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4,03

sur 370 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un petit trésor nouveau d'Erri de Luca lu avec toujours autant de bonheur et d'admiration !
Un texte à la fois très bref et fort dense... Pour le savourer en profondeur, je l'ai lu en plusieurs fois, alternant avec d'autres lectures...
La poésie, un regard différent sur le monde et ses habitants...
Un homme, sculpteur, mais qui surtout refuse de se prendre pour un artiste, au grand dam de sa compagne, qui partira, découragée par autant de réserve et de modestie !
Cet homme se retrouve sollicité pour restaurer un christ en marbre...

Parallèlement, cet "artisan-artiste" fait office de "passeur", fait payer comme on peut s'y attendre , "les migrants" ...pour finalement leur rendre leur précieux pécule à l'arrivée ...!

Bien que le style soit différent, la prose me fait énormément songer à celle
de Christian Bobin, ainsi qu'une certaine similitude dans un regard bienveillant, rempli de poésie ainsi que d'empathie pour tout ce qui les entoure. Une manière très intense de contempler l'Humain et le monde....

Il est question à travers la restauration de ce Christ crucifié de spiritualité et d'histoire des religions...
Un écrit étonnant qui croise de multiples sujets: les fonctions de l'artiste, une quête spirituelle et humaine, l'amour de l'humain, à travers l'Art et la contemplation de la nature, une grande préférence (ceci dit de l'auteur) pour la montagne et ses secrets ... sans omettre de très belles descriptions sur la sculpture et le métier très délicat d'un restaurateur....

Christian Bobin, comme Erri de Luca sont des auteurs atypiques, qui me réconfortent; hors mode, hors du temps, dans une quête perpétuelle, dans une prose à la fois épurée et ciselée ! Tous deux possèdent une musique très personnelle...

"(...) il existe des livres qui font ressentir un amour plus intense que celui qu'on a connu,un courage plus grand que celui dont on a fait preuve. C'est l'effet que doit produire l'art: il dépasse l'expérience personnelle, il fait atteindre des limites inconnues aux corps,aux nerfs, au sang." (p. 43-44)


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Le livre, l'écriture sont omniprésents tout au long de ce récit comme trame sous-jacente reliant tous les éléments qui le compose : l'art, la nature et les hommes qui y prennent part.

Le narrateur nous dit dès le début :
"J'habite près de la frontière, au pied de montagnes que je connais par coeur. Je les ai apprise en chercheur de minéraux et de fossiles, puis en alpiniste. le commerce de ce que je trouve et de petites sculptures en pierre et en bois me procure un gain aléatoire."
Il lit dans la nature en ramassant "des racines sèches, des pierres qui ressemblent à des lettres de l'alphabet." Il nous dit : "Dans la nature il existe des abécédaires."
Encore faut-il savoir les déchiffrer.

Cet homme proche de la soixantaine qui a travaillé à la mine après avoir passé un bac artistique vit à l'écart dans la dernière maison du village mais pas isolé car il se trouve vivre sur une "terre de passage".
Il guide hommes, femmes et enfants venus de lointains pays, fuyant guerres et famines, à travers la montagne pour qu'il puisse rejoindre leurs destinations. Ces réfugiés il les nomme, lui, du beau nom de "voyageurs d'infortune".

Malheureusement ou peut-être heureusement pour la suite du récit, la révélation de son geste généreux lui vaudra d'être rejeté du village où deux autres passeurs qui eux se font payer, le contraignent à s'enfuir de cette terre où il est né.

Il rejoint alors une ville côtière où il va être recruté par un prêtre, avec l'accord de l'évêque, pour rénover une sculpture, lui redonner son aspect initial.
Comme il sait lire dans la nature, il va également lire cette sculpture, la lire en la caressant, un peu comme le fait un aveugle déchiffrant un texte en braille. Il tâtonne et s'ouvre progressivement à ce que le sculpteur a voulu transmettre.
Un rabbin, astronome à ses heures, dont "le bureau est une fortification de livres va lui expliquer le sens des lettres grecques Ura qu'il découvre du bout de ses doigts sur le bois de la croix et des lettres hébraïques sur chacune des têtes des clous qui soutiennent le corps nu du supplicié qui reproduisent le nom d'ADAM.
Le prêtre lui fera approcher la signification symbolique du poisson quand il découvrira sur les pieds des écailles.
L'ouvrier algérien, qui travaille dans une carrière de marbre et a étudié dans une école coranique, lui offrira gracieusement le morceau d'albâtre, un bloc rare, du travertin d'Acquasanta, permettant de rendre vie au sexe du christ, sa "nature exposée" que l'église avait demander à son créateur de dissimuler sous un drapé.

