Cette sélection de lettres de Mme du Deffand, brillamment présentée par Chantal Thomas, nous plonge à la fois dans le séduisant XVIIIe siècle des salons et dans la vie d'une personnalité éclatante et cependant pathétique. Libertine comme il se doit sous la régence, elle accueille ensuite dans son célèbre salon le tout Paris intellectuel et mondain. Au début de cette correspondance elle a 45 ans, craint plus que tout l'ennui, est avide de savoir et de compagnie, et entretient ses amis de ses lectures, de sa santé, de ses invités, de ses déboires et de ses espérances. Ses destinataires sont Voltaire - qu'elle adore - D Alembert et bien d'autres, parmi lesquels le célèbre Horace Walpole dont elle tombe amoureuse à près de soixante-dix ans - lui en a trente. On se délecte à voir revivre tous ces personnages sous sa plume aiguisée et son trait souvent acerbe !
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Portrait de la Duchesse de Chaulnes
L'esprit de Mme la duchesse de Chaulnes est si singulier, qu'il est impossible de le définir : il peut être comparé à l'espace ; il en a pour ainsi dire toutes les dimensions, la profondeur, l'étendue et le néant ; il prend toutes sortes de formes et n'en conserve aucune ; c'est une abondance d'idées toutes indépendantes l'une de l'autre, qui se détruisent et se régénèrent perpétuellement. Il ne lui manque aucun attribut de l'esprit, et l'on ne peut dire cependant qu'elle en possède aucun, raison, jugement, habileté, etc. On aperçoit toutes ces qualités en elle, mais c'est à la manière de la lanterne magique ; elles disparaissent à mesure qu'elles se produisent ; tout l'or du Pérou passe par ses mains sans qu'elle en soit plus riche. Dénué de sentiment et de passion, son esprit n'est qu'une flamme sans feu et sans chaleur, mais qui ne laisse pas de répandre une grande lumière.
Tous les objets la frappent, aucun ne l'attache ni ne la fixe ; les impressions qu'elle reçoit sont passagères. L'extrême activité de son imagination fait qu'elle s'abandonne sans examen et sans ressource à tous les premiers mouvements. Elle s'engagera dans une galanterie, et s'en dégagera avec tant de précipitation, qu'elle pourra bien oublier jusqu'au nom, jusqu'à la figure de son amant. Si elle entre dans quelques projets, dans quelques intrigues où il soit nécessaire d'agir, l'ardeur, l'intelligence, l'habileté, rien ne lui manquera, et elle pourra contribuer au succès ; mais si les circonstances exigent de la patience, de l'inaction, elle abandonnera bientôt l'entreprise.
Jamais elle ne sera occupée ni intéressée que par des choses qui demandent une sorte d'effort ; les sciences les plus abstraites sont les seules pour lesquelles elle ait de l'attrait, non parce qu'elles éclairent son esprit, mais parce qu'elles l'exercent. Ce n'est point à sa jeunesse qu'on peut attribuer ses défauts ; ils ne sont point l'effet de ses passions ; son âme est insensible, ses sens rarement affectés, rien, à ce qu'il semble, ne devrait s'opposer en elle à la réflexion ; mais c'est une opération de l'esprit trop lente ; il y entre du souvenir et le la prévoyance, et elle ne voit jamais que l'instant présent.
On conclura aisément qu'il n'y a rien à dire de son caractère ; il est et sera toujours suivant que son imagination en ordonnera.
Mme la duchesse de Chaulnes est un être qui n'a rien de commun avec les autres êtres que la forme extérieure : elle a l'usage et l'apparence de tout, et elle n'a la propriété ni la réalité de rien.
À M. Horace Walpole
Paris, 27 octobre 1766.
Je suis bien sûre que vous vous accoutumerez à Montaigne ; on y trouve tout ce qu'on a jamais pensé, et nul style n'est plus énergique : il n'enseigne rien parce qu'il ne décide rien ; c'est l'opposé du dogmatisme : il est vain, et tous les hommes ne le sont-ils pas ? et ceux qui paraissent modestes ne sont-ils pas doublement vains ? Le /je/ et le /moi/ sont à chaque ligne, mais quelles sont les connaissances qu'on peut avoir, si ce n'est par le /je/ et le /moi/ ? Allez, allez, mon tuteur, c'est le seul bon philosophe et le seul bon métaphysicien qu'il y ait jamais eu. Ce sont des rapsodies, si vous voulez, des contradictions perpétuelles ; mais il n'établit aucun système ; il cherche, il observe, et reste dans le doute : il n'est utile à rien, j'en conviens, mais il détache de toute opinion, et détruit la présomption du savoir.
À M. de Voltaire
Paris, 8 février 1769.
Où prenez-vous que je hais la philosophie ? Malgré son inutilité, je l'adore ; mais je ne veux pas qu'on la déguise en vaine métaphysique, en paradoxe, en sophisme. Je veux qu'on la présente à votre manière, suivant la nature pied à pied, détruisant les systèmes, nous confirmant dans le doute, et nous rendant inaccessibles à l'erreur, quoique sans nous donner la fausse espérance d'atteindre à la vérité ; toute la consolation qu'on en tire (et c'en est une), c'est de ne pas s'égarer, et d'avoir la sûreté de retrouver la place d'où l'on est parti. À l'égard des philosophes, il n'y en a aucun que je haïsse ; mais il y en a peu que j'estime.
Lettre à M. de Voltaire, Paris, 24 mars 1760.
... Je n'ai point lu le discours de l'Académie, je n'ai pu m'y résoudre ; il suffit de l'ennui qu'on ne peut éviter, il est fou d'en aller chercher.
