Ces deux figures nationales auraient pu servir à montrer combien la nationalité est chose réelle, et combien elle est indépendante de la race ; ou du moins des traits physiques communément associés à la race. Car Paul Forain était grand, mince et blond, mais français jusqu'au bout des ongles, jusqu'au bout de sa barbe à l'impériale ou de ses longues chaussures pointues, français surtout par l'air de curiosité grave qui imprimait une ride perpétuelle à son front : on le voyait penser. Et Harry Monk était petit, robuste et brun, et néanmoins anglais par toutes ses fibres - anglais par ses costumes de tweed gris et sa courte moustache marron, anglais surtout par son absence totale de curiosité, dans la mesure où cela restait compatible avec la courtoisie. Il arborait l'humour et l'esprit de compromis anglais comme un costume ; tout comme on eût pu croire qu'il promenait avec ses tweeds gris le temps anglais à travers ses contrées ensoleillées.
"Ils viennent ici de nuit parce qu'ils seraient des hommes morts s'ils se montraient de jour. Ce sont des criminels qui commettent un crime plus horrible ici que le meurtre ou le vol.
- De quel crime voulez-vous parler ? demanda l'autre avec curiosité.
- Ils aident la justice", dit Morton.
- Au diable le sens de l'observation ! s'écria Weir. Est-ce que tu crois encore que les détectives privés enquêtent sur les criminels en flairant leurs lotions capillaires ou en comptant leurs boutons ? Mais non, une bonne partie de la confrérie fait comme Hyde. Leur connaissance des criminels vient de ce qu'ils sont eux-mêmes des demi-criminels : ils connaissent le milieu et le trahissent, se servent d'un bandit pour attraper un bandit, et prouvent par là qu'il n'y a pas d'honneur parmi les bandits. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de détectives privés honnêtes mais, s'il en est, on n'entre pas à leur service aussi facilement que nous nous sommes installés dans les bureaux du distingué Dr Adrian Hyde. Tu te demandes où je veux en venir ? Eh bien, je crois que toi et moi allons bientôt balayer les rues ou récurer les égouts. J'ai envie d'un travail propre."
Après quelques bouffées tirées sur sa pipe, il reprit pensivement : "Étrange comme en jouant l'oreille indiscrète, on peut s'égarer à compliquer les choses. Nous sommes tellement sûrs que les paroles des gens ont le sens qu'on leur prête, que nous n'arrivons pas à croire qu'elles ont simplement le sens qu'ils leur donnent. Ne t'ai-je pas dit une fois que c'était une chose d'entendre, et une autre de comprendre ? Et parfois les paroles sont trop claires. Par exemple, lorsque le jeune Graves, le secrétaire a dit qu'il en avait assez de ces histoires, il le disait littéralement et non par métaphore. Il voulait dire qu'il en avait assez des affaires de Morse, parce qu'il les menait en tyran.
Weir fixa un moment le mur des yeux, et puis frappa de la main avec un rire nerveux.
"Seigneur ! s'écria-t-il, quel miracle ! et quelle ironie ! Nous nous sommes vendus au diable comme une couple de damnées oreilles indiscrètes ; et il nous a expédié dans la chambre même des indiscrétions - dans l'Oreille de Denys. Nous sommes dans une galerie à échos, et ce que nous entendons, c'est une discussion à l'autre bout.
"[…] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux.
[…] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes.
[…] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions.
[…]" (Roland Jaccard.)
0:14 - Bernard Shaw
0:28 - Julien Green
0:45 - Heinrich von Kleist
1:04 - Georges Henein
1:13 - Ladislav Klima
1:31 - Michel Schneider
1:44 - Hector Berlioz
1:55 - Henry de Montherlant
2:12 - Friedrich Nietzsche
2:23 - Roland Jaccard
2:37 - Alphonse Allais
2:48 - Samuel Johnson
3:02 - Henrik Ibsen
3:17 - Gilbert Keith Chesterton
3:35 - Gustave Flaubert
3:45 - Maurice Maeterlinck
3:57 - Fiodor Dostoïevski
4:08 - Aristippe de Cyrène
4:21 - Générique
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Référence bibliographique :
Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration :
Marquise de Lambert : https://de.wikipedia.org/wiki/Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles#/media/Datei:Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles.jpg
George Bernard Shaw : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Bernard_Shaw#/media/Fichier:G.B._Shaw_LCCN2014683900.jpg
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