Citations éditions POINT:
Page 18
dans Contre l'inconscience
Entre deux formes d'inconscience, celle qui refuse de voir les dégats et celle qui se dispense de reconstruire, celle qui nie le problème et celle qui renonce à chercher une solution, il nous faut scruter les voies de la lucidité et de l'action.
Page 34
dans La fiction donnée à l'oeil
Ce qui est donné à l'oeil est enlevé à la main.
Page 73
dans Le langage de la violence
Le fait qui s'impose avant tout examen des faits, c'est que la violence est marquée au fer rouge sur ce "langage malade" (Austin).
Page 108
dans la culture à l'école
Lors de ma première expérience d'enseignement aux Etats-Unis, j'ai été d'abord surpris par le nombre de fautes d'orthographe que commettaient des étudiants très avancés. J'ai été habité par l'horreur , apprise dès l'école primaire, pour la faute d'orthographe. En fait, ces Américains m'ont libéré en me réapprenant ma propre histoire: pour les écrivains des XVIème et XVIIème siècle l'oral était la référence première, et l'écrit sa trace sur le papier.
Page 188
dans Politique et Culture
Le rapport aux pouvoirs change donc. Ils se servent de la culture, sans la compromettre. Ils sont ailleurs. Ils ne sont plus engagés par les discours qu'ils fabriquent.
Page 222
Dans la conclusion, ce petit truc qui m'a fait tiquer l'oeil:
Depuis que le livre académique côtoie le livre de poche
p 96 ...l'enseignement universitaire ajoute son effet propre à la multiplicité des informations et des images que véhicule la culture de masse. Il ne les ordonne pas; il s'y ajoute. Il ne tranche pas sur elle; il a la même forme qu'elle.
(...)
p 98... souvent, avec les matériaux de sa culture, l'étudiant procède à la manière de collages comme on fait ailleurs un "bricolage" individuel de plusieurs enregistrements sonores ou une combinaison de peintures "nobles" avec des images publicitaires. La créativité est l'acte de réemployer et d'associer des matériaux hétérogènes. Le sens tient à la signification dont les affecte ce réemploi. Ce sens là n'est dit nulle part pour lui-même; il élimine toute valeur sacrée dont serait crédité un signe en particulier; il implique le rejet de tout objet tenu pour "noble" et permanent. Il s'affirme donc ainsi avec pudeur, alors même qu'il a la figure du blasphème. Le matériau universitaire ne saurait être privilégié du seul fait qu'il vient d'un agrégé, d'une "bonne thèse" ou de la longue durée d'une investigation.
Chaque culture prolifère sur ses marges. Des irruptions se produisent, qu’on désigne comme des « créations » relatives à des stagnances. Bulles sortant du marais, mille soleils s’allument et s’éteignent à la surface de la société. Dans l’imaginaire officiel, ils figurent à titre d’exceptions ou de marginalismes. Une idéologie de propriétaires isole l’« auteur », le « créateur » ou l’« œuvre ». En réalité la création est une prolifération disséminée. Elle pullule. Une fête multiforme s’infiltre partout, fête aussi dans les rues et les maisons, pour tous ceux que n’aveugle pas le modèle aristocratique et muséographique de la production durable. Ce modèle a pour origine un deuil et pour effet un leurre : l’apologie du « non-périssable » tient pour valeurs les morts plutôt que les vivants, les matériaux résistants plutôt que les autres, et les milieux assez nantis pour assurer la conservation de leurs reliques. Mais c’est tout l’inverse. La création est périssable. Elle passe, car elle est acte.
En elles-mêmes les institutions obéissent à un double jeu : si leur façade est celle d’organismes publics, le pouvoir qui les habite appartient à des groupes sociaux qui s’établissent en propriétaires de l’innovation, et à des trusts qui en monopolisent les moyens. Cette division interne a pour conséquence le développement marginal des contre-cultures sur les bords de chaque structure (éducation, presse, théâtre, etc.) : un fourmillement sous l’herbe, une vie multiforme correspond à ce que la légende officielle appelle l’underground. Entre des organismes publics colonisés par des intérêts particuliers et ce renouveau des initiatives privées, comment une régulation serait-elle possible ?
Elle a, plus proche de soi que les ouvrages de lettrés, une expression « authentique » dans l’art populaire. La quête de l’origine passe donc par une recherche des textes « primitifs ». Une méthode textuelle, d’ailleurs très remarquable, doit donc supposer que ces textes primitifs sont caractérisés par un « style sobre, nerveux et efficace ». De la sorte, il devient possible de hiérarchiser les versions du même conte et de repérer « l’authentiquement populaire » dans la littérature des élites. La « sobriété », la version courte, la vigueur : tous ces traits, prêtés à une génialité fondamentale, permettent de dire où se trouve le « primitif ».
Par Annette WIEVIORKA, directrice de recherche émérite au CNRS
Tout historien, et même préhistorien, établit un lien avec "ses" morts dont il tente de restituer l'histoire, de la Lucy d'Yves Coppens aux morts qui sont ses contemporains. L'opération historiographique a souvent été décrite, de Jules Michelet à Michel de Certeau, comme opération de résurrection des morts et oeuvre de sépulture de ces morts qui hantent notre présent.
Il y a aussi d'autres morts. Ceux des siens qui sont autant de dibbouk pour l'historien parce qu'ils ont orienté sa vie. Ce sont des morts fauchés avant d'avoir été au bout de leur vie, des morts scandaleuses. "Je suis le fils de la morte". Ce sont les premiers mots de l'essai d'égo-histoire de Pierre Chaunu. Ces morts nourrissent les récits familiaux, devenu un nouveau genre historique, de Jeanne et les siens de Michel Winock (2003)("La mort était chez nous comme chez elle") à mes Tombeaux (2023).
Les morts de la Shoah occupent une place tout à la fois semblable et autre. C'est la tentative d'éradiquer un peuple, la disparition du monde yiddish dont ceux qui en furent victimes prirent conscience alors même que le génocide était mis en oeuvre. Ecrits des ghettos, archives des ghettos, rédaction de livres du souvenir, ces mémoriaux juifs de Pologne écrits collectivement pour décrire la vie d'avant, recherche des noms des morts, plaques, murs des noms, bases de données.... Toute une construction mémorielle. Vint ensuite le temps du "je"(qui n'est pas spécifique à cette histoire) , celui des descendants des victimes, deuxième, troisième génération, restituant l'histoire des leurs. Chaque année, plusieurs récits paraissent, oeuvres d'historiens ou d'écrivains, qui usent désormais des mêmes sources, témoignages et archives, causant un trouble dans les genres.
+ Lire la suite