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sur 12350 notes
Ceux qui agissent, ceux qui pensent (mal)
ET
le troupeau qui tourne en rond.

La peste - une maladie jadis synonyme de fin du monde, les épidémies formant avec les guerres, la famine et la conquête le quatuor des cavaliers de l'apocalypse. Cette peste, que Camus situe à Oran dans les années “ 194.” est, bien sur, une métaphore couvrant toute une série de possibilités, même si beaucoup ont voulu y voir l'image de l'occupation . A mon sens, elle représente tout désastre à la fois collectif et individuel, qui interrompt le cours espéré de l'existence, mettant ainsi en évidence la vulnérabilité de l'homme et de son bonheur. Ce face à face avec la finitude de l'existence, avec les brisures qui la traversent, et qui peuvent brusquement la faire éclater, choque les illusions qui bercent la vie en temps “normal”.

Ainsi nous nous retrouvons à Oran, où, soudain, des événements étranges se déroulent. Une infestation de rats. Qui viennent crever sur les paliers, puis à la rue et sur les places publiques. Ensuite, des maladies soudaines, brutales, fatales. Leur nombre croît rapidement. Mais personne ne veut, ne peut y croire. Une chose étrange se passe, mais comme elle ne peut trouver sa place dans la vie normale, elle est ignorée. On hausse les épaules. C'est bizarre mais ça passera.

En quelques semaines, la maladie dévoile son visage, devient épidémie galopante, et chacun est bien obligé de prendre position, de se dévoiler en réponse au mal. La position que l'on prend reflète l'attitude fondamentale que l'on a envers la vie : les masques tombent. Il y a ce vieil asthmatique qui se réjouit . A t-il trop souffert, est-ce un misanthrope ? Les opportunistes, pour qui la catastrophe est une belle occasion de faire des affaires en contrebande de personnes ou de biens. Un journaliste, amoureux, qui ne pense qu'à rejoindre sa bien-aimée hors des postes de garde qui quarantainent désormais la ville. Et l'immense masse qui tourne en rond, essayant de tromper son ennui - le vide essentiel de son existence tel que révélé par l'épidémie - en parcourant les boulevards et en assistant pour la quinzième fois à la projection du même film, même les bobines de films étant interceptées par l'armée.

Il y a donc l'immense majorité de ceux qui s'accommodent de l'épidémie, et il y quelques individus qui luttent. Il y a surtout Rieux et Paneloux . le premier est médecin. Confronté à la souffrance, à la mort, il agit. Non en se référant à une doctrine, mais simplement par humanité. Et parce que c'est son travail. Il fait ce qu'il peut, même si c'est peu de choses, parce qu'il peut le faire. Et pour cela, il est prêt à sacrifier son bonheur - car lui aussi a quelqu'un qui l'attend ailleurs. Il donne tout pour rien, ou presque rien ,sans autre espoir que celui de continuer à lutter. L'image de Sisyphe surgit … Paneloux, lui, est prêtre. Il est de ces gens qui veulent tout, absolument tout justifier en l'incorporant dans un schéma explicatif. Mais il est des choses, telles que la souffrance, telles que le mal, qui relèvent du domaine du mystère. Un prêtre devrait savoir cela. Mais rien ne résiste à la fureur justificatrice de Paneloux, qui restructure le problème jusqu'à ce que ses systèmes de pensée puissent l'accommoder. C'est ainsi que font les fanatiques de tous bords : ils racontent ou commettent des horreurs en essayant d'expliquer ou de remédier à l'horreur. Rieux est protégé par son humilité : il n'essaye pas de comprendre, se contentant de faire sans expliquer ni justifier. La force de l'humilité, pas celle de l'absurde, est pour moi le thème central de ce roman.


Ce livre m'a rappelé quelques souvenirs de l'époque du Covid. Je me souviens de cette grisaille. Aujourd'hui encore je différencie mal ce qui s'est passé en 2020 de ce qui s'est passé en 2021 : tout cela est une masse indifférenciée, en grande partie oubliée. le temps avait suspendu son vol, et pas parce que l'instant était merveilleux. Je me souviens aussi de cette masse de gens qui; d'abord, avait déclaré que nous étions des “ héros” ( je travaille en hôpital, même si je ne suis pas soignant), pour quelques mois plus tard surcharger désastreusement le système de soins parce qu'ils n'étaient pas capables de se passer de sorties en boîte plus de quelques semaines. La bêtise, la lâcheté, la connerie généralisées - comme celle des masses qui tournent en rond sur les boulevards d'Oran. C'est aussi pour cela qu'il m'a fallu deux semaines pour terminer ce livre.








