ISBN : Inconnu pour l'exemplaire ci-dessus montré mais 9782266156288 pour "
Les Lettres de Mon Moulin" chez Pocket, dont ce conte est extrait.
Ah ! mes amis, si seulement l'accent breton, et en particulier l'accent léonard, pouvait avoir quelque ressemblance avec l'accent de la Provence ! Notez bien que "
Les Trois Messes Basses", raconté par Job Larigou, humoriste d'origine bretonne qui a quitté ce monde de peigne-culs, comme disait Brel, en février 2009, un peu plus d'une semaine avant son quatre-vingt-et-unième anniversaire, ça doit quand même dépoter pas mal ! Lorsque tous les forums comme le nôtre auront leur version audio (ou si, on ne sait jamais, Nota Bene Culture Littéraire se donne une chaîne YouTube), eh ! bien, je vous promets de vous en donner un extrait, lu par Tante Janik !
J'arrête dès maintenant nos tristes laïcards qui ne s'opposent plus qu'à une seule religion, comme si les autres (et en particulier l'islam) n'existaient pas, tout comme je dresse d'emblée une barricade, que j'espère imposante, tout autour des opinions politiques d'
Alphonse Daudet (lequel, n'en déplaise à un parfait ignare que j'ai croisé sur le Net un jour et qui confondait Alphonse avec son fils, Léon, me soutenait dur comme fer qu'
Alphonse Daudet était "un suppôt de l'extrême-droite", ne connaissait absolument pas de formation politique qui portât ce nom, que l'on nous ressert aujourd'hui à toutes les sauces, y compris les plus surprenantes).
Que les choses, donc, soient bien claires. Si je vous parle aujourd'hui de ce conte extrait des "
Lettres de Mon Moulin", c'est parce que j'ai eu envie de le relire, c'est tout. Et ensuite, c'est parce qu'il m'a toujours fait rire, et ce depuis l'âge désormais lointain de mes cinq ans, date à laquelle, enfant précoce, je l'ai découvert avec ravissement dans une Edition Nelson que je possède encore et qui appartenait à ma grand-mère. Pourquoi ne trône-t-elle pas plus haut ? Eh ! bien, figurez-vous que je l'ai rangée, bête que je suis, avec tout le soin requis pour un ouvrage de cette sorte. du coup, c'était fatal , je ne sais plus dans quelle pile ou sur quelle étagère, derrière quelle autre rangée de livres, elle se trouve. Inutile donc, vous le voyez bien, de chercher midi à quatorze heures !
Ce qui aggravera les chose aux yeux de certains imbéciles , "
Les Trois Messes Basses" est un conte de Noël à la provençale. L'action s'y déroule dans les années seize-cent et quelque chose, et non seulement les principales notabilités de la région, du côté du Mont Ventoux, mais aussi la suite des petites gens, domestiques, métayers, bergers, agriculteurs, etc ... s'y réunissent en un ensemble touchant pour y entendre
les trois messes basses que le prêtre en charge de la paroisse de Trinquelage, le brave dom Balaguère, doit commencer à y célébrer à minuit, en cette nuit du 24 décembre qui glorifie la Nativité du Christ.
Il fait froid, il y a pas mal de vent, les étoiles scintillent gaiement dans un ciel d'un bleu foncé de velours magnifique et tout le monde est heureux de se retrouver pour célébrer ensemble l'une des plus belles fêtes chrétiennes - qui reprend également, soulignons-le, la fête du Solsctice d'Hiver pratiquée par les peuples pré-chrétiens. Et puis, allons, soyons franc, tous sont aussi alléchés que le Renard de la fable à l'idée du réveillon qui suivra et auquel tous les assistants sont invités, les uns à la table des nobles et des bourgeois, à l'étage, les autres, bien au chaud dans les cuisines, avec le personnel du château de Trinquelage. Egalitaire avant la lettre, ce réveillon partagera les mêmes plats entre tous. Et tous se régaleront.
Déjà, rien qu'à entendre Garrigou, le jeune sacristain de dom Balaguère, fort affairé à aider son supérieur à revêtir les habits sacerdotaux de cette nuit exceptionnelle, le lecteur a faim. Surtout à notre époque où les poulardes farcies aux morilles et ruisselantes de graisse dorée, les carpes - "énormes, mon révérend !" - empanachées de sauce et présentées sur un lit de fenouil et les innombrables carafes de vins de toutes les couleurs (ou presque) qu'il dépeint pratiquement dès la première phrase du texte avaient, nous le savons, un goût bien plus relevé et bien plus naturel que leurs équivalents que nous allons chercher docilement, chaque année, en bons consommateurs, dans les hyper-marchés et autres points de grande distribution. Même les fruits de mer, après quatre siècles de pollution patiente et opiniâtre, n'ont plus le même fumet, c'est certain ...
La nostalgie, une nostalgie très particulière que ne pouvait pas prévoir l'auteur (qui en imaginait cependant une autre pour la fin de son conte) voilà la première caractéristique des "Trois Messes Basses."
