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Michel Le Guern (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070378609
416 pages
Gallimard (01/10/1987)
3.54/5   57 notes
Résumé :
Il est peu de livres qui, autant que Les Provinciales, montrent à quel point le génie de l'écriture survit à la matière confuse et périssable dont est faite l'histoire des idées. Les querelles entre jésuites et jansénistes nous paraissent d'un autre âge et on ne s'intéresse plus guère au problème de la grâce et de la prédestination. Mais il y a dans Les Provinciales tant de talent, d'humour, d'allégresse polémique, une si rafraîchissante et moliéresque verve comique... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Voici le contexte : Antoine Arnauld, prêtre surdoué, théologien incisif et mathématicien, se réclame du jansénisme. Ses soeurs sont abbesses à Port-Royal des Champs, pas loin de Versailles. Reçu Docteur à la Sorbonne, il critique les jésuites, dont les écrits sont très laxistes par rapport aux Ecritures des premiers chrétiens. Nous sommes en 1643 quand Arnauld publie son oeuvre majeure. Mais les jésuites sont très puissants, et ont de nombreux casuistes. Eux, dont l'expansion mondiale ne doit pas être entachée par un petit merdeux, controversent, disputent, et trouvent des arguties, comme "les 5 propositions" qualifiées d'hérétiques, et attribuées à Jansénius, pour exclure Arnauld de son poste. Ils y arrivent.
C'est alors que Blaise Pascal, mathématicien lui aussi, et curieux de théologie, trouve le procédé injuste, et lance, tout au long de l'année 1656, 18 lettres, Les Provinciales, sous un faux-nom, aux jésuites, d'abord pour se renseigner, puis à partir de la quinzième, beaucoup plus virulentes et moqueuses, car les jésuites sont d'accord pour se faire justice soi-même, et sont loin de refuser les simonies. de plus, ils ne font qu'insulter et traiter d'hérétiques Arnauld, les jansénistes, Port Royal et Pascal, mais sans être capables de prouver que ces 5 propositions ont bien été écrites par Jansénius.
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Ah, Blaise !
à l'aise,
dans les mélèzes...
Tu es un grand philosophe, tu m'as donné à réfléchir, et c'est bon signe, mais p... que tes 18 lettres sont longues à lire !
Car j'ai eu du mal à établir ce damned contexte, et bien que connaissant un peu le siècle de Louis XIV, et ayant entendu parler de la querelle des jésuites et des jansénistes, je n'ai jamais eu l'occasion de m'y plonger... Là, sur le coup, c'est le Grand Bain : )
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L'enjeu est important, peut être capital : il s'agit de la place de la religion dans la vie terrestre, à un tournant de la société : le Grand Siècle.
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1) La science émerge comme puissance : en scientifique, Pascal, qui est un philosophe très catholique, dans la grande lignée des Ecritures, ne peut s'empêcher de signaler de des papes se sont trompés face à la science qui évolue à pas de géants :
-- Qui a raison en 1493, du pape Alexandre VI Borgia ou de Christophe Colomb, si on considère l'utilisation de la boussole comme une science ?
-- Qui a raison en 1633, du pape Paul V ou de Galilée ?
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2 ) La politique réclame sont indépendance. Les dernières Provinciales parlent d'un autre pouvoir auquel se heurte de plus en plus la religion : le pouvoir "temporel", celui des rois et de la politique. Les rois détiennent leur pouvoir du Très Haut, mais doivent-ils obéir au pape ?
Il y a une 19è et une 20è lettre. Celle-ci n'est pas de Pascal, mais d'un avocat proche d'Arnauld, et crie sont effroi au projet du pape Alexandre VII d'établir l'Inquisition en France. le parlement de Louis XIV s'opposera-t-il à la bulle pontificale ?
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De cette intense lutte verbale, Pascal, mort en 1662, ne verra pas le "triomphe" des jésuites sur Port Royal, qui entache la réputation de Louis XIV : Port Royal fut détruit en 1713. Il ne pouvait y avoir deux puissances religieuses en France : le roi, dont le père jésuite François Annat fut le confesseur, se soumit à leurs arguments.
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Un vent frais et savoureux, un vent mordant et impétueux. Ainsi pourrait-on qualifier l'ensemble des pages des Provinciales que l'on tourne aisément. C'est un ton, dont l'ironie et le sarcasme, enjouent, la complicité s'instaure d'elle-même. C'est un style clair et précis, un raisonnement rigoureux, la qualité littéraire tinte comme un authentique joyau.

