Ce livre pourrait se résumer en une phrase : l'aventure c'est l'aventure, pour reprendre le titre d'un truculent film de
Claude Lelouch. Car, effectivement,
le Monde perdu de sir
Arthur Conan Doyle – qui, en l'écrivant, se libérait du joug tyrannique de son personnage le plus célèbre,
Sherlock Holmes, qu'il fut d'ailleurs obligé de ressusciter après l'avoir tué dans une nouvelle – est un concentré d'aventure.
Tout y est : la quête d'un trésor – ici, un monde préhistorique préservé de la marche du temps – ; le récit initiatique d'un narrateur, venu chercher la gloire pour l'amour d'une femme ; les péripétie multiples – depuis la remontée du fleuve Amazone jusqu'à des rencontres terrifiantes avec des créatures antédiluviennes et des hommes-singes particulièrement féroces –, etc.
Ainsi, ce roman, plein de rythme et d'humour – notamment à l'endroit de la vanité scientifique – est un modèle du genre. Ce qui n'aura sans doute pas échappé à un
Steven Spielberg.
Utopie vernienne digne du
Voyage au centre de la terre, cette remontée, tant physique que symbolique, dans le temps, mélangeant abondamment l'ère jurassique avec les premiers âges de l'homme, recèle aussi ce joyau rare : l'évasion. Évasion qui ne va pas sans l'émerveillement : « Tous, nous nous arrêtâmes, stupides. En suivant les empreintes, nous avions quitté le marais, traversé un rideau de broussailles et d'arbres. Au-delà s'ouvrait une éclaircie, et dans l'espace ouvert se tenaient cinq animaux fantastiques ! » Enthousiasme communicatif et qui fait songer à une certaine scène de Jurassic Park, non ?
Mais à l'émerveillement d'un troupeau d'iguanodons succède l'horreur : « Cette place, déjà sinistre par elle-même, prenait, du fait de ses occupants, l'aspect d'un des sept cercles de
Dante : elle servait aux assemblées des ptérodactyles. Il y en avait là des centaines. »
Cette oscillation entre l'admiration et la répulsion, dosage savant où tout s'imbrique avec une singulière harmonie, donne véritablement vie à ce monde perdu, qui ne peut retenir un cri lorsque les aventuriers l'abandonnent pour revenir au leur : « Un grand cri, l'appel de quelque animal fantastique, déchira les ténèbres : la Terre de Maple White [du nom de son premier et malchanceux découvreur] nous disait adieu. »
Autre trouvaille édifiante de l'auteur : en confrontant des personnages plutôt raffinés à leurs origines profondes, ceux-là redécouvrent leurs instincts violents. Ainsi, au cours d'une bataille rangée contre les hommes-singes – nos ancêtres lointains – aux côté d'une tribu plus évoluée, le très colérique et vaniteux professeur Challenger se mue soudain en un féroce guerrier : « Dans les yeux de Challenger brillait le désir de meurtre. » Signe pour le groupe d'aventuriers qu'il faut quitter ce lieu aussi hypnotique que dangereux et retrouver la civilisation. Car, toujours comme chez
Jules Verne, aucune utopie n'est durable et le réel, si désenchanté soit-il, doit reprendre ses droits. Réel dont se méfient assez les aventuriers pour ne jamais révéler l'endroit précis de ce monde perdu, dont il faut préserver la pureté originelle.
Laissant beaucoup plus librement filer son imagination qu'avec « son » détective,
Conan Doyle signe ici un roman non seulement fondamental de l'aventure mais fondateur, avec une descendance foisonnante, Hollywood ne saurait le nier…
(À noter, pour prévenir les excités de la morale rétrospective, que cette oeuvre n'échappe évidemment pas à son temps – le livre date de 1912 –, manifestant la suprématie de l'homme blanc, même si un personnage anti-esclavagiste et libérateur comme lord John Roxton y figure comme l'un des principaux protagonistes. Mais, à moins d'avoir l'intelligence idéologique « wokiste » limitée, il s'agit de replacer ce récit dans son contexte.)