L'adolescence est faite pour trouver le chemin d'une révolte qui brisera quelque peu les chaînes de cette fidélité pour entrer dans sa vie. Mais la plupart des êtres restent en deçà de l'adolescence, ligotés par des serments qu'ils ignorent avoir prononcés, par une fidélité qui leur fait recommencer toujours les mêmes liens, même s'ils se révèlent être faits de haine, d'abandon, de trahison. Ils veulent retrouver le goût de ce premier objet d'amour perdu, ce ravissement dans lequel ils ont été pris "avant". Il faut croire que la liberté est difficile quand elle signifie trahir celui ou celle qui nous a mis au monde. Je veux dire vraiment désobéir, pas se révolter dans la haine mais briser les désenvoûtements, affronter les spectres du passé et prendre la mesure de sa voix intime, celle qui vous convoque à enfreindre des lois séculaires pour aller à la rencontre, dans une grande solitude, de la dimension de l'inespéré. Or nous sommes des êtres d'obéissance et nous sommes accablés sous le poids de nos devoirs et de nos dettes. Comment ne pas le reconnaître devant la multitude de ces vies brisées, défaites sous le poids de ces deuils impossibles, de ces loyautés tenues jusqu'à la déchéance, de cette impossibilité que nous avons à forcer l'inéluctable pour trouver notre propre voie ?
Quand le mot d'ordre d'une société devient "jouissance" ou (...) réalisez-vous, soyez bien dans votre peau, faites-vous plaisir...c'est le surmoi qui prend en charge l'impératif de jouissance qui, dès lors, ne peut plus être une conquête personnelle, une transgression voulue, exprimée, mais un devoir rendu, un service auquel il faut se plier pour être acceptable. Car ainsi fonctionnent les impératifs sociaux, ils tendent à éliminer de la scène sociale les individus qui leur résistent. Le danger de cet impératif de jouissance est de servir une guerre contre le désir ( le vrai, si l'on peut dire...) et d'autre part de favoriser l'éclosion de la chasteté ( ou du voile, autre possibilité dans une autre culture ) pour faire obstacle à ce surmoi tyrannique et chercher refuge dans un corps sanctuarisé. Car le surmoi de la jouissance tel que notre société l'encourage aujourd'hui est établi en réalité à des fins commerciales et non pas de bien-être (...).
Etre mise au monde ce n'est pas encore naître. Pour cela, il faut apprendre à quitter le paradis, la terre promise de toutes les retrouvailles, toutes les reconnaissances, tout l'amour en une seule fois. Pour le retrouver autrement, singulièrement, à partir de soi. Mais si le père ou la mère n'ont pas fait de place à l'autre, si l'enfant vient combler toutes les attentes frustrées, s'il est le dépositaire de haines bien plus solides que lui, il vient au monde déjà enseveli. La drogue, l'alcool, la nourriture, la cigarette, un certain rapport au sexe et toutes les dépendances dans lesquelles on peut être pris " à son corps défendant" sont les échos étouffés de cet ensevelissement vivant. (...) on ne peut être sevré que si l'on a été nourri, si cela a manqué au départ, c'est cette sensation du manque que l'on cherchera à retrouver sans cesse dans la faim où vous laisse toute drogue qu'elle qu'elle soit.
Le sacrifice agit en réordonnant le trauma autour d'un récit exemplaire qui lui-même sert de fabrique à un rituel. Il produit un travail d'archive, d'activation de la mémoire en rappelant la violence originelle qui l'a rendu nécessaire. Il agit comme un traumatisme, mais dans l'espace de ce « comme» il y a l'Histoire, le champ social, les autres, le temps commun. Il a cela en commun avec le trauma d'être dans l'irréparable, le «jamais plus », le « une fois pour toutes ». Mais à la différence du trauma qui ouvre dans l'histoire du sujet une place béante que rien ne peut cicatriser, le sacrifice interprète le trauma sur la scène sociale et publique, il en fait un événement dont la ritualisation recouvrira la souffrance d'une pellicule de gloire. Il en va ainsi des guerres, espace de mille traumas individuels réinterprétés comme sacrifices à la mère patrie. Le trauma lui aussi provoque de l'irréparable, mais de manière invisible, insondable. II est du côté du réel, c'est-à-dire de l'inconnaissable. Un enfant abusé ne saura pas retrouver I'endroit exact du trauma, là où le moi s'est évanoui sous l'effet de l'intolérable. Ce fading, c'est le trauma même. Le sujets'efface de la scène traumatique précisément parce qu'il ne peut pas désigner clairement le bourreau (surtout quand il est un proche ou un parent) puisque les liens d'amour se mêlent à ceux de l'envie, du désir forcé, de l'angoisse qu'a l'enfant de faire de la peine à celui qui le martyrise, de le décevoir, de rompre par son aveu le pacte qui les lie. Quelquefois même, la victime pactise avec le bourreau pour que le silence demeure, parce qu'on choisit presque toujours d'être loyal à ses parents ou à ses proches contre soi-même, même quand on ne le sait pas.
Bérénice, à première vue, ressemble à ces femmes altières, hautaines même, lisses, sur lesquelles les vicissitudes de la vie ne semblent pas avoir prise. Il y a des femmes qui traversent ainsi l'existence, elles répondent en tout point à l'idée que l'on se ferait d'une femme autonome, qui prend en main l'émancipation de son désir et son destin avec. Aujourd'hui, on dirait que rien ne leur fait peur : famille, travail, enfants, amants, elles ont du répondant et le font savoir. Pourtant une espèce particulière de douleur les mine, une sorte de solitude que rien ne rompt. Tous les discours de façade qu'elles prononcent ne font que mieux taire leur attente secrète, leur espace intérieur.
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Avec la participation de:
Alain Fleischer, Anastasia Colosimo, Anne Dufourmantelle, Avital Ronell, Barbara Cassin, Bernard Harcourt, Bernard Stiegler, Boris Cyrulnik, Bruno Karsenti, Camille Riquier, Catherine Chalier, Catherine Millet,
Charlotte Casiraghi, Christian Godin, Claire Chazal, Claire Marin, Claude Hagège, Cynthia Fleury , Davide Cerrato, Denis Kambouchner,
Dominique Bourg, Donatien Grau, Edwige Chirouter, Elisabeth Quin, Emanuele Coccia, Éric Fiat, Étienne Bimbenet, Fabienne Brugère, François Dosse, Frédéric Gros, Frédéric Worms, Gary Gillet, Geneviève Delaisi de Parseval, Geneviève Fraisse, Georges Didi-Huberman, Georges Vigarello, Géraldine Muhlmann, Gérard Bensussan, Hakima Aït El Cadi, Jean-Luc Marion, Jean-Pierre Ganascia, Joseph Cohen , Judith Revel, Julia Kristeva, Laura Hugo, Laurence Devillairs, Laurent Joffrin, Luc Dardenne, Marc Crépon, Marie Garrau, Marie-Aude Baronian, Mark Alizart, Markus Gabriel, Marlène Zarader, Martine Brousse, Corine Pelluchon, Maurizio Ferraris, Mazarine Pingeot, Michael Foessel, Miguel de Beistegui, Monique Canto-Sperber, Nicolas Grimaldi, Olivier Mongin, Paul Audi, Perrine Simon-Nahum, Peter Szendy, Philippe Grosos, Pierre Guenancia, Pierre Macherey, Raphael Zagury-Orly, Renaud
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