Témoignant d'une prose classique, d'un honnête homme du siècle, et si l'on peut dire d'un esprit marquant du XVIIe siècle, ces missives gravent à lettres dorées, le rôle noble de la " littérature. Au sens d'un écrit structuré, cohérent et riche en prouesses stylistiques, on en remarque vite la richesse textuelle. C'est aussi qu'elle met son pouvoir au service de la vérité.
Quand la raison se met à défendre la vérité par un processus de maîtrise, de code, et d'ordre, on entre à la frontière de l'argumentation et on y rencontre ses paysages différents : rhétorique, langage implacable, vivacité, finesse...

Par conséquent, l'irrationnel ne vient pas en l'aide de Pascal. Oui, il y a certainement un cri du coeur qui le pousse à agir, mais c'est la raison, par cette force, qui est en plus forte. Dès lors, peut-on dire qu'il y a une adéquation parfaite entre la philosophie de Pascal et ses Provinciales.

Que disent donc les Provinciales ?

Pascal s'attache tout d'abord à défendre Antoine Arnaud accusé injustement, et au-delà, les Jansénistes dont les Jésuites en disent qu'ils sont « hérétiques ». Pour Pascal, les jésuites jouent sur les interprétations et le sens des mots. Dans l'affaire d'Arnaud, Pascal y voit plus une querelle de « théologiens » que de « théologie » : ce serait dès lors la personne même d'Antoine Arnaud qui serait méprisé et non pas tant ses idées.

Il s'attaque ensuite à la morale jésuite, qui selon Pascal, chercherait à gagner en pouvoir temporel. Comme tout pamphlet, la vision de l'adversaire apparaît sans nuances, le but étant une réaction. La casuistique jésuite est la principale cible de Pascal, elle repose sur « le probabilisme » c'est-à-dire des énoncés qui prévoient des opinions probables. Elle prévoit des maximes sur mesure : « Nous avons donc des maximes pour toutes sortes de personnes, pour les bénéficiers, pour les prêtres, pour les religieux, pour les gentilhomme, pour les domestiques, pour les riches […] : enfin rien n'a échappé à leur prévoyance. » (p.83). Par là, les Jésuites apportent des maximes utiles à tous les besoins possibles.


Pour une définition plus précise, celle du Littre : « Doctrine suivant laquelle, dans le concours de deux opinions, dont l'une est plus probable et favorable à la morale et à la loi, l'autre moins probable et favorable à la cupidité et à la passion, il est permis de suivre celle-ci dans la pratique, pourvu qu'elle soit approuvée par un auteur considérable. » L' « auteur considérable », dans le texte de Pascal est qualifié, « d'auteur grave'». Cette morale semble permise car elle repose uniquement sur l'autorité d'un nom et pas de la vérité établie (p.71) : « Quoi ! Mon Père, parce qu'ils ont mis ces trois lignes dans leurs livres, sera-t-il devenu permis de rechercher les occasions de pécher ? Je croyais ne devoir prendre pour règle que l'Ecriture et la tradition de l'Eglise, mais non pas vos casuistes ».

Cette morale s'appuie sur des cas particuliers et cherche des raisons pouvant faire croire à leur vérité. Ainsi, Pascal montre un laxisme dans laquelle tombe la morale, à tel point qu'il devient possible de pécher dans le cas de la casuistique jésuite. Pascal revient sur la simonie, l'homicide, la médisance, les calomnies que les jésuites font autoriser par leur casuistique. Ils masquent leur propos par un habile jeu de langage : en théorie, c'est possible, en pratique, cela ne l'est pas. Notre auteur y voit une peur plus des juges que de Dieu. Car il est « peu chrétien » que d'autoriser le meurtre…

