C'est quoi cette escroquerie ?
Pour moi, il ne pouvait y avoir qu'un
Blue Hôtel : celui chanté par Chris Isaak, ce crooner au nez cabossé par la boxe et croisé avec
James Dean qui a eu l'audace de me souffler sous le nez (pas cassé) Helena Christensen dans le clip le plus chaud de l'histoire (« Wicked Game »), et dont il est impossible de ne pas fredonner les airs de façon ridicule pendant des heures dès qu'un morceau passe à la radio.
Et qu'est-ce que j'apprends ? Qu'un texte court de
Stephen Crane, l'auteur de l'excellent «
L'insigne rouge du courage », billeté par bibi il y a quelques semaines, porte le même titre. Comme l'auteur est mort en 1900, difficile de l'accusé de plagiat, le bougre.
Alors que le tube gominé de Chris Isaak est un hommage mélancolique à un ami qui s'est suicidé d'un coup de révolver dans un hôtel à priori…bleu, le récit de
Stephen Crane nous transporte lui dans un trou perdu du Nebraska en 1898. Au milieu de nulle part, le Palace Hôtel attire le regard et plusieurs voyageurs sont hameçonnés par le propriétaire, le dénommé Scully, pour y passer la nuit.
Un suédois fébrile, un homme de l'est taiseux, un cow-boy à l'ancienne et le fils de Scully se retrouvent autour d'une partie de cartes dans l'hôtel dans une ambiance digne d'un film de
David Lynch. Un engrenage fatal va se mettre en place. Tricher, c'est jouer… avec le feu, n'en déplaise à ce dicton oublié dès la première partie de billes dans la cour de récré. Persuadé qu'il va se faire assassiner avant l'aube, un des joueurs pique une petite crise de démence.
De façon très habile, Crane interroge façon « western d'intérieur » la force inéluctable du destin. J'ai apprécié ces personnages mystérieux, apatrides qui semblent perdus dans les limbes du rêve américain. Ils fuient un passé, transitent par le présent et avancent les yeux bandés vers un futur qui ne les attend pas. J'ai parfois eu l'impression de suivre une histoire de fantômes.
Blue Hotel ,On a lonely highway,
Blue Hotel, Life don't work out my way… Et voilà, je me ressasse en boucle cette chanson en troussant ces quelques lignes. Tapage nocturne et les chats du voisin miaulent croyant entendre un congénère. Finalement, je me rends compte que la voix puissante de Chris Isaak, son rockabilly assaisonné de rythm'n blues s'accorde bien au tragique des personnages du récit.
Pour trinquer après cette lecture, je vais boire un petit verre de Curaçao. Ma période bleue surement.