique de Staline reçu en pleine nuit pour lui signifier qu'il allait pouvoir retravailler (comme metteur en scène mais bien sur sous surveillance), un cas d'école de ce qu'on appelle "le fait du prince".
Il y a aussi une lettre de
Zamiatine qui, lui, a obtenu gain de cause et a pu émigrer en Europe. Ils étaient, sinon amis, du moins embarqué dans les mêmes problèmes vis à vis du pouvoir. Pourquoi
Zamiatine a-t-il eu, à la suite de cette unique lettre, en 1931, son visa de sortie, alors que
Boulgakov a connu la douche écossaise des atermoiements de Staline jusqu'à en devenir presque fou, c'est difficile à expliquer.
Marianne Gourg, la traductrice, livre entre chaque lettre une brève mais très intéressante analyse (une ou 2 pages) commentant le contexte et l'évolution de l'état de santé de
Boulgakov au fur et à mesure des ans (de 1929 à 1938). C'est dramatique, pathétique même, et on se dit que
Zamiatine s'en est quand même bien sorti (d'autant que Pilniak, autre cible des interdits staliniens, a été fusillé en 1938).
"J'ai peur", un bref essai de
Zamiatine écrit en 1921, prémonitoire, n'est pas ce qu'on pense (il ne craint rien pour sa vie); c'est un pamphlet exemplaires contre les écrivains arrivistes qui prendront le train de la révolution bolchévique pour faire partie de la cour royale. Evidemment, les "malhabiles", ceux qui n'ont pas le talent politique des compromis, resteront dans l'histoire de la littérature (il cite Blok, Maiakovski, Biely) des phares "au milieu de la mer étale de fer blanc" des écrivains prolétariens.
Un livre à lire, très intéressant, même si on reste un peu sur sa faim.