Par là, elle s'éloigne pour Pascal du christianisme intransigeant, rigoureux et considéré comme authentique (jansénisme). Il reproche dès lors aux jésuites un amoindrissement moral quitte à se rabaisser à la bassesse humaine ( p.83) : « Hélas ! me dit le Père, notre principal but aurait été de n'établir point d'autres maximes que celles de l'Evangile dans toute leur sévérité […] Nous y sommes forcés. Les hommes sont aujourd'hui tellement corrompus que, ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux : autrement, ils nous quitteraient ; ils feraient pis, ils s'abandonneraient entièrement. Et c'est pour les retenir que nos casuistes ont considéré les vices auxquels on est le plus porté dans toutes les conditions afin d'établir des maximes si douces, sans toutefois blesser la vérité. […] Car notre dessin capital […] est de ne rebuter qui que ce soit pour ne pas désespérer le monde. » Non sans ironie, Pascal reproche encore une forme de corruption qui touche les jésuites.

C'est plier la loi de Dieu que de l'adapter à l'homme et sa corruption p.67.: « comme si la foi, et la tradition qui la maintient, n'était pas toujours une et invariable dans tous les temps et dans tous les lieux ; comme si c'était la règle à sa fléchir pour convenir au sujet qui doit lui être conforme ; et comme si les âmes n'avaient, pour se purifier de leur taches, qu'à corrompre la loi du Seigneur ; au lieu que la loi du Seigneur, qui est sans tache et toute sainte, est celle qui doit convertir les âmes et les conformer à ses salutaires intentions ! ».

Il dénonce la pratique des missionnaires en terres à évangéliser qui consiste à adapter les éléments de doctrine à la culture du pays. (p.66) : « Ainsi ils en ont pour toutes sortes de personnes et répondent si bien selon ce qu'on leur demande, que, quand ils se trouvent en des pays où un Dieu crucifié passe pour folie, ils suppriment le scandale De La Croix et ne prêchent que Jésus-Christ glorieux, et non pas Jésus-Christ souffrant : comme ils ont fait dans les Indes et dans la Chine, où ils ont permis aux Chrétiens, l'idolâtrie même, par cette subtile invention, de leur faire cacher sous leur habits une image de Jésus Christ ».

Pascal fait constater que les jésuites s'intéressent plus à l'extériorité qu'à l'intériorité. On pourrait même ne pas aimer Dieu et se limiter à la bonne exécution et pratique des sacrements.
C'est donc moins par sincérité ( donc par qualité) que par intérêt ( donc par quantité) que les jésuites cherchent à conquérir le coeur des fidèles. Il faut rappeler que la Compagnie a été autorisée suite à la Réforme pour reconquérir le plus possible de fidèles. de là, la vision de Pascal quant aux Jésuites, qu'il finit par décrédibiliser par son inventaire riche d'arguments.

Que sont finalement les Provinciales ? Un écrit polémique, pamphlétaire, dans lequel Pascal tourne en dérision les jésuites et leur pratique de la casuistique, certainement. Mais les Provinciales peuvent se voir sous plusieurs angles tant cette oeuvre est protéiforme.

Les Provinciales sont-elles un plaidoyer ? Sans doute, par la défense d'Arnaud et de Port Royal. Sont-elles un réquisitoire ? Là aussi par la dénonciation de la conduite jésuite, qui est à dessein, exagérée. Ou encore sont-elles une apologétique de la vraie foi ? Par le respect strict des Ecritures, par le retour à la vérité de la foi, aux conciles, en définitive, à la vérité établie par l'autorité.
C'est en fait un procès qui est mimé : il met en scène les deux parties et le triomphe de la vérité. Pascal fait de la raillerie une arme pour la vérité contre la violence et les propos calomniateurs des jésuites. Les jésuites dans les lettres, l'accusent de tourner en raillerie " les choses saintes". Pascal montre que les maximes jésuites n'en sont pas.

