Quand un enfant terrible des lettres nippones revisite les contes traditionnels japonais…
Après avoir lu ce recueil, assez facétieux, j'ai été étonnée d'apprendre que
Dazai Osamu était considéré comme un décadent, un ange noir, un enfant terrible de la littérature japonaise.
Cet auteur a laissé une empreinte considérable sur la littérature japonaise moderne. On le lit dans les écoles, on le commente, on le cite : il est maintenant un classique du XXe siècle au panthéon littéraire du Japon. Il est connu pour son style « watakushi shôsetsu » ou « shishôsetsu », style issu du naturalisme japonais (milieu naturel et réalisme) qui incorpore des éléments autobiographiques dans un récit écrit à la première personne du singulier. Contrairement à ses prédécesseurs,
Dazai ne se contente pas du réalisme ; il l'enrichit d'une tournure existentielle et psychologique qui le rend proche des lecteurs d'aujourd'hui.
Il est aussi connu comme un homme aimant manier l'ironie, à la fois pessimiste et fantaisiste. Il connut une vie tourmentée et est considéré en effet comme l'ange noir des lettres japonaises, véritable décadent : addiction à un médicament contenant de la morphine, désintoxication, adultère de son épouse avec son meilleur ami, tentatives de suicide, divorce, guerre. Il mourut avec sa maîtresse le 13 juin 1948 (suicide par noyade) à Tokyo. Nous trouvons pas mal de photos de lui sur Internet et même de son corps retrouvé au bord d'une berge, cela m'a fait forte impression. le ton dépressif n'est pas si commun dans la littérature japonaise, cela mérite, je trouve, d'être souligné.
Pourtant, ce livre à la belle couverture automnale des éditions Picquier, n'est pas un recueil dans laquelle l'auteur a laissé infuser sa mélancolie. Au contraire, il est espiègle et facétieux. Il rassemble des contes populaires, les totgi-zôshi, issus du Japon médiéval et dont les auteurs sont inconnus. Ils datent de l'époque de Muromachi (1392-1573) et figurent parmi les plus célèbres au Japon.
Osamu Dazai en donne une interprétation personnelle et lumineuse par la voix d'un narrateur quelque peu placé dans une situation originale puisqu'il est censé les lire à sa petite fille dans un abri antiaérien et il les raconte uniquement de mémoire n'ayant pas de livre de conte mais un simple livre d'image à sa disposition.
"A voix haute il lui lit des contes comme Momotarô,
le Mont Crépitant, le moineau à la langue coupée, Les Deux Bossus ou Monsieur Urashima. Bien qu'il soit pauvrement vêtu et qu'à sa figure on le prenne pour un idiot, ce père est loin d'être un homme insignifiant. Il possède en effet un art vraiment singulier pour imaginer des histoires. Il était une fois, il y a bien, bien longtemps... Ainsi, tandis qu'il lui fait la lecture de sa voix étrange et comme stupide, c'est une autre histoire, toute personnelle, qui mûrit au fond de son coeur. "
Ces contes font un peu penser aux contes de Jean de la Fontaine, ou encore à ceux du
Père Castor que je visionnais avec mes petits, les animaux prenant parfois la parole et comme tous contes il y a une morale. Cette morale est ancrée dans la culture japonaise mais comporte surtout une dimension universelle. Elle est cependant plus compliquée à appréhender que les contes de Jean de la Fontaine par exemple, dénouée de manichéisme, la frontière entre le bien et le mal est par moment difficile à déterminer, subtilité bien présente dans la nouvelle qui donne le titre du recueil.
