Liban, début années 90, au lendemain de la guerre civile. Chaque famille a son lot de conflits et de secrets. C'est une maison délabrée au coeur de l'histoire, perchée dans un village au-dessous de Beyrouth ici en est le berceau, pour les Baz, grande famille de la bourgeoisie maronite au déclin. le rez-de-chaussée de la demeure est abandonné , au première étage muni d'une porte blindée vit seul, reclu, Reba l'un des trois derniers héritiers frères et soeur et une famille arabe est installée dans la cave en échange de menus services, bien qu'en vérité leur histoire avec les Baz qui remonte à loin soit plus compliquée. Jojo, l'autre frère qui habitait le rez-de-chaussée, est parti vivre à Beyrouth et se pointe de temps en temps pour emporter quelques mobiliers qui peuvent éventuellement lui servir. Leur soeur Sarah qui a épousé un musulman est à jamais bannie de la famille, quand à la tante Nohad grande modératrice du bazar et du quotidien des Baz , n'ayant plus sa tête , désormais est placée en maison de retraite…..
Jabbour Douaihy, dont je viens de lire le quatrième livre nous raconte à nouveau avec brio à travers l'histoire d'une famille chrétienne , la complexité de la société libanaise gisant entre divers couches ethniques et religieuses , engoncée dans les hiérarchies du prestige social au sein même d'une même communauté. Un panneau à l'entrée du chemin qui bifurque vers la demeure , signalant « Sans issu » , est je pense le mot clé qui résume le mieux notre histoire, la petite dans la grande, celle des Baz dans celle du Liban. Inutile de vous en raconter plus, la construction du livre qui semble simple grâce à la prose de Douaihy , un travail d'orfèvre ( bravo à la traduction* comme toujours !) , est plutôt complexe avec des allers retours dans le temps, notamment aux temps de la guerre civile (1975-1990). Révélée à petite touches, l'histoire qui bascule entre tragique et comique, comporte une intrigue , «l'accident » , une mystérieuse jeune femme, cousine de la famille arabe de la cave , d'une exquise sensualité sous la plume de Douaihy , un Reba invisible, barricadé dans la chambre du coin, reclus dans son deuil amoureux, un des passages le plus magnifique du livre, et d'autres surprises surtout vers la fin….dans chaque page vous trouverez une idée, une réflexion, un détail, un fait, une description intéressante, sans temps de répit jusqu'à la phrase finale.
Né en 1949,
Jabbour Douaihy nous a malheureusement quittés en juillet 2021. Professeur de littérature française à l'université libanaise de Tripoli et collaborateur du mensuel francophone L'Orient littéraire, il écrivait en arabe. Un homme qui a pleinement vécu l'histoire récente turbulente des dernières décennies de son pays, d'abord en militant, puis en observateur et qui en témoigne tragiquement à merveille dans ses livres. Si non déjà fait, un auteur que je vous conseille expressément de découvrir.
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Emmanuel Varlet : « Traduire de lʹarabe au français. Comment rendre toutes les nuances, toute la complexité dʹune langue aussi vaste? Lʹarabe cʹest une langue écrite pour des dizaines de langues parlées différentes et autant de cultures propres et particulières. Il en faut de la patience. Il faut de lʹendurance aussi.
Emmanuel Varlet avoue passer parfois toute une matinée sur un paragraphe pour tenter de donner le rythme, la musique, pour traduire au plus près lʹintention et lʹémotion de lʹécrivain. »