Je ne peux, par ce regroupement rapide, que donner un petite idée de la portée de ce livre qui fait se croiser et s'unir des univers et des êtres que l'on pourrait croire incompatibles mais qui savent s'ouvrir aux autres quand il s'agit de redonner force de vie à une oeuvre d'art dénaturée, permettre que cette "nature exposée" soit replacée en son centre. Chacun en sort grandit.
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Un beau conte contemporain et intemporel à la fois.
Le personnage est puissant et beau.
Sculpteur, passeur de clandestins, amoureux de la nature, modeste……
Poésie, art, nature suintent au fil des pages.
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La nature exposée est un roman très court d'Erri De Luca, un récit ramassé en 166 pages, dans lequel je me suis laissé emporter avec enchantement.
Comment peut-on écrire tant de sensations en si peu de pages, avec si peu de mots ?
Ici il est question du sacré. Le sacré est ce qui est plus grand que nous, mais aussi ce qui nous grandit. Cela peut être une montagne, le geste d'un artiste, la représentation d'un Christ sur une croix de marbre. Ou peut-être le fil ténu et invisible qui relie ces trois choses l'une à l'autre, telle une couture...
Un homme, le narrateur, vit dans un village de montagne, près d'une frontière. Il est passeur, aide ainsi des migrants à la franchir, "voyageurs d'infortune", comme il le dit. En dehors de cette occupation il sculpte, le bois, la pierre. Sa pratique de passeur est particulière, ici je n'en dirai pas plus, disons que cela se sait très vite, suscite l'attrait des médias et dans le même temps son rejet du village. Alors il s'en va, descend vers la mer...
Plus loin là-bas dans une ville portuaire c'est la rencontre d'un curé qui l'invite à entrer dans cette église, lui propose un travail, celui de restaurer le Christ là devant eux sur sa croix, un Christ grandeur nature. C'est un Christ de marbre. La commande est relativement simple mais peu banale : il s'agit d'enlever le drap qui cache le sexe du Christ. C'est une façon pour l'évêché, qui a l'initiative de cette décision, d'être en harmonie avec l'époque. Techniquement, le défi est délicat mais pas insurmontable. Le sculpteur accepte la proposition.
La plupart des Christ de nos églises, qu'ils soient de bois ou de pierre, comportent un pagne. Il faut savoir que les crucifiés étaient hissés nus sur la croix. Jésus n'échappa pas à la règle. Jésus, s'il a existé, était donc nu comme les autres crucifiés sur leurs croix. D'ailleurs les premières représentations le montrèrent ainsi. Un crucifix nu en bois fut même sculpté par Michel-Ange. Plus tard, après le Concile de Trente, l'Église ordonna de revêtir le sexe du Christ sur toutes les représentations qui en étaient faites. Vaste travail, j'imagine et pas forcément simple.
Mais le plus compliqué est d'ôter ledit textile, d'autant plus qu'il est en marbre !
Dans ce court texte, aux premières pages nous avons l'impression que tout part un peu dans tous les sens. Ainsi, vous avouerez : un homme qui descend de la montagne, fut passeur, est rejeté par les siens, refait sa vie au bord de la mer en restaurant un Christ pour lui restituer son sexe, une femme qui surgit, passionnée de baleines et suscite le désir de l'homme... Et puis, il suffit d'un fil invisible, du geste d'un artiste pour recomposer le puzzle, recoudre ces morceaux de vies désemparées.
Le narrateur est un profane. D'ailleurs, son geste demeure profane. Avec un burin, enlever quelques morceaux de marbre, façonner un sexe de la même matière, le poser à l'endroit laissé vacant, ajuster, coller, poncer, lisser... C'est plus la technique d'un artisan que le geste d'un artiste...
Et pourtant le geste qui va venir est beau, non pas forcément parce qu'il s'agit d'intervenir sur une représentation du Christ... Cependant, le questionnement de l'évêque est un instant fondateur lorsqu'il demande au narrateur ce qui, selon lui, est sacré dans le Christ... J'ai trouvé très fort l'échange qui en a découlé. Le sacré est parfois une manière d'interpeler le sens dans nos vies éparpillées...
L'homme est un taiseux. Les mots sont ramassés dans ses gestes. Ils sont magnifiques, les mots, les gestes. C'est un passeur. Une fois qu'il a quitté la montagne, finalement il continue d'accomplir les mêmes gestes, tendre la main et aider à franchir une frontière. Dénuder un Christ. Parvenir au geste parfait, ultime. Se transformer en même temps. Venir comme dans un voyage intime en lui. Grandir. Peut-être devenir à son tour ce Christ dénudé. C'est un texte empli d'humanité, mais aussi d'humilité.
Une femme effleure l'homme sur ce passage. Elle vient à sa rencontre par hasard. Elle vient caresser l'artiste, son dos, ses mains, son chemin. Leurs gestes deviennent charnels. Une autre femme traîne dans le passé du sculpteur. Elle se réveille alors dans le souvenir de l'homme. Souvent, dans les livres d'Erri de Luca, j'ai remarqué que des femmes hantent le passé du narrateur. D'autres femmes surgissent, mais qui ne viennent jamais combler un vide laissé comme un trou béant. Elles viennent simplement accompagner un geste, une pensée, une présence. Les femmes qui viennent après sont des passeuses aussi, à leur façon. Aider l'homme devenu seul à franchir le gué, le chemin qui le sépare encore du demain.
Elle aussi voudrait passer de l'autre côté de la frontière.
Cependant, le narrateur continue d'avancer sur l’œuvre dont il n'est pas le créateur, simplement le restaurateur. Lui aussi a besoin de gravir une montagne. Elle n'est pas faite de ravins, de combes ni de moraines. Elle est faite d'un morceau de marbre à buriner.
À partir de pierres, on peut façonner un Christ, des cathédrales, mais aussi des murs, des prisons... L'homme est un passeur, les murs sont comme les frontières, il les contourne, il les franchit, c'est sa manière de cheminer dans la vie, d'une vallée à l'autre. Le sexe du Christ, cette idée pourrait paraître banale, transgressive, cocasse même, elle devient ici un acte fondateur...
J'ai adoré ce texte où l'art est un chemin, gravissant peut-être des montagnes, traversant des frontières...
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Dans son dernier opus, Erri de Luca donne la parole à un montagnard piémontais solitaire, vivant de ses souvenirs et de ceux qu'il taille pour les touristes tantôt dans un morceau de bois, tantôt dans un caillou.