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Je ne savais plus si j'avais lu « La peste » dans un temps perdu de ma scolarité, ou de ma jeunesse. Oui, mon truc à moi, ça serait plutôt Alzheimer donc.
En ces temps de vous savez quoi, je me suis dit que ça serait sympa. Euh pas sympa non, utile, intéressant, enrichissant, éclairant, etc. Et ça l'a été.
C'est un assez long roman, difficile de ne pas faire le lien et le rapprochement avec ce que vous savez, malgré la parabole sur la guerre qu'a vraisemblablement voulue Albert Camus à sa création. Il focalise son attention sur une poignée de personnages masculins dont le docteur Rieux (double de Camus) qui vont évoluer au gré de l'enfermement dans Oran la pestiférée. Les idées et les réflexions y sont légion, dans une prose dense, parfois difficile à suivre.
C'est aussi un beau roman, sous forme de chronique.
Je ne l'avais vraisemblablement jamais lu, ou alors je suis vraiment atteint. Pas par la peste hein (ni le Covid).

« Mais il savait cependant que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu'il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d'admettre les fléaux, s'efforcent cependant d'être des médecins. »
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Jamais démenti depuis sa publication en 1947 par Albert Camus, le succès de la peste en librairie a rebondi en 2020, comme un effet secondaire de la pandémie de la Covid-19.

Pour ses premières ébauches, l'écrivain avait été inspiré par de petites épidémies locales survenues en Algérie, sa terre natale. Il a finalement opté pour la « chronique » d'une peste fictive d'envergure qui se serait abattue sur Oran, amenant au confinement total de la ville. Un confinement différent de ce que nous avons connu, puisque dans le roman, il n'est question ni de masques, ni de gestes barrières, ni de fermeture des restaurants – qui sont bondés –, alors qu'en revanche, la ville est totalement bouclée, nul ne pouvant y entrer ou en sortir ; le courrier est interrompu, de peur que les lettres ne transportent des germes, le réseau téléphonique interurbain est coupé, ne pouvant supporter l'afflux prévisible des communications.

La peste est une maladie fortement létale. Mais le risque est aussi de se retrouver prisonnier ou exilé. de l'intérieur ou de l'extérieur, il n'y a alors aucune possibilité, pendant de longs mois, d'échanger avec des parents ou des êtres aimés, si ce n'est par de très courts télégrammes. de quoi réduire le souvenir de l'autre à une pure abstraction. J'ai été sensible à l'enfer personnel – pudiquement passé sous silence – vécu par le docteur Rieux, personnage principal et narrateur discret, dont la femme, gravement atteinte de tuberculose, était partie se faire soigner à la montagne.

Le livre peut se lire rapidement si l'on se cantonne à la chronologie des événements, si l'on tient les commentaires du narrateur pour de simples observations anecdotiques et si l'on ne se pose pas de questions existentielles sur les attitudes des différents personnages, lesquels vivent au quotidien, chacun à sa façon, les sujétions de l'épidémie. Si je me fie à mes souvenirs, c'est dans cette disposition d'esprit que j'avais lu La peste dans ma jeunesse.

La lecture prend une autre dimension quand on sait que Camus voyait son livre comme une allégorie de la résistance au nazisme pendant l'Occupation, mais aussi lors de l'insidieuse contamination des esprits par la « peste brune » tout au long des années trente. Une dimension qui oblige à une lecture lente, analytique, laborieuse. Car comment nous projeter en ce temps-là, désormais, alors que nous sommes englués dans notre propre actualité liée à la Covid-19 ?

J'ai souri en retrouvant dans le livre une Administration qui hésite, qui tarde à réagir, craignant les réactions de la population, à juste titre d'ailleurs, car l'on conteste, proteste, minimise ou dramatise à l'excès, tout en se pliant bon gré mal gré aux privations de liberté qui s'imposent. La mise au point de vaccins suscite l'espérance, puis d'amères désillusions. Mais ce qui désespère les gens est le sentiment de n'avoir aucune prise sur le fléau, sur son expansion, sur sa durée : jusqu'où et jusque quand cela durera-t-il ? se demandent-ils, comme nous.