Il faut se représenter le narrateur, figé dans son abri antiaérien avec sa petite fille de cinq ans, qui dispose donc de temps tout en étant dans une situation relativement angoissante et oppressante. Rien de mieux pour s'évader, et apporter une touche de légèreté à l'enfermement, avec ces contes populaires dans lesquels le fantastique et la magie opèrent et où les animaux parlent. Il va décortiquer chacun des contes, faire des digressions sur certains détails des contes, donner sa propre interprétation de la morale à laquelle aboutit chacun, il va se questionner avec nous, établir par moment des parallèles avec la mythologie grecque ce qui donne une dimension plus intéressante que si ces histoires nous étaient seulement racontées. Nous avons en outre l'impression d'être nous aussi dans l'abri, blottis, à échanger avec lui, dans une discussion nous amenant à réfléchir.
« Moi aussi j'ai médité cette question, et j'ai compris pourquoi la conduite du lapin était si peu virile. Ce lapin n'est pas un homme, j'en suis convaincu, mais une jeune fille de quinze ans. Belle mais ne connaissant pas encore le désir, elle appartient précisément à cette catégorie de femmes parmi lesquelles se recrutent les natures les plus cruelles de l'humanité. On trouve dans la mythologie grecque nombre de déesses d'une grande beauté. D'entre elles, si l'on excepte Aphrodite, la déesse vierge Artémis est probablement celle qui a le plus d'attraits… ».
Quatre contes, quatre morales, quatre tons différents, quatre interprétations et moult digressions. Ainsi trouverez-vous du tragi-comique facétieux avec la première Les deux bossus où deux vieillards ayant une grosse bosse sur une joue vont avoir des destinées différentes quant à cet appendice, un équivalent du conte grec de la boite de Pandore avec la seconde nouvelle Monsieur Urashima, sans aucun doute ma préférée, qui se base sur le célèbre conte Urashima Tarô où un jeune pêcheur un peu imbu de lui-même va suivre une tortue afin de retrouver au fond de l'océan le légendaire palais du dragon. Il va rencontrer Otohime, un personnage mythologique qui va lui offrir un mystérieux coquillage…Vous trouverez de la subtilité et de la cruauté avec la nouvelle
le mont crépitant dans laquelle un raton se fait torturer par un lapin de façon ignoble, mais le raton ne paie-t-il pas pour sa cupidité (étonnant que ce conte soit destiné aux enfants soit dit en passant) ; enfin le quatrième conte le moineau à la langue coupée dans lequel le personnage au coeur pur n'est pas celui que nous pensons, il est récompensé même s'il a déçu sa famille, son épouse et la société eu égard au geste d'humanité envers un moineau…
« Les contes japonais sont bien plus cruels que les mythes grecs » et ce n'est pas faux après lecture de ces contes. Mais ils sont souvent très drôles (la discussion avec la tortue dans le second conte est brillante) et parfois teintés de beauté.
« C'est ça, la vie au palais du Dragon : se nourrir d'algues, s'enivrer de pétales de fleurs, se désaltérer de cerises, charmer ses oreilles au son du koto d'Otohima et contempler les danses pareilles à des tempêtes de fleurs qu'exécutent les petits poissons ».
J'ai trouvé le livre agréable à lire, il invite à la rêverie et permet de renouer avec les contes de l'enfance. Il m'a permis de découvrir des contes populaires japonais qui m'étaient totalement inconnus et de découvrir par là-même des éléments de la culture japonaise. La réflexion menée sur la façon dont les contes pour enfant sont faits, notamment dans la nouvelle qui donne son nom au recueil,
le mont crépitant, est très intéressante. L'interprétation qui en est fait par le narrateur, qui se dit insignifiant mais rien n'est moins sûr lorsque nous découvrons la profondeur de ses réflexions, permet de créer une connivence avec le lecteur, apporte des clés de lecture amenant de la profondeur à ces contes normalement destinés aux enfants, quoique je les ai trouvés plus subtiles et plus complexes que certains de nos contes à la morale plus évidente. Dans tous les cas ce livre nous interroge sur notre rapport aux contes.
Il me tarde de découvrir cependant les autres écrits plus personnels de l'auteur, ses romans, notamment
Soleil couchant qui est devenu si populaire qu'il a donné naissance à une expression qui signifie « Les gens du
soleil couchant ». Pas mal pour cet homme sans soleil…