La nuit, il fait passer des migrants de l'autre côté de la frontière. Et leur rend le prix de leur passage. C'est son secret. Percé à jour, il passe lui-même la montagne et doit trouver de quoi vivre : ce sera restaurer un christ en croix, pour l'église de la côte où il s'attarde. Et plus exactement ôter le drap ajouté pudiquement, jadis, au corps du supplicié. Lui rendre "sa nature".

Notre personnage va se lancer dans la restauration de cette Crucifixion qui le mènera vers une quête intérieure et spirituelle dont il en sortira grandi en tant qu'artiste.
Pour mener à bien sa mission, il va chercher les conseils d'un prêtre, d'un rabbin ou d'un ouvrier musulman.

A travers cet oecuménisme l'auteur signe un roman puissant dans lequel il invite le lecteur dans des réflexions profondes sur les questionnements théologiques, les signes, le sacré et le profane, le drame des migrants, l'ascétisme, la femme et le couple, la double nature du Christ, le travail de l'artiste.

Les livres d'Erri de Luca sont courts aussi l'auteur va-t-il à l'essentiel sans se départir de cette écriture imagée et poétique qui m'enchante.
Une belle réussite, une fois encore.

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Le lecteur ne connaîtra jamais le nom de ce sculpteur, passeur de frontières à travers la montagne et bien généreux et modeste. Quittant son village, rejeté par ses amis, il se retrouve chargé d'une bien curieuse tâche: restaurer la statue de marbre du Christ vêtu d'un pagne. La nature ici, c'est le sexe de la statue. Il y aura aussi la rencontre avec une femme. Troublant roman sur le sacré et le profane, sur l'impact des religions dans nos vies. Erri de Luca n'en finit jamais de surprendre, d'interpeller!
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Je suis lectrice d'Erri de Luca mais pas fan véritable, jusqu'ici le livre qui m'a plu totalement c'est Un nuage comme tapis, livre consacré à la lecture de la Bible par l'auteur.
Mais aujourd'hui j'ai eu un véritable coup de coeur pour son dernier roman.
Le héros du livre, dont vous ne saurez jamais le nom, est ce que l'on appelle un passeur. Il convoie des hommes et des femmes par les sentiers de montagne pour enjamber la frontière, des voyageurs pour qui « Une adresse en poche leur sert de boussole. Pour nous qui n'avons pas voyagé, ils sont le monde venu nous rendre visite. Ils parlent des langues qui font le bruit d'un fleuve lointain. »
Mais ce n'est pas un passeur comme les autres car dit-il
« je fonctionne différemment. Je me fais payer comme les autres et, une fois que je les ai conduits de l'autre côté, je rends l'argent. »
oui mais la médiatisation le rattrape
« Un de ceux que j'avais accompagnés un an plus tôt est écrivain, il a publié un livre sur son voyage »
Il est temps de tirer sa révérence et de trouver une activité moins exposée.
Il quitte son village et s'installe au bord de la mer et c'est là qu'il est chargé, car « On fait appel à moi pour de petits travaux de réparation de sculptures » de la restauration d'un Christ en croix, l'oeuvre
« semble parfaite, un bloc d'albâtre sculpté avec une intense précision. Je suis en admiration, je tourne tout autour, elle doit dater de la Renaissance
mais à l'époque un évêque un peu trop vertueux « ordonna de recouvrir la nudité par un drapé. le sculpteur refusa, il fut évincé. Un autre ajouta cet affreux tissu qu'on voit maintenant. »
Et voilà la tâche de notre sculpteur, aujourd'hui

