Descartes, tout simplement est le titre de cet excellent Que sais-je. En à peine plus d'une centaine de pages, l'auteur nous fait aller à la rencontre du véritable
Descartes qui, selon sa devise « larvatus prodeo » s'avance masqué et se révèle bien plus atypique dans sa vie d'homme et révolutionnaire que ne l'est son célèbre « sum existo ». Sous la talentueuse et limpide plume de
Laurence Devillairs l'ouvrage aurait pu s'intituler « ce que
Descartes n'a pas dit », tant la pensée du plus célèbre des philosophes français apparait immensément plus riche que les approximations et idées reçues véhiculées par le mainstream qui inonde le temps disponible de l'esprit des français. Ainsi le faux dualisme corps-âme, la supposée mission dominatrice de l'Homme sur la Nature et l'image réductrice de l'animal-machine sont restitués à leur juste place. Si, dans un ultime et trop court chapitre,
Laurence Devillairs aborde la caricaturale distinction entre petits et grands cartésiens qui se rapprochent ou s'écartent de
Descartes, elle rend insuffisamment justice au grand
Spinoza avec lequel il fut inutilement et hâtivement souvent opposé.
Leibniz stipule que [
Spinoza commence là où
Descartes finit : dans le nécessitarisme.]. Tout au contraire, au fur et à mesure que l'auteur de l'Éthique construisait son oeuvre, il n'a cessé de se rapprocher des perspectives que
Descartes avait ouvertes, notamment celle qu'il consacre à la question de la création continuée : [Le temps présent ne dépend point de celui qui l'a immédiatement précédé ; c'est pourquoi il n'est pas besoin d'une moindre cause pour conserver une chose que pour la produire la première fois]….[Car tout le temps de ma vie peut être divisé en une infinité de parties, chacune desquelles ne dépend en aucune façon des autres]
Descartes développe la thèse essentielle selon laquelle l'action de Dieu dans l'univers matériel est soumise à une règle d'immutabilité et de constance. Sur ce point,
Spinoza utilise une formule très proche finalement de celle de
Descartes : [Dieu crée les vérités éternelles, mais il ne les crée pas n'importe comment. Il les crée comme éternelles, c'est-à-dire qu'il leur communique l'éternité à travers l'acte même par lequel il les a créées.] D'où cette conséquence qu'il est inenvisageable que Dieu crée des mondes incompatibles entre eux : L'action divine maintien à l'identique l'ordre spatial. de même
Spinoza quand il affirme que [Dieu est cause demeurante ou permanente et non passagère de toutes choses], ne fait que reprendre l'idée déjà affirmée par
Descartes selon laquelle [Dieu n'est ni l'architecte ni le géniteur du monde, mais en quelque sorte son soleil] L'opposition la plus frontale pourrait être celle de la Liberté lorsque
Descartes, affirme que la volonté humaine jouit d'une marge de décision illimitée, à l'égal de la volonté infinie de Dieu tandis que
Spinoza partant des mêmes prémices posées par son prédécesseur en déduit la conclusion inverse selon laquelle la volonté de l'homme est toujours déterminée et se situe entre Dieu et la Nature. Mais n'est-ce pas là où se révèle la force de
Spinoza qui, allant jusqu'au bout du chemin de la pensée amorcée par
Descartes, s'émancipe des références théologiques traditionnelles de la transcendance divine pour rappeler que l'homme n'est pas un empire dans un empire.
Descartes est un philosophe du doute qui conduit au jugement. Il fait de la liberté la condition de la vérité.
Spinoza est un philosophe de l'entendement ; c'est pourquoi seul le vrai nous libère. Là réside toute l'instabilité de l'apparente contradiction entre les deux philosophes car sans liberté il n'y a plus de vérité, elle n'est que destin et sans vérité, il n'y a plus de liberté, elle est versatilité.
Comme l'invite la méthode de
Descartes, le cogito est la première vérité pour celui qui pense avec ordre. Loin de n'être qu'un pur exercice d'abstraction intellectuelle, le raisonnement clair et lucide est le fruit du doute, de l'intuition et du bon sens. Si le philosophe considère généreusement que la faculté de juger est la plus communément partagée entre les hommes il la subordonne à une méthode. Beaucoup des postulats de la Méthode s'inspirent d'exemples empiriques directement tirés de la vie et des expériences personnelles de
Descartes qui, parce qu'il a trop lu et a fréquenté les collèges les plus renommés d'Europe, ose faire table rase des savoirs qu'il a accumulés et rompre avec les dogmes de la philosophie scolastique qui écrase le raisonnement de connaissances révélées admises sans démonstration. Dans la quête de la vérité qu'il entreprend,
Descartes apparaît bien plus « existo » que « cogito » car les vérités scientifiques sont à chercher. C'est donc dans la vie bien plus que dans les pensées qu'il entreprend de les trouver pour parvenir à penser par lui-même jusqu'au bout du chemin tel le voyageur égaré en forêt qui [ne doit pas errer en tournoyant tantôt d'un côté tantôt d'un autre, ni encore moins s'arrêter en une place], mais marcher toujours jusqu'à parvenir quelque part. Ce qui compte ce n'est pas le chemin, c'est le résultat, le point d'arrivée. C'est dans le refus que
Descartes se construit et d'une certaine façon, qu'il se donne et se révèle à lui-même : Je suis, j'existe, ici réside toute la force déductive de
Descartes. Une vérité en amène une autre et ainsi de suite.
Le doute traqueur de fake news ?
Descartes et complotistes dubitatifs même combat ! Là encore ce serait croire que l'exigence d'évidence de clarté et de certitude dans le raisonnement, exclurait tout crédit en ceux qui savent et sont dignes de confiance Si, en paraphrasant Pascal, « le silence de ces incertitudes infinies m'effraie » et que le cours du monde me pousse à inventer au contraire de fausses certitudes, je ne deviens pas pour autant un spécialiste expérimenté. le
Discours de la Méthode nous rappelle que la vérité réside dans ce juste équilibre entre ce que nous sommes capables de découvrir par nous-même et la confiance dans l'expérience pratique.