Pour justifier sa stratégie de raillement, Pascal souligne que c'est « un devoir pour la vérité de railler l'ignorance ».
Là encore : " Ne voit-on pas que, selon cette conduite, on laisserait introduire les erreurs les plus extravagantes et les plus pernicieuses, sans qu'il fût permis de s'en moquer avec mépris, de peur d'être accusé de blesser la bienséance, de peur d'être accusé de manquer de charité ?".

Il tente par là de rendre possible la satire, l'ironie, la raillerie, qu'elles ne sont pas contraires à la religion.
C'est finalement une liberté de la pensée qui est justifiée.


Pour cela, il s'appuie sur l'ironie johannique, qu'utilise Jésus dans les Evangiles ( l'épisode de Nicodème) et prend appuie sur les Pères de l'Eglise, comme Tertullien « ce serait les autoriser que de les traiter sérieusement » ( les maximes erronées des jésuites) et saint Augustin : « qui oserait dire que la vérité doit demeurer désarmée contre le mensonge ? ». (p.158). La vérité est offensée, il faut savoir la défendre. C'est dire que l'ironie de Pascal se justifie comme une arme pour établir la vérité et gagner le procès.
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J'ai cru m'apercevoir qu'à peu près tous ses commentateurs dans l'histoire de la critique, ont été circonvenus par Pascal, et se sont, me semble-t-il, toujours très mal prononcés sur Les Provinciales. Parce que l'on y cherchait une pensée générale sur l'Homme, on lisait Les Provinciales comme on lisait Les Pensées, lorsqu'il fallait y chercher l'oeuvre polémique, qu'elle est effectivement, pamprée de l'étoffe même de la provocation et du piège.
Le piège ne fonctionne plus pour les hommes d'aujourd'hui, pourriez-vous m'opposer, l'appât n'a plus le goût de nôtre époque, pour qui, grâce suffisante et pouvoir prochain ne pourraient moins chaloir...
Et bien, justement, le piège qui a été dressé pour les jésuites, nous le retrouvons, si j'ose dire, aux dimensions de l'Homme dans Les pensées-dont le procédé est rigoureusement identique.
Pascal alpague les esprits forts: "Vous courrez à la folie, vous courrez à la mort, soyez raisonnables, revenez à vous !" La conduite de l'esprit fort véritable serait de ne pas moufter. Un Cyrano de Bergerac eût très bien compris à quoi s'en tenir, s'épandant en une sorte de rire nietzschéen avant de s'en tourner les talons. Contre ceux là, Pascal ne peut rien. Cependant, dès lors que l'esprit fort a accepté de répondre à la provocation, le voilà perdu: soit il affirme la grandeur de l'Homme et Pascal le cingle (renversement du pour au contre) "Tout ce que vous prouvez c'est la petitesse de l'homme, car en montant sur vos ergos vous ne prouvez que vos propres ridicules. En affirmant la grandeur de l'homme, vous ne prouvez que ses misères".
Ou bien-ou bien, autre type d'interlocuteur, Pascal s'adresse à un Montaigne lui ayant tenu à peu près ce langage: " L'homme est ridicule, l'homme est petit" Pascal de lui répondre: "La pensée de l'homme est peut-être basse, mais c'est là la grande marque de sa noblesse !". À nouveau, renversement du pour au contre: ce que Montaigne affirme, c'est la grandeur de l'homme quand il croit affirmer sa bassesse. Et ainsi de suite, le cercle de grandeur et de misère est une quadrature infinie (et participe aussi du traquenard). Quoi que l'esprit fort puisse alléguer, il plaidera contre lui même et n'aura de cesse de prouver, "avec agreste" la thèse de Pascal.

