Chroniques

La regrettée Anne Dufourmantelle, philosophe, psychanalyste, romancière, rédigeait aussi des articles pour le journal Libération.

Riche idée d’avoir sauvegardé, en les compilant, ces chroniques écrites entre 2015 et 2017, enrichies de quelques articles de même nature.

Ces chroniques, ne suivent pas l’actualité. Ici ou là, elle peut servir de point de départ à la réflexion mais généralement, il s’agit de propos quasi intemporels sur l’homme, la liberté, la gouvernance ….avec un regard philosophique, c’est-à-dire en s’interrogeant sur le sens, l’essence qui peuvent s’attacher aux phénomènes, évènements, évolutions…

Le format ne permet pas évidemment de « recycler » des cours de métaphysique, au demeurant ce n’était certainement pas l’intention d’AD de prendre la posture du professeur. Ce regard philosophique est mis en œuvre en arrière-plan, par petites touches, presque de façon (faussement) candide.

Un regard paisible (elle est aussi l’auteure de « Puissance de la douceur »…) mais empli de questionnement existentiel, de mises en cause radicales, marque ces articles.

Les effets toxiques de la société moderne, ce théâtre où les mots, les actes des gouvernants, politiques, économiques ne sont si souvent qu’illusions, devenus des ombres déformées comme dans la caverne de Platon.
Par exemple, être « moderne », « réaliste », c’est prêter allégeance aux valeurs dominantes. Il y a ces injonctions consuméristes plus ou moins masquées, comme celle hallucinante de la chasse aux pokémons, pratiquée allégrement par des adultes, mus par un instinct grégaire. Nietzsche aurait adoré...

L’auteure ne se contentait pas de s’interroger sur des phénomènes, faciles à cibler. Avant la pandémie, elle mettait en exergue le peu de reconnaissance fait à ces acteurs, devenus aujourd’hui « premiers de cordée », notamment dans le domaine de la santé.

Un ouvrage agréable à lire qui, en dépit du format contraint des articles, offre déjà un bon aperçu de la pensée de l’auteure. Un exercice anti tweet, application qui cannibalise l’espace communication ; une preuve aussi s’il en était besoin, que l’on peut être concis sans sacrifier le fond. Le super flux de tweets dynamise les émotions négatives, un superflu de pulsions, aux dépens de la sublimation, aurait peut-être écrit la philosophe psychanalyste.

Cette compilation a été éditée au tout début du premier confinement ; ce fut un des premiers livres commandé à ma librairie de proximité. En lisant ces chroniques pendant cette période singulière, impossible de ne pas songer à ce qu’auraient pu être ces chroniques sur cette épidémie et son traitement. Sur que ces mots nous manquent toujours.

La colère est une émotion mais c'est aussi le fruit d'une pensée. En parlant des individus ou masses en colère, on cherche à les discréditer. On réduit leur sentiment à une pulsion ou à un instinct qui ne peut ainsi accéder à la dignité d'une réaction à l'injustice, ce qui est tout de même sa première raison d'être. La colère qui s'est fait jour contre les partis de gouvernement n'est pas à négliger, sans quoi le ressentiment va encore se creuser. Le risque est de voir la colère se cristalliser en haine ou bien faire retour sur les sujets en les enfonçant plus encore dans le découragement. Ce qui ne promet que de la violence.

À vouloir se dispenser du passé, le présent perpétuel de notre monde, pourrait finir par nous priver d'avenir, c'est-à-dire d'espérance.

Dans nos sociétés agitées par les pulsions, la sublimation semble en voie de disparition, au profit du déni et du passage à l'acte.