« l'Église veut récupérer l'original. Il s'agit de retirer le drapé. »

Des rencontres l'y aideront : homme lecteur du Coran, rabbin, une femme des montagnes.
J'arrête là mes révélations, la réflexion que mène Erri de Luca sur l'art, sur le sacré aujourd'hui, sont profondes, riches. Comment se mêlent sacré et profane, comment cohabitent chez un homme la tendresse et l'humilité, la volonté de réussir et le respect de l'oeuvre d'origine.
Le vocabulaire lié au métier, aux gestes, à la pierre, est superbe et m'a fait penser au livre Pietra Viva de Léonor Recondo que j'avais beaucoup aimé.
Un beau moment de littérature et d'humanité



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La Feuille Volante n° 1236
La nature exposéeErri de Luca – Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.

Le livre refermé, je suis assez interrogatif sur cette histoire qui en fait en comporte plusieurs. On met en scène un narrateur qui a été mineur, qui est actuellement alpiniste et sculpteur. Il vit dans un petit village de montagne où il aide ceux qui veulent passer la frontière mais le fait bénévolement, ce qui attire l'attention des médias et, pour rester lui-même, il déménage et s'installe au bord de la mer. On lui propose de restaurer un christ grandeur nature, à l'origine sculpté nu, parce que c'était l'usage chez les Romains pour une ultime humiliation du condamné, mais l'Église avait demandé d'ajouter un pagne pour cacher « la nature » du crucifié, même s'il est évident que, le travail de reconstitution effectué, tous les regards convergeront sur cet endroit. Pour lui qui n'est qu'un artisan, c'est comme un hommage à celui qui a signé cet authentique chef-d'oeuvre digne de la Renaissance. C'est que le travail est délicat, non seulement il faut précautionneusement ôter ce qui a été ajouté sans détériorer le corps du Christ, mais surtout il doit reconstituer le sexe en lui imprimant une érection qui est l'ultime signe de la vie face à la mort. C'est non seulement pour lui l'occasion d'étudier l'anatomie du corps humain, la tension des muscles, le frissonnement de la peau et les vaisseaux sanguins apparents au moment de la crucifixion, mais aussi d'accompagner cette étude de méditations sur les textes sacrés, l'Évangile et la Bible, de revisiter les mythes religieux et de rencontrer un rabbin, un curé et un lecteur du Coran. Il y a cette histoire certes originale mais qui est l'occasion d'une démarche religieuse pour le narrateur, la circoncision qu'il adopte pour s'identifier au personnage, la fusion du sang de Saint Janvier, rapproché de la lave que pourrait un jour vomir le Vésuve, la statue du saint patron de Naples qu'il visite également, comme un exorcisme contre les fureurs du volcan. Ce texte recèle sa part de mystères dans les inscriptions qu'ils trouve sur la statue et qui ont une dimension hébraïque. C'est aussi une sorte de combat contre lui-même avec le souvenir de son frère jumeau mort longtemps avant lui et qu'il fait revivre par la pensée dans une sorte de compagnonnage. Je ne sais si j'ai bien compris, mais j'ai vu une allégorie littéraire, celle de la création artistique en général, dans le refus de la statue de se laisser greffer cette nouvelle « nature ». Il faut, pour qu'elle l'accepte, que le narrateur fasse preuve de simplicité naturelle qui était la sienne auparavant. Écrire c'est aussi respecter cet état d'humilité face au néant de la feuille blanche. Est ce à dire que la nudité que finalement il adopte, la même que celle de la statue, lui confère cet état ? Et un écrivain est aussi un « passeur », comme le narrateur.
Il y a aussi une histoire d'amour et on peut penser qu'elle est inévitable dans un roman. Il semble que son aura l'ayant précédé, le narrateur expérimente sans le vouloir le principe de séduction qui fait qu'un homme tranche sur ses contemporains, pas vraiment différent mais pas vraiment semblable et attire l'attention des femmes. Celle qui s'attache à ses pas le fait d'une manière inattendue. C'est, vers la fin, une sorte d'énigme quasi-policière qui vient se greffer sur l'intrigue principale, une passade entrecoupée d'absences et qui se terminera dans la montagne et dans la solitude, avec la mort d'un homme inconnu, faisant jaillir une foule de questions. Doit-on y voir une allégorie opposant la vie d'un amour de chair à celui d'un amour divin? Doit-on voir la montagne comme un symbole de la mort solitaire, celle de cet homme inconnu, comme celle du sculpteur du christ nu, le thème du voyage étant lui-même très présent à travers le personnage du narrateur et de la femme.