Malgré le réalisme atroce de certaines scènes d'agonie, la peste du roman n'est pourtant qu'une abstraction, un fléau absurde qui apparaît et prend fin sans véritable explication, un drame auquel la population cherche un sens alors qu'il n'en a pas. Une maladie comme la peste, une idéologie comme le nazisme ne seraient que des incarnations du Mal, apparaissant sans raison pour frapper l'humanité.

Les personnages du roman nous éclairent sur les convictions de Camus. Ceux qui cherchent une réponse dans la religion ou dans les idéologies se fourvoient. Quelques-uns – les collabos ! – profitent du Mal, mais la majorité choisit de résister, chacun à sa manière. Au-delà de la fureur, du désir de vengeance ou de l'héroïsme exalté, la résistance appropriée serait d'intervenir au quotidien auprès de ses concitoyens pour les aider à survivre, ainsi que s'y emploie activement le docteur Rieux, un humaniste attentif à tous, soucieux d'accomplir sa mission de médecin.

Je garde de cette deuxième lecture de la peste le souvenir de moments difficiles, mais intéressants, et il n'est pas exclu que j'y revienne un jour.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Le roman s'inscrit dans le cycle de la révolte de Camus.: -La peste - l'homme révolté et les Justes
La peste est interprétée comme une transposition de l'occupation Allemande en France,ainsi que l'organisation qui s'en saisit. Mais ce n'est pas tout :
Elle constitue un réel engagement de l'auteur,qui se livre à une satire bien plus large; une ample réflexion, par laquelle s'exprime,un humanisme septique et lucide.
Cette subite irruption de la maladie qui marque un contraste saisissant avec la routine, traduit cette idée d'enfermement de l'individu dans la prison de sa propre condition humaine.
Parallèlement l'absurde s'y inscrit dans une perspective culturelle, outre qu'elle renvoie à l'histoire des fléaux et qu'elle soit liée à la guerre.
Les journaux, naturellement, obéissaient à la consigne d’optimisme - à tout prix - qu’ils avaient reçue. A les lire, ce qui caractérisait la situation, c’était "l’exemple émouvant de calme et de sang-froid". Mais dans une ville refermée sur elle-même, où rien ne pouvait demeurer secret, personne ne se trompait sur "l’exemple"donné par la communauté.
Il y avait d'autres sujets d’inquiétude...
Par suite des difficultés du ravitaillement qui croissaient avec le temps. La spéculation s’en était mêlée.
Les pauvres qui souffraient ainsi de la faim, pensaient, avec plus de nostalgie encore, aux villes et aux campagnes voisines, où la vie était libre et où le pain n’était pas cher.
Puisqu’on ne pouvait les nourrir suffisamment, ils avaient le sentiment, d’ailleurs peu raisonnable, qu’on aurait dû leur permettre de partir; si bien,qu’un mot d’ordre avait fini par courir, qu’on lisait parfois sur les murs, ou qui était crié, sur le passage du préfet : " Du pain ou de l’air! ".
Cette formule ironique donnait le signal de certaines manifestations vite réprimées, mais dont le caractère de gravité n’échappait à personne.

