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EAN : 9782072797859
208 pages
Gallimard (02/05/2019)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Touristes, terroristes, sécularistes, hackers, fondamentalistes, transhumanistes, algorithmiciens : ce sont toutes les tribus qui habitent et agitent l'innommable actuel. Un monde fuyant comme il n'était jamais arrivé auparavant, qui semble ignorer son passé, mais qui s'éclaire aussitôt que d'autres années apparaissent, la période comprise entre 1933 et 1945, au cours de laquelle le monde lui-même avait accompli une tentative, partiellement réussie, d’auto-anéantiss... >Voir plus
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critiques presse (1)
Liberation
02 août 2019
Poétique et érudit, le nouvel opus de Roberto Calasso dénonce la désacralisation de notre époque livrée à l’illusion de la réalité virtuelle et du transhumanisme.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Rumiyah, « Rome », la revue plurilingue online de l’État islamique qui s’est substituée à Dabiq, indiquait, dès son premier numéro de septembre 2016, la voie du terrorisme fortuit dans un article intitulé « Le sang du kafir, mécréant, est halal, légitime, pour vous, donc versez-le ». Et entrait dans les détails en offrant une première liste de cibles possibles : « L’homme d’affaires qui va au travail en taxi, les jeunes (déjà pubères) qui font du sport dans le parc, le vieil homme qui fait la queue pour acheter un sandwich. Pas seulement : même verser le sang du marchand ambulant kafir qui vend des fleurs aux passants est halal. » Aucune discrimination de classe ou d’âge, hormis le cas du jeune sportif, qui doit être pubère.

La figure de l’assassin-suicidé n’est certes pas une invention récente. Au sein de l’islam, elle naît avec Hasan-i Sabbâh, le « Vieux de la Montagne » dont parle Marco Polo, figure légendaire construite à partir du stratège militaire ismaélien qui, des années durant, avait ourdi ses intrigues depuis la forteresse d’Alamut. Selon les sources de l’époque, il était sévère, austère, cruel et reclus. « On raconte qu’il est resté sans interruption dans sa maison, écrivant et dirigeant des opérations — de même que l’on insiste constamment sur le fait que pendant toutes ces années il ne sortit que deux fois de chez lui, et les deux fois pour monter sur le toit » : c’est ce que rappelle Hodgson, l’historien de la secte le plus digne de foi. Entre-temps les envoyés du Vieux de la Montagne, disséminés dans le royaume des Seldjoukides, que Hasan-i Sabbâh voulait abattre, tuaient des personnages puissants, généralement avec des poignards, avant d’être eux-mêmes tués. Ils étaient fida ’iyyan, « ceux qui se sacrifient » ou bien « assassins », mot qui signifiait consommateurs de haschich, comme l’a définitivement prouvé Paul Pelliot.
Deux siècles plus tard, quand la forteresse d’Alamut n’était plus qu’une ruine, dévastée quelques années plus tôt par les Mongols de Houlagou Khan, et que la secte des Assassins n’était plus qu’un souvenir, quelqu’un raconta à Marco Polo l’histoire du Vieux de la Montagne. Odoric de Pordenone la reprendrait quelques années plus tard, sans variations.
Selon l’un et l’autre, le Vieux de la Montagne « avait fait aménager dans une vallée entre deux montagnes le plus beau et le plus grand jardin du monde ». Et « là se trouvaient les plus beaux jeunes hommes et jeunes filles, qui savaient chanter et jouer de la musique et danser. Et le Vieux leur faisait croire que c’était là le paradis ». Mais il y avait une condition : « N’entraient dans ce jardin que ceux dont il voulait faire des assassins. »
Quand le Vieux décidait d’envoyer quelqu’un en mission, il le droguait pour le plonger dans un demi-sommeil et l’éloignait du jardin. « Et quand le Vieux veut faire tuer telle ou telle personne, il fait ravir le plus vigoureux des jeunes hommes et lui fait tuer la personne qu’il veut qu’on tue. Et les jeunes le font volontiers, pour retourner au paradis… De sorte qu’aucun homme que le Vieux de la Montagne a voulu éliminer ne survit face à lui ; et je vous dis que plusieurs rois lui versent un tribut tant ils le craignent. »
Le Vieux de la Montagne fit connaître à ses hôtes la saveur du paradis. Des siècles plus tard, il suffira d’offrir l’assurance que le paradis est réservé aux martyrs du jihad et qu’il regorge de plaisirs, comme on le lit dans le Coran. Mais il fallait d’abord découvrir le plaisir de la mort.
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Par rapport à tous les autres régimes, la démocratie n’est pas une pensée spécifique, mais un ensemble de procédures, qui se prétendent capables d’accueillir n’importe quelle pensée, hormis celle qui se propose de renverser la démocratie elle-même. Et c’est là son point le plus vulnérable, comme la démonstration en fut faite en Allemagne en janvier 1933. Ainsi, la société séculière a fait preuve de souplesse et d’ingéniosité dans la réabsorption en elle­-même, sous de fausses apparences, de ces mêmes puissances qu’elle venait d’expulser. La théologie a fini par se transformer en politique, tandis que la théologie en tant que telle était reléguée dans les universités.