J'ai retrouvé avec le même plaisir la fluidité du style poétique et dépouillé de de Luca, cette sorte de façon d'écrire qui transporte son lecteur dans un univers particulier, à la fois connu et inconnu.

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Curieux homme qu'Erri de Luca !
Quand on l'a suivi de livre en livre, on croit tout savoir de lui : sa jeunesse entre Naples et Ischia, son militantisme étudiant, sa vie ascétique d'ouvrier lisant à l'aube la Bible en hébreu, sa passion pour l'alpinisme, son engagement social. Et puis on découvre un OVNI littéraire qui mêle un peu tous ces thèmes sur une trame essentiellement métaphorique, car avec lui, la poésie n'est jamais loin.
Que nous raconte ce court roman ? Un montagnard devenu passeur bénévole de réfugiés quitte son village pour échapper à une célébrité malvenue, et dans une ville portuaire se voit confier la tâche de restaurer une oeuvre d'art sacrée, un crucifié dont le sexe, à l'indiscrète érection « ante mortem », a été masqué et doit à nouveau exposer sa « nature » à la vue de tous. Un amour de passage accompagne sa quête documentaire et muséale sur les nudités masculines, notamment antiques, occasion d'un retour à Naples et à son musée archéologique. La tâche du sculpteur-artisan n'a rien d'aisé et tout va se dénouer par un étrange et irréel drame en montagne et par les affres de l'achèvement de la statue.
Occasion d'un retour aux écritures sacrées et à leurs interprètes des trois religions du livre, prêtre, rabbin et musulman pratiquant, la restauration du sexe occulté est bien le pivot du livre et l'on imagine que dans cette idylle tardive qui rapproche le narrateur d'une jeune femme, l'épreuve de vérité est ce moment où la « nature » doit s'exposer, dans tous les sens du terme, périlleuse démarche pour un homme solitaire et vieillissant.
Il faut bien dire que le thème superbe de la recherche d'une vérité de l'art, de la forme parfaite ciselée avec amour par le sculpteur - comme le fait l'écrivain avec sa phrase - émeut par sa sincérité et sa centralité. Mais l'auteur s'égare aussi dans des intrigues adjacentes où le fil directeur se perd, les notations concises et remarques philosophiques tournant parfois à la digression.
Qu'est-ce qu'un homme au demeurant ? Un être qui aide son semblable, son frère, à déjouer les embuches de la montagne pour franchir une frontière - une thématique très actuelle ? Un artiste en quête de perfection ? Un agnostique fasciné par le sacré ? Un partenaire indécis dans une relation amoureuse ambiguë ? Un peu de tout cela pour Erri de Luca, cet homme étrange, nous disant sans le dire ce qu'il souhaite nous dévoiler.
Lu en italien
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Il sculpte.
Il sculpte un Christ, ou plutôt il le restaure, et c'est tout un. Il faut son talent pour découvrir les mystères de cette oeuvre. Sa lumière.

On lui confie cette mission, comme on lui en avait confié une autre, autrefois. Être passeur. Faire traverser des clandestins à travers la montagne.

Traverser.
Voilà la grande affaire de ce livre. de l'ombre à la lumière. D'une frontière à une autre. du profane au sacré. Ou l'inverse. le sens n'a finalement aucune importance. de toute façon, à un moment où à un autre, il faudra traverser.

Il est sculpteur.
Erri de Luca est sculpteur. de mots, taillés finement, méthodiquement. Et le tout est d'une beauté tranchante, qui se veut dépouillée et pourtant foisonnante. Mystique. C'est là, partout, dans la poésie de ses phrases. Dans la densité de son texte, 166 pages d'une infinie richesse.

Encore !
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