Une fois de plus, le système scolaire français aura fait bien du mal à des générations de jeunes esprits en mettant à leur portée une philosophie caricaturée. Parce que préparant un bac scientifique, donc formaté à l'application des principes d'expérimentation et de démonstration mathématique, forcément, je devais étudier
Descartes, tandis que les petits camarades trop brouillons pour mériter l'accès à l'excellence devaient se contenter des lubies fumeuses de
Sartre ou du docteur
Freud.
Deux choses m'ont sans doute sauvé, après cette aride première rencontre de la philosophie : d'une part, je lisais, chacun à deux extrémités du "système" cartésien, Pascal et
Montaigne en parallèle la maison, comme j'ai lu
Platon en meme temps qu'
Aristote, et Camus en même temps que
Sartre... pour un jeune esprit surtout, il est bon de confronter, d'opposer les maîtres à penser, afin qu'un esprit souple se forge peu à peu sa propre voie. D'autre part, je me révélai vite incapable de suivre la voie scientifique, comme celle, quelques années auparavant, du catéchisme, sans ces questionnements perpétuels, qui m'amènent aujourd'hui à passer plus de temps à butiner sur babelio plutôt qu'à devenir une bête de concours.
Quel rapport entre ce témoignage personnel et le
Discours de la Méthode de
Descartes ? Simplement ce grave quiproquo initial sur le cartésianisme, assimilé, sous l'influence du positivisme du XIXème siècle , à un rationalisme absolu, ce qu'il n'est pas.
On ne peut s'en tenir, comme le propose l'édition en Livre de Poche dont je dispose, à balancer les 90 pages du Discours avec la brillante et longue préface de
Jean François Revel intitulée "
Descartes inutile et incertain". Ce dernier, adepte d'un rationalisme critique rejetant tout système global d'interprétation philosophique ne pouvait qu'approuver la pratique du doute et le recours à l'expérience de la méthode de
Descartes, bien qu'elles ne soient finalement qu'une application des principes scientifiques nés durant la révolution copernicienne et galiléenne de son temps. Il ne pouvait manquer pour autant de critiquer vertement -comme tant d'autres modernes- l'erreur fondamentale de
Descartes qui, prétendant faire table rase de toutes les réflexions du passé, établit un lien "naturel" entre sa pensée métaphysique et sa doctrine rationaliste sur la seule évidence de sa perception personnelle, de sa foi pourrait-on dire. Nul, mieux que
Kant, il me semble, n'a su aussi bien démontrer depuis la vanité de cette démarche, même si on peut alors regretter avec
Jean François Revel, que du coup certains penseurs aient depuis développé une philosophie comme système d'interprétation à part entière trop déconnecté de l'observation scientifique du réel. Heureusement, la connaissance scientifique a évolué depuis, et commence à intégrer dans son propre système de valeurs la morale et l'éthique, certaines pratiques hétérodoxes issues de religions millénaires, la sensibilité
animale, la relativité des choses et de la toute-puissance de l'homme...
Oui, décidément il est bon de lire le
Discours de la Méthode, mais pour s'en détacher aussitôt. Ce qu'on peut en conserver en termes de regard critique est bien plus grand et ouvert chez
Montaigne ; la rigueur du raisonnement est bien plus grande chez
Kant. Et un peu d'humilité portera chacun, littéraire ou scientifique non totalement sclérosé par l'enfermement du spécialisme contemporain et par un système scolaire réduisant la culture générale à un cadavre décharné, à poursuivre la quête infinie de question en question, sur la voie du progrès personnel et collectif, plutôt que de s'en tenir à la réponse en quatre mots du "cogito ergo sum".
Je partage cependant certains avis positifs sur l'intérêt des principes de raisonnement et de conduite personnel qu'il pose, assez simplistes, mais efficaces.