Or ce processus s’applique à tous les niveaux : sans le frisson du numineux la société séculière se refuse à subsister, tandis que le mot numineux n’est plus accepté que dans le milieu académique. Ne pouvant nommer, selon les règles d’un canon, ce qu’elle adore, la société paraît condamnée à une nouvelle et sournoise superstition : la superstition d’elle-même, la plus difficile à percevoir et à dissoudre. Nous savons désormais que les pires désastres se sont manifestés quand les sociétés séculières ont voulu devenir organiques, une aspiration récurrente de toutes les sociétés qui développent le culte d’elles-mêmes. Toujours avec les meilleures intentions. Toujours pour récupérer une unité perdue et une harmonie supposée. Sur ce point, Marx et Rousseau, mais aussi Hitler et Lénine, mais aussi le productiviste Henri de Saint-Simon ont trouvé un accord fugace. Organique est beau, pour tous. Nul ne se hasarde à dire que l’atomisation tant décriée de la société peut être une forme d’autodéfense contre des maux plus graves. Dans une société atomisée on peut se dissimuler plus facilement. On n’attend pas que la police secrète frappe à la porte à quatre heures du matin.
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De retour en Égypte, Qutb devint rapidement une figure politique importante. Parvenu au pouvoir, Nasser le plaça à la tête du Comité éditorial pour la révolution. Mais cela ne dura pas longtemps. Dans l’Égypte de cette époque, comme par la suite en Algérie, seules deux voies s’offraient : soit les militaires soit la charia, prônée ici par les Frères musulmans. Or Qutb les représentait. Dès 1954, il fut emprisonné. Une fois libéré, on lui proposa de diriger la revue des Frères musulmans. Cette fois encore, cela ne dura pas longtemps. Il fut de nouveau arrêté. Comme il était souvent malade, il fut transféré à l’hôpital de la prison où il resta dix ans. Durant cette période il écrivit un commentaire du Coran en huit volumes. Mais son œuvre la plus enflammée est Pierres milliaires, dont le manuscrit sortit progressivement de la prison. Le livre contenait ses instructions pour l’« avant-garde » appelée à conquérir le monde en le soustrayant, au nom de l’islam, à la jahiliyyah, la pernicieuse « ignarité » qui englobe les musulmans réfractaires à la charia et tout le reste des vivants. Il fut le guide de l’action d’un autre Égyptien, al-Zawahiri, et de son compagnon Oussama Ben Laden, ainsi que de celui qui allait devenir l’ayatollah Khamenei.
Qutb fut de nouveau relâché. Il lui aurait été alors permis de s’expatrier. Mais il persista dans son refus. Il fut finalement jugé et condamné à mort. Sadate était l’un des trois juges de ce tribunal. À la lecture de la sentence, Qutb déclara : « J’ai pratiqué le jihad pendant quinze ans et j’ai réussi à gagner le martyre, shahadah. » Il fut pendu à l’aube du 29 août 1966.
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Le complot naît avec l’histoire. De même, le fantôme d’un centre caché régissant les événements. Les assassins-suicidés ramènent à Ben Laden dans les cavernes de Tora Bora, qui ramène à Hasan-i Sabbâh dans la forteresse d’Alamut. Il est des formes qui ne s’éteignent pas. Elles muent, se chargent et se vident de significations selon les occasions. Mais un mince fil les relie toujours à leurs débuts.

La nature est venue en aide, au moins une fois, à ceux qui veulent imposer partout la charia. Sans même recourir au terrorisme pour ouvrir la voie. En décembre 2004, le tsunami qui s’abattit sur une pointe de Sumatra, dans l’Aceh, dévasta tout, ne laissant debout qu’une mosquée. Il fallait repartir de zéro, situation convoitée par toute utopie. C’est ainsi que prit forme une enclave de la charia, placée sous la surveillance bien visible des Gardiennes de la Vertu : « Elles ont des uniformes vert islam, des fouets de Malacca et des cœurs de pierre. Elles viennent des campagnes et savent comment il faut traiter les gens des villes. En général elles se montrent à Banda Aceh le vendredi, avant la prière. Elles avancent avec un mégaphone et un pick-up, lui aussi de couleur verdâtre, portant l’inscription Wilayatul Hisbah : escadron de la charia. Elles ne sont pas nombreuses, une douzaine, mais elles surgissent d’un peu partout et quand on ne s’y attend pas. » Elles ratissent les cafés, les jardins publics, les rues, les chambres à coucher. Les arrestations et les punitions sont immédiates. Coups de cravache de rotin sur la place publique.
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Ce n’est pas sans quelques motifs profonds si dans les lieux et sous les formes les plus diverses tant de tribus humaines ont célébré des sacrifices. Et même, sans un enchevêtrement de motifs dont on ne finit jamais de démêler l’écheveau. Certes, le monde séculier n’a jamais accepté de célébrer des sacrifices. Mais c’était là un pan du passé dont il ne savait trop comment se délivrer. Il suffit d’ouvrir Les derniers jours de l’humanité de Karl Kraus, qui reprend en grande partie ce qu’on lisait alors dans les journaux et ce que l’on entendait dans les conversations des gens, pour constater que pendant la Première Guerre mondiale on parlait tout autant de « sacrifices » que d’actions militaires. Mais cela ne fut pas suffisant. Il fallut une autre guerre — et, assortie d’une entreprise démesurée et effroyable de désinfestation, encore une fois pour liquider le sacrifice. Mais cela non plus n’a pas suffi. Après un obscurcissement séculaire pendant lequel il semblait avoir perdu son génie, comme si la prodigieuse floraison qui avait précédé l’eût éreinté, quelque chose à l’intérieur de l’Islam tressaillit de nouveau et, par la bouche de Sayyid Qutb, somma d’opposer de nouvelles « valeurs saines » à la corruption de l’Occident et à l’obnubilation de l’Islam lui-même, qui consistait d’abord dans l’acquiescement progressif aux modes de vie de l’Occident. Ainsi, certains, peu nombreux, commencèrent à se tuer afin d’en tuer beaucoup d’autres, le plus grand nombre possible.
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Perspectives sur le sacrifice.
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