Que ce soit dans les sciences, dans Les Provinciales comme dans Les Pensées, toujours s'est-il échiné à affirmer sa maîtrise, calculant au comput comment être certain de l'emporter. Comment peut-on à la fois être si humble devant Dieu et prétendre avoir toujours raison sur les hommes ? Volonté de sauver ses semblables, style biblique de Pascal ne pouvant faire valoir qu'avec autorité la sagesse de Dieu et puis, au fond, Pascal a mis son terrible esprit de maîtrise-que l'on pourrait appeler son esprit de principauté-au service d'une cause qu'i l dépasse.
Nietzsche, Rousseau, eux aussi étaient déterminés à avoir raison contre tous, et c'est bien l'entreprise philosophique la plus intéressante qui soit.
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Incroyable actualité de ces lettres de Pascal qui ont passionné la France en cette fin de XVIIe siècle. Une controverse incroyable entre les Jésuites, les Thomistes d'un côté, et les Jansénistes de l'autre sur la capacité de la grâce de Dieu à être efficace pour sauver les justes.
L'actualité du texte, c'est évidemment les controverses absurdes, contraires à la raison que nous connaissons actuellement sur internet, à propos du vaccin, de la sévérité de la maladie, des raoulteries, et autres. Ici, et c'est encore plus spectaculaire, la polémique tient au fait que la grâce de Dieu puisse sauver un homme juste de façon sure, ou de façon prochaine, ou même simplement lui donner la faculté de prier pour demander l'aide de Dieu. La controverse a été si terrible qu'il y a eu des excommunications, des expulsions d'instituts réputés, des déchirements incroyables et que l'église de France s'en est trouvée comme amputée par une sorte de paralysie spirituelle, de distance par rapport à la simple joie de croire, de tristesse, de dépression qui a perduré jusqu'à nos jours. le jansénisme, qu'il aie ou pas été l'hérésie dénoncée en son temps, ou la cause défendue par Pascal a porté des fruits pourris pendant plusieurs siècles!

Toute la controverse tient en une phrase de Saint Augustin (évêque du 4e siècle) : "Nous savons que la grâce n'est pas donnée à tous les hommes". Les Jésuites suivent la doctrine de l'un d'entre eux, Molina, qui a interprété Saint-Augustin, et les textes bibliques en ce sens que la grâce peut être active en tout homme juste et lui donner les moyens de se sauver du péché. Les jansénistes y mettent une nuance que je ne saurais préciser, tant elle est subtile, surtout après la lecture de cet éminent texte de Pascal, mais qui sous-entend que la grâce pourrait ne pas être suffisante pour en sauver certains.

Alors évidemment, ce qui est passionnant, c'est l'infinité de subtilités de ce débat telle que :

"Allons donc, distinguo, si vous appelez ce pouvoir [de la grâce] pouvoir "prochain", il sera Thomiste, et donc catholique, sinon il sera Janséniste et hérétique."

Tout l'art de Pascal est de faire la narration de la part d'un homme de bonne volonté qui interroge tour à tour les protagonistes du débat, et énonce, pour mieux les dénoncer les subtilités ou nuances absurdes, qui font que l'on est du côté ou l'autre du "bon catholicisme".

En fait, au delà de la vivacité polémique du texte, et de son actualité brulante, c'est avant tout une réflexion passionnante sur la Grâce, c'est à dire cette liberté intérieure, conférée par Dieu pour se tourner vers lui et sauver sa vie. Et bien sur son articulation avec la liberté. Quand on parle de prédétermination, un concept courant dans la théologie du XVIIème siècle, peu pratiqué aujourd'hui, on parle de la volonté de Dieu de sauver les justes, la question restant en suspens de savoir si Dieu veut ou peut sauver tous les hommes (a-t-il renoncé à sauver un Hitler, un Pol-Pot, un Pétain, un serial killer?). Suivant les courants du christianisme, la prédétermination peut avoir de subtiles nuances. Et bien évidemment, c'est aussi le spectre de la contre-réforme (la réaction du catholicisme à la naissance du protestantisme) qui plane sur le débat.
Je ne sais pas s'il serait sain de relancer le débat aujourd'hui, ce genre de débat est venimeux, mais le monde n'en serait il pas meilleur si nous tentions de croire que chacun peut-être sauvé, qu'aucun homme n'est irrécupérable? Ou est-ce une faiblesse de raisonnement qui amène à une complaisance avec le mal? Peut-on être miséricordieux, comme finalement seul peut l'être un Dieu chrétien prêt à la crucifixion pour porter le péché du monde, ou faut il s'en remettre à une justice supérieure qui nous demeure pour toujours inaccessible? Est-ce de l'orgueil de prétendre trancher dans ce débat? Les grilles de lectures de ces magnifiques textes de Pascal sont infinies.