De manière inattendue, et par notre seule faute à nous, qui avons fait et laissé faire les industriels amoureux de rendement et d'argent, cette nostalgie a pris le pas sur la dominante première du conte : la Gourmandise. A celle-là, je mets une majuscule car elle est ici représentée par le démon qui en a la charge et qui, en ce soir de Noël, a pris l'apparence de Garrigou, l'innocent sacristain-enfant de choeur, pour tenter de s'emparer de l'âme, aimable mais volontiers tentée par les petites douceurs de l'existence comme les plats savoureux et les vins qui vont avec, de dom Balaguère.
Garrigou passe donc tout le temps que son maître accorde à ses préparatifs pour une messe digne de ce nom à lui faire miroiter toutes les merveilles qui, depuis le matin et, pour certaines d'entre elles, depuis la veille, se préparent dans les cuisines du château. de temps à autre, un dom Balaguère aux anges le fait répéter ou préciser un détail. Et notre Garrigou-Méphistophélès de se répandre, et de se répandre avec un enthousiasme contagieux sur le menu qui, la messe dite, s'offrira, dans toute sa gloire, à l'appétit des réveillonneurs.
Oui, c'est ça, le hic : avant d'atteindre au firmament, finement parfumé et cuit à point, du Réveillon de Noël, dom Balaguère doit à ses fonctions - et à sa foi en Dieu et en son Divin Fils - de dire non pas une mais bel et bien trois messes qui, pour être qualifiées de "basses", n'en semblent pas moins, en pareilles circonstances, terriblement longues à s'écouler ... Et de les dire dans les règles : avec surplis, étole, agenouillements, signes de croix, pater, ave, credo, sermons, bénédictions et autres particularités du rituel. Pas un seul verset, pas un seul chant ne doit être oublié, encore moins sauté. La Messe de Minuit, dame, ce n'est pas n'importe quoi, surtout en cette époque !
La première des trois messes se déroule avec une dignité incontestable, et cela en dépit des visions dorées de chairs fumantes et de vins goûteux que Garrigou envoie au prêtre devant son autel. La seconde ... Ah ! La seconde ... C'est déjà autre chose ...
Le talent de Daudet, dans nombre de ses textes, c'est la gaieté, une gaieté franche et qui ne peut que gagner le lecteur, de tempérament si morose soit-il. Surtout que, pour mieux souligner les intentions diaboliques de Garrigou, l'auteur fait intervenir, aux moments opportuns, la petite sonnette du sacristain, ce "drelindin din" qui restera à jamais dans toutes les mémoires de ceux qui auront lu "
Les Trois Messes Basses." Aigrelette et ironique, pas très méchante dans le fond (le démon de la Gourmandise n'est pas le plus désagréable et passe plutôt, fonction oblige, pour un "bon vivant" lui aussi), elle nous remplit les oreilles de sa ritournelle tentatrice qui, débutant sur un tempo lent et plein de solennité, se met à dérailler dès la seconde messe pour sombrer dans une folie de vitesse qui contraint les assistants à se lever et à se rasseoir d'abord bien trop vite, puis en un parfait contretemps, au point qu'on en arrive à se les imaginer, lors des deux dernières messes et en particulier de la troisième et dernière, comme des acteurs et figurants filmés en 24 secondes mais qui repasseraient sur l'écran au rythme des films muets, c'est-à-dire en 16 secondes.
Si l'on oublie les fourgonnettes débordantes de policiers moustachus si chères au cinéaste, c'est un peu Mack Sennett à l'église de Trinquelage, avec un Daudet scénariste qui s'amuse franchement à nous décrire la précipitation de la messe finale, troussée en si peu de temps que les assistants ne savent plus du tout où ils en sont, se tournent, se retournent et virent comme de véritables totons pris de folie avant de se ruer, exténués mais bien heureux, eux aussi, à l'idée d'un Réveillon si rondement amené, dans la grande salle et les cuisines du château.
Quant à la fin du conte, elle contribue à le maintenir, lui qui eût pu n'être que comique, comme '"L'Elixir du Révérend Père Gaucher" par exemple, dans le fantastique, mais un fantastique là aussi teinté de nostalgie. le pauvre dom Balaguère, emporté le soir même du Réveillon fatal par une attaque, reçoit sa punition par la voix-même d'un Eternel exaspéré et si, dans le fond, le châtiment, là non plus, n'est pas franchement terrible, on convient qu'il soit long à endurer pour tous ceux qui ont péché par la faute de dom Balaguère ... et de son damné Garrigou.
Un conte élégant, plein d'humour et de la nostalgie des temps anciens, parfumé aux herbes et aux mystères des clairs de lune provençaux, qui nous rappelle le talent d'un écrivain peut-être mineur mais d'une sensibilité et d'un naturel indéniables dans le trait. A découvrir pour les plus jeunes. A relire pour les plus vieux. Et à savourer sans remords : l'Eternel ne devrait pas nous en vouloir ... ;o)