Dans son billet du 19 mai dernier, Oran/Michèle, la grande spécialiste du Nobel français
Albert Camus, a bien sûr entièrement raison lorsqu'elle note qu'il est : "difficile de commenter cette lecture composée de textes différents...." Je profite de cette occasion pour louer les efforts impressionnants de cette dame d'Avignon, faisant partie de l'Association Rencontres Méditerranée Albert Camus, basée à Lourmarin où il repose. Cette Association a pour vocation d'évoquer, informer, promouvoir et faire connaître les contributions de Camus au patrimoine local, régional, national et international, ainsi que la culture méditerranéenne.
Cependant, j'estime que le sujet du terrorisme est, malheureusement, d'une telle actualité et d'une telle complexité que pour approfondir ses propres "réflexions" à ce sujet, il convient de lire comment ce grand maître à penser et cet esprit d'une lucidité rare analyse ce phénomène.
Et comme s'il était encore nécessaire de prouver que le terrorisme est d'actualité, un fou criminel vient de tuer, le 29 mai à Liège, 2 agents-femmes de police et un étudiant de 22 ans, de blesser 2 autres policiers à la jambe et 2 aux bras, avant d'être abattu par les forces de l'ordre. L'homme, un certain Benjamin Herman, 34 ans a été depuis 2003 quasi de façon ininterrompue en taule pour toutes sortes de délits. Apparemment, il s'agit d'un criminel de droit commun, bien que selon le procureur fédéral la piste du terrorisme ne soit pas à exclure. Il est vrai, que selon un témoin, ses dernières paroles furent "Allahou akbar" (Dieu est le plus grand, en arabe), qu'il est fort possible qu'il se soit radicalisé pendant son séjour (prolongé) à la prison de Lantin, en Wallonie, et que la Sécurité de l'État l'avait fiché comme "radical". À ne pas confondre, néanmoins, avec son homonyme, le virtuose néerlandais du saxophone.
Ce livre se présente comme une compilation de textes variés de Camus relatifs au terrorisme, sélectionnés et introduits par
Jacqueline Levi-Valensi (1932-2004), ex-présidente de la Société des Études Camusiennes et auteure de nombreuses études sur l'oeuvre camusienne, tels "
La chute d'
Albert Camus", "
La peste d'
Albert Camus" et "
Albert Camus ou La naissance d'un romancier (1930-1942)".
Antoine Garapon (°1952), auteur de "
Démocraties sous stress - Les défis du terrorisme global" et "
Bien juger" et
Denis Salas, magistrat et auteur de "
Albert Camus. La juste révolte" les ont commentés.
Comme il s'avère évidemment exclu de résumer cet ouvrage, il appartient à chaque lectrice et lecteur de choisir les passages ou aspects de cette vaste question qui les intéresse tout particulièrement. L'embarras du choix comporte évidemment un élément d'arbitraire. Mon approche s'inscrit fatalement dans cette logique.
Ce qui m'a frappé, personnellement, c'est le titre de l'ouvrage : réflexions sur le terrorisme, or la terreur "justement n'est pas un climat favorable à la réflexion", comme le notent les auteurs. La terreur le plus souvent trouve son origine dans des idées absolues, loin du dialogue constructif, entraînant une riposte aussi violente, tandis que lel but devrait être de faire cesser - comme Camus l'a si bien formulé - "les
noces sanglantes du terrorisme et de la répression".
Camus ne s'est jamais considéré comme un philosophe, mais a estimé qu'il incombait à un écrivain de défendre la vérité et la liberté, comme il a déclaré à Stockholm en 1957 en recevant son
Prix Nobel. Tout au long de sa carrière, il ne s'y est jamais dérobé. Au contraire, il a multiplié ses appels et initiatives pour arrêter terreur et violence. Il était assez réaliste pour savoir que "la non-violence serait souhaitable, mais totalement irréaliste". Toutefois, il est conséquent et ferme lorsqu'il affirme qu'il faut "refuser toute légitimation de la violence".
Les auteurs pointent, sur la base des nombreux écrits de Camus, articles de journaux, lettres, prises de position et ouvrages, comme notamment son "
Le Mythe de Sisyphe" de 1942 et son très important "
L'homme révolté" de 9 ans plus tard, l'évolution de la pensée de l'auteur au sujet de la terreur, le terrorisme et la violence. C'est logique qu'il y ait eu une évolution dans sa pensée, alimentée par le contexte environnant (2e guerre mondiale, les déboires du stalinisme, la guerre d'Algérie, etc.) mais ce qui est absolument impressionnant, à mon avis du moins, c'est que son attitude fondamentale n'a pas fluctué. du peaufinage certes, mais une attitude plein de bon sens et d'une clairvoyance exceptionnelle, qui, en substance, n'a souffert aucune modification notoire : la violence doit être exceptionnelle et limitée (entre autres dans le temps).
Ces 3 spécialistes camusiens ont mis en exergue les différences dans la pensée de Camus, une entreprise méritoire, mais qui n'empêche nullement que le plus remarquable chez cet auteur est son esprit de suite dans les idées, conformes à ses principes de base et convictions profondes. C'est exactement là que se situe toute la grandeur de ce penseur profond et original, que pour cette raison et sa foncière honnêteté, je n'ai aucune hésitation à qualifier de "génie".
Comparé à
Jean-Paul Sartre, un virtuose de la parole, mais où très souvent la logique fait défaut dans ses théories et qui était imbu de lui-même, c'est la simplicité, la clarté et la consistance de ses conceptions qui le distinguent de son compatriote et contemporain.
Jacqueline Levi-Valensi,
Antoine Garapon et
Denis Salas ont mille fois raison lorsqu'ils prônent qu'il convient de lire et relire l'oeuvre d'
Albert Camus. Je suis personnellement persuadé qu'il n'y ait pas de meilleur guide que lui, lorsque l'on a des doutes sur la meilleure manière d'interpréter la violence et la riposte qui se manifestent dans le monde d'aujourd'hui, que cet homme décédé trop tôt, il y a plus d'un demi-siècle, âgé seulement de 46 ans. Ce livre restera sur ma table de chevet, prêt à être consulté en cas de doute sur l'actualité !
Et pour conclure, je note que les Rencontres Méditerranéennes ont programmé, actualité oblige, 2 événements mettant en relief la position de Camus face à la violence. Pour plus de précisions, je vous invite à consulter le site de cette association : http://www.rencontres-camus.com/ Journées de Lourmarin 2018 - 5 & 6 octobre : "De l'ombre vers le soleil,
Albert Camus face à la violence" ; Exposition d'été :
Albert Camus : Violences du monde, 10 juillet-19 août (Bibliothèque de Lourmarin).