On nous donne des tragédies, des romans abominables, et qui ne laissent pas d'avoir des admirateurs ; le goût est perdu...
J'ai vu pendant quelque temps plusieurs savants et gens de lettres ; je n'ai pas trouvé leur commerce délicieux. J'irais volontiers aux spectacles s'ils étaient bons, mais ils sont devenus abominables ; l'Opéra est indigne, et la comédie ne vaut gère mieux ; elle est fort peu au-dessus d'une troupe bourgeoise, et le jeu naturel que M. Diderot a prêché a produit le bon effet de faire jouer Agrippine avec le ton d'une harengère. Ni mademoiselle Clairon, ni M. Lekain ne sont de vrais acteurs ; ils jouent tous d'après leur naturel et leur état, et non pas d'après celui du personnage qu'ils représentent.
À M. Horace Walpole
Lundi, 20 octobre 1766
J'admirais hier au soir la nombreuse compagnie qui était chez moi ; hommes et femmes me paraissaient des machines à ressort, qui allaient, venaient, parlaient, riaient, sans penser, sans réfléchir, sans sentir ; chacun jouait son rôle par habitude : madame la duchesse d'Aiguillon crevait de rire, madame de Forcalquier dédaignait tout, madame de la Vallière jabotait sur tout. Les hommes ne jouaient pas les meilleurs rôles, et moi j'étais abîmée dans les réflexions les plus noires ; je pensais que j'avais passé ma vie dans les illusions ; que je m'étais creusé moi-même tous les abîmes dans lesquels j'étais tombée ; que tous mes jugements avaient été faux et téméraires, et toujours trop précipités, et qu'enfin je n'avais parfaitement bien connu personne ; que je n'en avais pas été connue non plus, et que peut-être je ne me connaissais pas moi-même. On désire un appui, on se laisse charmer par l’espérance de l'avoir trouvé ; c'est un songe que les circonstances dissipent et qui font l'effet du réveil.
CHAPITRES :
0:00 - Titre
A :
0:06 - ACTE - Jacques Deval
0:16 - ACTION - Sacha Guitry
0:28 - ADMIRATION - Comtesse Diane
0:38 - ADULTÈRE - Daniel Darc
0:59 - ÂGE - Fabrice Carré
1:08 - AMI - Jean Paulhan
1:18 - AMIS - Madame du Deffand
1:30 - AMOUR - André Birabeau
1:40 - AMOUR - Madeleine de Scudéry
1:51 - AMOUR DES FEMMES - Edmond Jaloux
2:03 - AMOUR ET FEMMES - Paul Géraldy
2:16 - AMUSEMENT - Jean Delacour
2:36 - ANIMAL - André Suarès
2:47 - APPARENCE - Nathalie Clifford-Barney
2:57 - ARGUMENT - Léonce Bourliaguet
3:07 - AVARICE - Abel Bonnard
3:19 - AVENIR - Gustave Flaubert
3:28 - AVIS - Marie d'Arconville
B :
3:37 - BAISER - Tristan Bernard
3:49 - BEAUTÉ - Fontenelle
4:00 - BÊTISE - Valtour
4:13 - BIBLIOTHÈQUE - André de Prémontval
4:24 - BLASÉ - Louise-Victorine Ackermann
4:35 - BONHEUR - Henri Barbusse
4:45 - BUT - Richelieu
C :
4:54 - CAPITAL - Auguste Detoeuf
5:10 - CERVEAU - Charles d'Ollone
5:20 - CHANCE - Pierre Aguétant
5:31 - COMPRENDRE - Charles Ferdinand Ramuz
5:42 - CONSEIL - Maurice Garçot
5:55 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE :
Jean Delacour, Tout l'esprit français, Paris, Albin Michel, 1974.
IMAGES D'ILLUSTRATION :
Jacques Deval : http://www.lepetitcelinien.com/2013/06/lettre-inedite-louis-ferdinand-celine-jacques-deval.html
Sacha Guitry : https://de.wikipedia.org/wiki/Sacha_Guitry#/media/Datei:Sacha_Guitry_1931_(2).jp
Comtesse Diane : https://www.babelio.com/auteur/Marie-Josephine-de-Suin-dite-Comtesse-Diane/303306
Jean Paulhan : https://jeanpaulhan-sljp.fr/
Madame du Deffand : https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_du_Deffand#/media/Fichier:Mme_du_Deffant_CIPA0635.jpg
André Birabeau : https://fr.wikipedia.org/wiki/André_Birabeau#/media/Fichier:André_Birabeau_1938.jpg
Madeleine de Scudéry : https://www.posterazzi.com/madeleine-de-scudery-n-1607-1701-french-poet-and-novelist-wood-engraving-19th-century-after-a-painting-by-elizabeth-cheron-poster-print-by-granger-collection-item-vargrc0078786/
Edmond Jaloux : https://excerpts.numilog.com/books/9791037103666.pdf
Paul Géraldy : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Géraldy#/media/Fichier:Paul_Géraldy_by_André_Taponier.jpg
André Suarès : https://www.edition-originale.com/fr/litterature/divers-litterature/suares-correspondance-1904-1938-1951-79921
Nathalie Clifford-Barney : https://www.amazon.fr/Eparpillements-Natalie-Clifford-Barney/dp/B081KQLJ87
Léonce Bourliaguet : https://www.babelio.com/auteur/Leonce-Bourliaguet/123718/photos
Abel Bonnard : https://twitter.com/wrathofgnon/status/840114996193329153
Gustave Flaubert : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ea/
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