Alors que la peste, par l’impartialité efficace qu’elle apportait dans son ministère, aurait dû renforcer l’égalité chez nos concitoyens, par le jeu normal des égoïsmes, au contraire, elle rendait plus aigu dans le cœur des hommes le sentiment de l’injustice.
Il restait, bien entendu, l’égalité irréprochable de la mort, mais de celle-là, personne ne voulait.
Le fléau,en tant que rupture concrète avec l'ordre habituel des choses,devient une véritable intrusion surnaturelle,invraisemblable.
Le docteur Rieux incarne le stoïcisme désespéré de l'homme qui lutte sans illusion contre la cruauté du destin.
De même Tarrou, au lieu de partir retrouver au loin la femme qu'il aime,préfère,lui aussi,rester pour soigner inutilement les malades :
- Qu'est-ce qui vous pousse à vous occuper de cela?
- Je ne sais pas,ma morale,peut-être.
- Et laquelle?
- La compréhension.
Comment ne pa être séduit par cette forme d'engagement élevé?
Ce sont finalement,ceux qui ont les idées bien arrêtées qui, vont "se retrouver" dans la maladie et mourir, à l'instar d'un Panetoux qui prêche :"Le fléau qui vous meurtrit,vous élève et vous montre la voie",refuse d'admettre l'évidence et se départir de sa foi aveugle en Dieu - il ne peut que renoncer à vivre-
En revanche, Grand prend conscience de ses failles et admet le tragique de sa condition. Il incarne de ce fait, le héros Camusien par excellence.
La peste est finalement une allégorie,une forme concrète du mal métaphysique,
où les personnages incarnent les différentes attitudes face au monde absurde et à la solitude de l'univers.
La structure du roman n'est pas sans rappeler la tragédie classique.
Le narrateur s'engage dans un véritable travail de dramaturgie.
On en sort toujours ratatiné,quelle peste !
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Le narrateur, que l'on ne connaîtra qu'à la fin du récit, relate la chronologie des évènements qui se sont déroulés à l'occasion de l'épidémie qui se répand à Oran. le personnage principal est le docteur Rieux, pragmatique, responsable, qui voit Mr Michel, le gardien de son immeuble développer des signes inquiétants de maladie. Son cas s'aggravant rapidement, Rieux doit se rendre à l'évidence et, avec ses confrères, constatent ce qu'ils redoutaient, la peste est de retour. L'évènement, incroyable en soi, va servir de révélateur de la nature humaine de l'ensemble des personnages croisés par Rieux, chacun représentant une facette de la société... Il y a le juge Othon qui représente la rectitude de la loi, d'abord sceptique jusqu'à ce qu'il soit concerné personnellement, Rambert le journaliste qui fait jouer ses relations pour obtenir le passe-droit qui le fera sortir de la ville, Grand, l'employé qui s'essaye à l'écriture, Tarrou le politique, lucide sur la nature humaine ou encore Cottard qui sent les opportunités offertes par la crise, sans oublier l'Eglise avec Paneloux, le curé. Au delà des personnes, c'est le système qui est dépassé, les autorités médicales hésitent avant d'identifier la peste, l'administration ne sait que faire et rapidement les manques de matériels, de salles, de personnels, se font sentir.

Albert Camus, avec la peste, dissèque avec méthode et objectivité, toutes les étapes d'une crise sanitaire avec un tel réalisme que cela en est confondant avec la crise actuelle du Covid 19..., les mêmes doutes, hésitations, retards de décisions avec des initiatives individuelles pour s'entraider ou trouver du matériel et écoper au mieux dans ce bateau qui fuit. Mais outre les séquences du combat contre le fléau, Camus recadre les conséquences humaines de la crise en y développant ses réflexions philosophiques et humanistes soulignant l'altruisme raisonné de l'un ou l'opportunisme de l'autre, en passant par le désespoir ou la rédemption.
Si ce roman, au sortir de la seconde guerre mondiale, faisait immanquablement penser au nazisme comme fléau à combattre, il devient avec la crise du Covid 19 d'une acuité époustouflante.
La peste est un récit éclairant, distancié et objectif, tellement réaliste que cela peut angoisser.
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Cette oeuvre d'Albert Camus fait partie des grands romans français du XXème siècle. Mon commentaire sera bref, car l'histoire racontée est bien connue. L'auteur imagine que, dans les années '40, la ville d'Oran atteinte par une épidémie est placée une quarantaine. Cette ville coupée du monde ne peut compter que sur ses propres forces, sur ses habitants eux-mêmes. Dans la population, on trouve tout l'éventail de personnalités possibles, du plus héroïque au plus égoïste. Les protagonistes sont tous bien campés. Mais celui qui apparait sur le devant de la scène est le docteur Rieux, une sorte de saint laïque qui se dévoue sans ostentation pour soigner les malades: un combat presque toujours perdu, mais qu'il se doit de mener. Il prend aussi le temps d'avoir de nombreuses discussions de "philosophie pratique" avec diverses personnes qui ont un point de vue différent sur l'Homme. Ce beau et terrible récit est, pour Camus, une occasion d'exposer sans intellectualisme ses conceptions sur notre monde tel qu'il est. Contrairement à ce qui est souvent répété, la peste ne représente pas seulement le nazisme, mais aussi et plus généralement le Mal dans toute sa dimension métaphysique. Ici il s'agit surtout d'éthique, bien plus que de politique. L'auteur démontre qu'il est un humaniste convaincu (moins froid et cynique que son contemporain J.-P. Sartre, dans ses oeuvres théâtrales ou romanesques). Peut-être notre XXIème siècle est-il un peu frileux devant une conception aussi sérieuse et presque "héroïque" des droits et devoirs de l'homme ? En tous cas, je pense toujours que ce roman est bien un des chefs d'oeuvre d'A. Camus.
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Pourquoi relire La Peste tant d'années après une première lecture ?

