« de manière générale, les sorcières représentent ce qui fait peur. Ainsi, retracer l'histoire des sorcières, c'est un peu comme faire l'histoire de la peur des sociétés à travers les âges. »
La sorcière – terme désignant ici à la fois des figures mythologiques, bibliques, littéraires et historiques – implique nécessairement la femme qui, après avoir été vénérée pendant des millénaires – voir au Paléolithique l'importance de l'image féminine –, « menace les hommes et leur pouvoir ».
Accompagné par une riche iconographie – où l'on trouve des oeuvres analysées avec justesse et illustrant remarquablement le propos –, ce court et non moins dense ouvrage nous propose donc une « visite » de la sorcière à travers les âges. On rencontre ainsi Lilith, rebelle à l'autorité masculine d'Adam ; la furieuse et passionnée Médée, trahie dans son amour ; la vengeresse Takiyasha au Japon, la malheureuse et maternelle Mélusine ou encore la fée Morgane des légendes arthuriennes, sans oublier l'ère du monothéisme avec la figure centrale et culpabilisante d'Ève, désignée comme « responsable du Mal sur terre ».
En Europe, tant que le christianisme règne, on accorde peu d'importance aux sorcières. Mais à l'avènement des hérésies naît « l'idée d'un gigantesque complot de Satan pour détruire la Chrétienté ». Dès lors, la sorcière – fiancée dudit Satan dans l'imaginaire collectif – devient une cible à traquer. le sabbat apparaît alors comme le lieu de tous les fantasmes, tel que le montre à merveille – diaboliquement je veux dire ! – le tableau de Frans Francken II : « le Sabbat des sorcières ». Tableau à mettre en parallèle avec celui, éponyme, de Goya, dépouillé mais plus terrifiant encore, « comme tiré d'un cauchemar ».
La sorcière est souvent célibataire, ce qui met « ainsi à mal l'ordre social et la reproduction », comme l'illustre la légende de « Margot la Folle ». Elle est forcément laide, car son âme maléfique se lit sur ses traits. Et, parmi ces monstres-femmes, les trois plus célèbres sont sans conteste celles qui incitent le général Macbeth à céder à ses ambitions dévorantes.
Elles sont donc chassées ces sorcières, et 60 000 d'entre elles seront brûlées vives ; dont la plus fameuse sans doute, esnuite réhabilitée pour devenir l'une des grandes figures du roman national français :
Jeanne d'Arc.
Côté littérature, la plus innocente femme accusée de sorcellerie reste évidemment Esméralda, dans
Notre-Dame de Paris, de
Victor Hugo. Esméralda arrachée au gibet et, pour l'éternité, demeurant dans les bras de Quasimodo, comme un reproche éternel à la calomnie.
Mais à mesure que l'éducation prend le pas sur les superstitions, on voit des représentations nettement plus favorables à ces pauvres femmes, calomniées souvent pour des raisons souvent futiles, car « l'accusation en sorcellerie était un excellent moyen de se débarrasser de quelqu'un de gênant ». Voir le visage perdu de l'accusée dans la gravure « La Balance des sorcières de Oudewater ». Avec le temps, la sorcière devient même séduisante, comme le montre le tableau du peintre préraphaélite
John William Waterhouse : « Circée offrant la coupe à Ulysse. »
La sorcière devient aussi le « symbole des opprimés » chez
Otto Dix, avec sa « Sorcière » au regard triste et qui semble entrevoir les calamités à venir, à savoir l'avènement d'Hitler.
Désormais, à part quelques soubresauts démoniaques, la sorcière est plus à voir du côté d'Hermione Granger – la fidèle amie d'Harry Potter ! – que de la terrifiante belle-mère de Blanche-Neige. Surtout, elle se révèle comme une incarnation de l'harmonie avec la Nature, ce qui nous éloigne résolument du diable.
Synthétique, sans emphase ni idée préconçue – contrairement à Michelet qui, avec sa Sorcière, s'offrait un réquisitoire en règle contre le christianisme et le Moyen Âge –, ce livre, destiné à un jeune public est une excellente et non moins savante surprise. Il ferait un cadeau idéal en cette période de Noël. Je dis ça, je ne dis rien…
(Merci aux éditions Seuil jeunesse pour cette découverte et, bien entendu, à Babelio, le site qu'il est très beau !)