J'aimerais finir avec une phrase de conclusion de la première lettre :

"Je vous laisse cependant dans la liberté de tenir pour le mot de "prochain", ou non ; car j'aime trop mon prochain pour le persécuter sur ce prétexte."
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Un écrit de combat contre la morale relâchée de la Compagnie de Jésus doublé d'un traité théologique sur la grâce (divine), voilà ce que sont "Les Provinciales"! Pascal y déploie tout son talent, pour ne pas dire son génie, usant d'une ironie assassine pour ridiculiser la tartuferie des jésuites et vulgarisant, au bon sens du terme, une épineuse question dogmatique afin de la rendre accessible à "l'honnête homme" de son temps - et du nôtre.
A priori, c'était une gageure que de pouvoir capter l'attention avec un sujet aussi "ingrat" mais le pari fut réussi: l'oeuvre obtint un franc succès!

À noter que l'acception péjorative du mot "jésuite" (à savoir hypocrite, faux-jeton) vient de là...
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Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Quand nous ne pouvons pas empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention ; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin. Voilà par où nos Pères ont trouvé moyen de permettre les violences qu’on pratique en défendant son honneur ; car il n’y a qu’à détourner son intention du désir de vengeance, qui est criminel, pour la porter au désir de défendre son honneur, qui est permis selon nos Pères.
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Cette proposition […] serait catholique dans une autre bouche ; ce n’est que dans M. Arnauld que la Sorbonne l’a condamnée. Et ainsi admirez les machines du Molinisme, qui font dans l’Église de si prodigieux renversements, que ce qui est catholique dans les Pères devient hérétique dans M. Arnauld ; que ce qui était hérétique dans les semi-Pélagiens devient orthodoxe dans les écrits des Jésuites ; que la doctrine si ancienne de saint Augustin est une nouveauté insupportable ; et que les inventions nouvelles qu’on fabrique tous les jours à notre vue passent pour l’ancienne foi de l’Église. […]

Cette instruction m’a servi. J’y ai compris que c’est ici une hérésie d’une nouvelle espèce. Ce ne sont pas les sentiments de M. Arnauld qui sont hérétiques ; ce n’est que sa personne. C’est une hérésie personnelle. Il n’est pas hérétique pour ce qu’il a dit ou écrit, mais seulement pour ce qu’il est M. Arnauld. C’est tout ce qu’on trouve à redire en lui.
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Les hommes sont aujourd’hui tellement corrompus, que, ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux : autrement ils nous quitteraient ; ils feraient pis, ils s’abandonneraient entièrement. Et c’est pour les retenir que nos casuistes ont considéré les vices auxquels on est le plus porté dans toutes les conditions, afin d’établir des maximes si douces, sans toutefois blesser la vérité, qu’on serait de difficile composition si l’on n’en était content ; car le dessein capital que notre Société a pris pour le bien de la religion est de ne rebuter qui que ce soit, pour ne pas désespérer le monde.
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De même ; il est dit dans l’Evangile : Donnez l’aumône de votre superflu. Cependant plusieurs casuistes ont trouvé moyen de décharger les personnes les plus riches de l’obligation de donner l’aumône. Cela vous paraît encore contraire ; mais on en fait voir facilement l’accord, en interprétant le mot de superflu, en sorte qu’il n’arrive presque jamais que personne en ait ; et c’est ce qu’a fait le docte Vasquez en cette sorte, dans son traité de l’aumône, c. 4 :

Ce que les personnes du monde gardent, pour relever leur condition et celle de leurs parents n’est pas appelé superflu ; et c’est pourquoi à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. […]
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« C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre ; quand on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge ; mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque, au lieu que la vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis ; parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu même.
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Blaise Pascal est né le 19 juin 1623. Pour célébrer les 400 ans de la naissance de ce génie, Nicolas Herbeaux s'entretient avec les essayistes Marianne Alphant et Laurent Thirouin : l'occasion de redécouvrir l'oeuvre du mathématicien, théologien et philosophe, en particulier ses célèbres "Pensées".
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