Je pourrais dire simplement que c'est parce que j'ai grandi depuis. Que cette lecture qui avait été prescrite à l'époque s'est imposée d'elle-même aujourd'hui. L'auteur qui rebutait autrefois par l'austérité de sa pensée me serait devenu fréquentable. Rien d'affriolant en effet, en ce naguère de première lecture, dans les lignes du prix Nobel pour un esprit juvénile qui ne rêvait que de frivolités. La complexion de l'adolescence est porteuse de tellement d'utopies, de fantasmes qu'elle verse à contre cœur aux questions existentielles. Privilège de la jeunesse, Dieu merci!

Mais le voilà donc qui sort du bois celui-là, au travers de cette expression de l'inconscient populaire. Inconscient il faut vraiment l'être pour le remercier. Camus s'en garde bien, lui qui n'a de cesse de lui reprocher son silence, l'état de perplexité dans lequel il nous abandonne, au point de rejoindre Nietzche lorsqu'il annonce que Dieu est mort.

J'ai donc relu La Peste. Edition Folio, acquisition 1973 ticket de caisse faisant foi, abandonné en marque-page. Entre des pages désormais jaunies. Des pages au grammage lourd, on avait cure des forêts en ce temps-là où l'on n'avait pas encore pris la mesure du trou dans la couche d'ozone.

Depuis cette date, encore lisible sur le ticket de caisse, j'ai eu l'occasion de faire plus ample connaissance avec l'homme révolté au travers de ses autres oeuvres, dont celle éponyme. J'ai acquis désormais la certitude de bénéficier à propos de cet ouvrage d'un éclairage que ne m'avait pas autorisé mes dissipations adolescentes.

Qui a dit qu'on ne relisait jamais le même livre sous la même couverture ? Cette nouvelle lecture m'a donc autorisé un regard neuf sur l'oeuvre. Elle m'a permis de dénicher le philosophe derrière le romancier. De décoder les travers et les tourments dont il s'inspire pour crier sa révolte. Quand il a pris la plume pour écrire cet ouvrage, il sortait tout juste de cette peste affublée d'un qualificatif de couleur sombre, qui pour le coup exonère le divin de toute responsabilité quant à son origine : la peste brune. Une peste d'origine bien humaine celle-là. Comme s'il ne suffisait pas des fléaux naturels pour précipiter l'homme vers son échéance ultime. Les analogies se dévoilent alors. Dans cet huis-clos à l'échelle d'une ville, on identifie toutes les postures de l'homme assiégé par l'adversité: la peur, l'individualisme, la lâcheté, la révolte, la superstition, mais aussi le courage et l'abnégation, plus rares. Les résistants de la première heure et ceux qui rejoignent le camp des vainqueurs sur le tard.

Celle nouvelle lecture m'a aussi fait donner de l'importance au plaidoyer de son auteur contre la peine de mort. Lorsque Tarrou découvre la raison pour laquelle son père, avocat général à la cour d'assise, part certains jours avant l'aube pour se rendre à son travail. Les jours où tombe le couperet.
Plus anecdotiquement, elle m'a fait relever à la page 60 de cette même édition, l'allusion faite à cet autre roman de Camus lorsque les cancans diffuse les faits divers et évoque l'assassinat d'un arabe sur une plage.

La Peste est la chronique froide d'un observateur dont on apprend en épilogue les qualités et rapports aux faits relatés. C'est un examen clinique de l'âme humaine en butte à l'incompréhensible de sa condition. Crédos de l'humaniste dans son oeuvre, les cycles de la révolte et de l'absurde se fondent en un vortex de perdition qu'aucune philosophie ne parvient à alléger du poids de la question restée sans réponse: quelle intention supérieure derrière tout ça ?

