Quelle impressionnante biographie! L'épaisseur du livre donne une idée du travail mené pour brosser le portrait le plus précis possible de l'Amiral de la Flotte, sans jamais oublier que sous l'uniforme, il y a toujours un homme, avec ses qualités et ses défauts.
Chaque fois que je pense à cette époque des plus troublées, je ne peux réfréner l'irruption de cette lancinante question dans mon esprit: "qu'est-ce que j'aurais fait en pareilles circonstances"? Pas les circonstances de l'homme de pouvoir, car je ne suis pas fat au point de penser que j'aurais jamais eu les dispositions requises pour devenir amiral, hypothèse de toute façon gratuite et absurde puisque l'entregent nécessaire à la culture d'une telle ambition fantasmée m'aurait toujours fait défaut. ...
Dans ce livre, en suivant la carrière hyperbolique de
Darlan, on est très loin des préoccupations de l'homme de la rue; on arrive vite au coeur du pouvoir. Un pouvoir qui vacille, qui perd sa légitimité et sa réalité, puisqu'en définitive, les affaires de la France dépendent soudainement de ce qui se décide à Berlin.
Il reste bien des zones d'ombre étant donné qu'une partie des archives a été fort opportunément détruite. En suivant la méthode bien rôdée du détective rompu à l'exercice, les auteurs mènent leur enquête en cherchant à qui le crime profite et à l'issue d'un argumentaire étayé, ils pointent du doigt qui selon eux sont les commanditaires de l'assassinat.
L'argumentaire est étayé, certes. Mais est-il convaincant? Les passions que suscite cette période noire de l'histoire de France sont encore suffisamment vives pour que les certitudes des uns et des autres aient peu de chances d'évoluer dans un sens ou l'autre. Or s'il y a bien une leçon que nous enseigne
L Histoire, c'est de se garder des récits officiels édifiants, les narrations lisses et propres destinées à alimenter un imaginaire collectif rassurant dans lesquels tout est forcément blanc ou noir, les bons d'un côté, les salauds de l'autre et les zones grises commodément balayées sous un tapis qu'on ne soulèvera pas.
En conclusion, c'est pour sa capacité à susciter la réflexion que j'ai apprécié cette biographie dont le style réjouit l'amateur de textes à l'écriture soutenue.