« Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas ». L'incipit le plus célèbre de la littérature française. Au moment où on le lit on ne le sait pas mais on le sent : tout est déjà là, dans ces deux phrases de Meursault.
Tout le monde connait l'histoire : Meursault a commis un meurtre. Nous sommes en Algérie, avant l'indépendance. Meursault a tué un algérien. Pourquoi ? S'en repend-il ?
Le récit, fait par la voix de Meursault, est en deux parties : les quelques jours qui précèdent le crime, entre l'annonce de la mort de la mère jusqu'à ce dimanche tragique sur la plage ; les semaines et mois de l'arrestation jusqu'aux jours suivant la condamnation.
Le style est très dépouillé. Des phrases courtes, simples (trop selon
André Malraux), qui collent à la personnalité un peu rustre de Meursault. Un ton qui inscrit le personnage dans sa singularité. Meursault dans la première partie a l'air hébété. Tout du long il semble subir la situation. le récit est fait par sa voix uniquement. Cela donne à la fois une vision réaliste mais aussi une sorte de détachement, quasiment mécanique, sans sentiment. Il semble étranger à ce qui l'entoure, étranger à sa vie. Il a l'air imperméable à toute émotion. Que ce soit le décès de sa mère ou le baiser d'une jolie fille, le même regard neutre à défaut d'être froid. Il est décrit comme un homme taciturne, renfermé, incapable d'exprimer des sentiments. Il n'est pas totalement insensible tant il parait capable de s'émouvoir de la lumière du jour, de la douceur d'un moment. Les jours qui précèdent son crime, il passe de l'enterrement de sa mère, dont il semble spectateur et détaché, à un week-end entre amis où il semble savourer le bonheur d'être amoureux et aimé. Pourtant on a l'impression tenace qu'il n'est qu'une coquille vide, imperméable au monde qui l'entoure, à sa vie, à toute sensation ou sentiments. le résultat d'un traumatisme ancien dont nous ne saurons rien ? Qu'est-ce qui a fait de lui cet être insensible aux codes de la société ?
Pour le lecteur un sentiment d'absurdité. Il apparait clairement dans la seconde partie, dès l'interrogatoire avec le juge et l'irruption de la religion dans la préparation du procès. Son procès fini par se faire sans lui bien qu'en sa présence, sans qu'il s'exprime, empêché par son avocat. Comble de l'absurde : c'est au moment où il prend conscience de ce qu'il a perdu en n'éprouvant pas de sentiment, qu'il est privé de la possibilité d'exprimer ce qu'il ressent enfin.
Un roman qui nous parle de l'absurdité de l'homme et de celle de la vie en général. À moins qu'il ne nous parle de l'incapacité de la société à accepter une vision différente du sens de la vie. Lu à l'adolescence je n'en avais pas perçu toute la portée. Il aura fallu un challenge Babelio pour que je le ressorte de la bibliothèque malgré l'envie longtemps repoussée de le relire.