La Peste fait partie de ces ouvrages dont on ne se sépare pas. Même quand on pèche par insouciance juvénile, on comprend quand même que les mots simples qui le peuplent expriment une pensée lourde, à valeur intemporelle. Il n'est point question d'effet de mode avec pareille oeuvre. A conserver donc, pour une autre lecture dont on sait déjà qu'elle sera différente.
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10 octobre 2016
Relire La Peste, une fois de plus, mais cette fois-ci dans une édition prestigieuse de 1962 , celle de L'Imprimerie nationale , tirée en 9 900 exemplaires, un ouvrage somptueux qui vient de m'être offert et qui porte le numéro 6 338, cadeau royal, plaisir incommensurable pour une camusienne inconditionnelle…
Au-delà de cette énième lecture qui m'apporte, à chaque fois, autant d'émotion, j'éprouve un saisissement encore plus puissant parce que cet ouvrage, en deux tomes, est illustré par Edy-Legrand ( Édouard Léon Louis Warschawsky – 1892/1970) de plusieurs aquarelles qui témoignent et qui renforcent l' atmosphère pesante, morbide de cette cité touchée par le fléau de la peste.
Réalité et fantasmagorie à la fois : personnages caricaturaux, vêtus à la mode des années 1930, femmes portant mantille, vieille femme, près d'une fenêtre, qui ressemble à Catherine Camus, la mère de l'écrivain, paysages, rues, intérieur d'église … et cet air espagnol si caractéristique d'Oran qui flotte et que l‘on ressent !
Camus, admiratif, passionné par l'art appréciant le travail des artistes sculpteurs, architectes et peintres en particulier, fut pénétré par ce travail artistique. Il lui dédia le texte suivant qui figure en en-tête du livre :
« A Edy-Legrand
Le monde ne nous apparaît jamais tel qu'il est ; quelque chose en lui, ou en nous, le dépasse en l'affirmant ; la réalité enfin n'est jamais pure, sauf dans la mort où elle triomphe. Mais le mythe non plus n'a pas d'existence suffisante, sauf dit-on dans cette ville éternelle où il règne seul. Chaque homme le sait sans le savoir, soit que jour après jour il se rapproche du réel vers une mort inacceptable, soit qu'il s'en éloigne vers le mythe éternel et l'impossible survie. Entre les deux se trouve l'artiste, seul à connaître, par sa souffrance même, que la réalité n'est rien sans l'aspiration qui la transcende et que le mythe est illusoire hors de la réalité qui le fonde. Mais le véritable artiste est rare. Ils sont légion, ceux qui rêvent ou qui s'abaissent, croyant créer…
J'aime ainsi l'oeuvre d'Edy-Legrand qui m'offre le réel corrigé par un style. Les visages les plus communs y sont insolites, la rue se peuple de questions sans cesser d'être familière. La meilleure façon par exemple de mal illustrer La Peste eût été d'ignorer que cette oeuvre était un mythe en même temps qu'une photographie du réel. Edy-Legrand s'en est gardé. En grand artiste, là comme dans toute son oeuvre, il nous montre d'abord Oran, mais un Oran subtilement décalé. le même Oran, certes, que celui de tous les jours, mais nettoyé à neuf, tiré hors du brouillard des habitudes, et dès lors plein d'insécurité innocente.
C'est cela, et pourtant cela n'est pas, le monde n'est rien et le monde est tout, voilà le cri ambigu et inlassable de tout artiste véritable, le cri qui le tient aux aguets et debout, sans jamais fermer les yeux, et qui, de loin en loin, réveille au sein du monde endormi et trompeur le souvenir fugitif de ce que nous n'avons jamais connu.
A.C.
Voilà, moi, je tenais, tout simplement, à vous faire partager ces moments de plénitude apportées par cette lecture et la contemplation de ces images.
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Un classique de la littérature française au fond d'une PAL. Peut-être à cause de son titre peu inspirant : qui veux entendre parler de la peste, de souffrances et de morts? On en a bien assez aux infos et dans les pages des journaux… Et en plus, c'est écrit par un philosophe et la philosophie, n'est-ce pas hermétique et ennuyeux?

Mais après avoir ouvert les pages, je n'ai pas pu résister à la contamination de cette lecture. C'est avant tout une histoire humaine, des personnes enfermées dans une ville qui risquent la mort, mais aussi des personnes qui font leur travail pour sauver les autres. On y trouve de la générosité et de l'égoïsme, du partage et de la mesquinerie et même des histoires d'amour.

Malgré la tragédie du sujet et la profondeur des idées, l'écriture demeure accessible et belle. le roman se déroule dans les années quarante, mais demeure actuel. Bien sûr, on n'y trouve pas les technologies de communications d'aujourd'hui, mais les villages touchés par l'ebola en Afrique et les victimes du choléra en Haïti ne sont pas mieux loties que les pestiférés d'autrefois. le décor change, mais les humains restent les mêmes.

