recueil d'articles, de prises de parole, de Claudia (dans une langue philosophique) et Roméo (par le geste, l'image, la poésie - même s'il se défend de ce dernier mot) Castellucci
lecture plus ou moins aisée, intérêt constant
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"Iconoclastie" fut pour nous un mot important et maternel. Mot puissant, pour nous qui éprouvions pour l'art la même aversion que Platon. Il pensait que, comparée à la vérité incorruptible des idées, la réalité optique était trompeuse. Au lieu d'éliminer la tromperie de la réalité optique, l'art la reproduisait, tentant en vain de la dépasser. Mais comment était-il possible de dépasser la réalité en faisant abstraction de ses phénomènes? Comment était-il possible de refaire le monde sans avoir entre les mains les éléments du monde, y compris nos propres mains? C'est ce paradoxe qui étranglait dans une contradiction l'art en tout point semblable à l'existence: le théâtre, art de l'imitation par excellence. Alors notre première préoccupation fut de détruire ce qui existait, non pas par besoin d'espace vide, mais par besoin de rupture de la représentation du monde telle qu'elle nous était proposée. Nous avions besoin de recommencer quelque chose de zéro. En effet, même si l'iconoclastie aborde la diminution des images, le mot n'est pas du tout négatif, il est positif. Il ne possède pas de "a" privatif qui nie la manifestation d'un phénomène: "iconoclastie" ne signifie pas "an-icône", ni "sans-icône", mais "je casse l'icône". C'est-à-dire qu'il faut faire quelque chose qui reste visible. C'est pourquoi l'iconoclastie est toujours figurative.
Le théâtre que je connais, que j'ai étudié et qui me renferme, est le théâtre occidental. Le théâtre que j'ai connu n'est pas religieux, n'est pas miraculeux, n'est pas politique ; Aristote lui-même suggère scandaleusement que le noyau le plus intime de la tragédie ne soit pas fait de tout cela : il n'es pas éthique, il est esthétique. Et c'est précisément le fait d'avoir en son sein un problème esthétique, qui précipite tout le théâtre occidental dans une dimension de violence substantielle.
Le geste est suspendu, congelé par le doute, et pourtant il continue dans le bras mécanique qu'Oreste, pour pouvoir frapper, est obligé de porter. C'est le mécanisme qui, en dehors de lui-même, pousse à la volonté, à la décision qui a manqué à Hamlet. Oreste, hésitant, s'adresse à Pylade, préfiguration d'Horatio. Oreste frappe, mais à ce moment-là, il a déjà dilué dans l'ami et dans l'automatisme du bras, la faute du matricule.
Le pont est toujours le même : une haine sèche, dénuée de passion, pour l'idolâtrie du style. Mettre le feu aux immenses archives vides de la tradition est le fondement productif de la genèse blindée de ce théâtre.
On perçoit alors la scène, ici, comme ce lieu - unique au monde - où celui qui parle enlève, creuse et aveugle le mot qu'il vient de prononcer ; ce lieu où celui qui parle, enfin, vient pour se retirer au travers de la voix.
Au sommaire de la Critique, de la musique :
le disque "Chopin Études Op. 25 – 4 Scherzi" gravé par la pianiste italienne Beatrice Rana (Warner Classics)
"Don Giovann" de Mozart dirigé par Teodor Currentzis et mis en scène par Romeo Castellucci visible sur arte.tv jusqu'au 5 novembre (production du festival de Salzbourg 2021).