EVA
Génie de Chardonne : aborder les choses, les caresser du regard sans y toucher. Cas unique dans la littérature française. Mine de rien, sa littérature fait une sorte de pont entre Orient et Occident : il y a quelque chose de foncièrement français et de subtilement extrême-oriental dans sa manière d'envisager les choses, notamment lorsqu'il fait la bascule entre considérations psychologiques et descriptions de paysages. Tout est lié, tout est fin, tout est un. Chardonne, c'est “l'inverse” de
Proust, un
Proust non encore été panthéonisé par l'intelligence française.
CLAIRE
Ecriture belle, limpide, concise, aérienne, acérée, solaire, légère, ramassée. La pointe de l'art français. Racé, Chardonne ne succombe pas aux tentations de l'effet, aux facilités de l'emphase, aux séductions du lyrisme. Pondéré, il ne s'emporte jamais, il reste calme. Asiate, il distille du profond en vaporisant du léger, ce qui est très rare en Occident. Avec lui, on reste dans un climat tempéré, fluide, diaphane, ce qui dénote, au-delà du sens de la mesure, un art de la pondération, de l'équilibre. Attention sans tension, lucidité sans tranchant. Chardonne est un écrivain pour êtres mûrs, esprits sagaces, appréciant davantage l'eau que le vin, préférant les légumes à la viande, la plaine à la montagne, une promenade paisible sous les bois à une virée en plein air. Contrairement à ce que l'on dit sottement, il est tout sauf bourgeois. Au sens propre, cet écrit est un « coup d'épée dans l'eau » : une pointe acérée, incisive, qui, de par la mansuétude de l'intention, ne produit nul effet coupant. Écrire ce chef-d'oeuvre à 47 ans, c'est bluffant.