Les réflexions valent qu'on s'y attarde et comme l'auteur j'aimerais dire : « Eh bien moi, j'en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l'héroïsme, je sais que c'est facile et j'ai appris que c'était meurtrier. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime. » 
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Ce livre a connu une longue gestation, plusieurs versions, avant d'être publié en 1947. Malgré l'insatisfaction persistante de Camus envers son roman, ce dernier connaît un succès important et immédiat, et qui ne s'est pas démenti depuis. Cet ouvrage a été tellement lu, commenté, analysé, enseigné, qu'il paraît très difficile d'écrire à son sujet, sans dire des banalités ou des évidences.

Le livre se présente comme une chronique, écrite par un auteur anonyme, mais nous découvrirons à la fin du roman qu'il s'agit du docteur Rieux. Une chronique, donc en principe une description de faits, des événements. Nous sommes dans les années 40 du siècle dernier à Oran, lorsque surgit la peste. Nous suivons le fléau depuis les premiers signes annonciateurs (la mort de rats), puis les premiers cadavres humains surgissent, tout le monde hésite encore à poser le terrible diagnostic. Il devient impossible de réfuter ce qui est devenu l'évidence, et la ville est fermée pour éviter la propagation de la maladie. Les morts sont de plus en plus nombreux, nul n'est sûr d'y échapper. Puis, nous assistons au reflux de la maladie, aussi incompréhensible que sa venue.

Les cinq parties du roman sont en quelque sorte les cinq actes d'une tragédie en train de se dérouler sous nos yeux. Mais la chronique est en réalité une sorte de fable, de moralité. Il ne s'agit pas de faire le récit d'une peste survenue à un moment à un endroit donné, mais d'une métaphore, d'une allégorie. L'auteur lui-même a défendu l'idée qu'il s'agit de la seconde guerre mondiale, même si on ne peut résister à l'idée qu'il s'agit du Mal en général, dont les atrocités de la seconde guerre mondiale ne sont qu'un exemple, même si c'est celui que est le plus proche dans le temps de la rédaction du livre de Camus.

Au-delà des événements, ce qui est surtout important, ce sont les réactions des différents personnages, chacun représentant une attitude possible en face de ce qui arrive. Rieux fait son métier de médecin, alors même que ses soins ne paraissent pas changer grand-chose au devenir de ses malades. Un noyau de personnages autour de lui s'engage activement pour aider dans la lutte, qui semble désespérée, voire inutile, en trouvant dans cet engagement une chaleur humaine et une forme de fraternité : Jean Tarrou, Rambert, Grand, le père Paneloux, le juge Othon etc...Chacun vient à son heure et avec ses raisons, par exemple Othon après la mort de son fils.

Une des questions essentielle est celle du sens de la maladie, de la mort, du mal. Camus laisse entendre qu'il n'y en a pas. le mal est insaisissable, il échappe à la maîtrise et compréhension humaine. Paneloux qui essaie de lui donner un sens, de concilier l'idée d'un Dieu bon et juste avec l'existence du mal, finit par mourir, dans une sorte de folie. Car il faudrait admettre que le mal est juste et nécessaire, qu'il répond à une culpabilité présente dans chaque être humain, même dans un enfant innocent. de même les idéologies, l'action politique, censées éradiquer le mal, ses causes, finissent par le produire, c'est la confession de Tarrou. L'homme ne peut que se contenter de gestes simples et fraternels, de bonne volonté, sans prétendre à comprendre ce qui n'a pas de sens, ni espérer pouvoir maîtriser ce qui arrive. le présent est la seule chose qui compte, on ne peut changer le passé, ni adoucir le futur.

Ce qui est frappant, c'est que le mal est ici quelque chose d'extérieur aux hommes, enfin au groupe qui est au centre du roman. Certes ils ont leurs moments de faiblesse, leurs petitesses, leurs défauts, mais ils font au final face, de la meilleure façon qu'ils peuvent. le seul chez qui le mal semble exister à l'intérieur, est Cottard, le seul à se réjouir du malheur collectif, qui lui permet d'échapper pour un temps à la conséquence de ses actes, qui s'épanouit en temps de peste. La fin de celle-ci sera sa fin.

C'est bien évidemment un livre impressionnant, d'une redoutable efficacité, et qui semble ne devoir jamais perdre sa pertinence et son impact sur le lecteur. A lire et à relire, y compris lorsque tout va bien.
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