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EAN : 9782073003966
320 pages
Gallimard (08/06/2023)
3.72/5   341 notes
Résumé :
"J'ai failli le rater de peu. Au moment où je l'ai vraiment connu et compris, où je l'ai vraiment aimé, où enfin j'allais pouvoir profiter de lui et de son estime, on me l'a arraché, comme si ce que nous devions construire ensemble nous était interdit. Je me suis épuisé tout au long de mon adolescence à lui résister, tuer le père qu'il n'était pas et quand il s'est révélé être lui-même, il est mort pour de bon. Il est parti avec le sentiment d'avoir réussi tout ce q... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (55) Voir plus Ajouter une critique
3,72

sur 341 notes
Alors qu'il est confiné chez lui, devant la mer, sur la côte bretonne, Marc Dugain se souvient de son père décédé trente-six ans plus tôt de multiples tumeurs malignes, de ses derniers instants et de sa souffrance dont il ne voulait rien montrer. Il entreprend de retracer le destin de cet homme qu'il n'a vraiment connu, compris et aimé que peu de temps avant de le perdre, au moment où il allait pouvoir profiter pleinement de lui et de son estime. Il n'a entretenu avec lui une extrême proximité que les dernières années, ayant été un adolescent rebelle convaincu de ne jamais pouvoir arriver à la hauteur de la vertu paternelle.
Il en a fallu de la volonté, titre de l'ouvrage, à ce père, ce petit breton aux origines sociales modestes. Cet aîné de trois enfants vivant la plupart du temps seuls avec leur mère Marguerite, leur père dit « le Bosco », longuement absent car matelot embarqué sur de gros navires, cet adolescent dont les rêves et les ambitions étaient en mer va devoir surmonter la terrible épreuve de la poliomyélite, en pleine occupation allemande. Paralysé des deux jambes et condamné à être immobile, s'il a dû abandonner l'espoir de devenir officier de marine, à force d'efforts, de nombreuses opérations et l'aide inestimable d'un médecin qui a à coeur de lui rendre « les jambes qui vont avec ses capacités intellectuelles », il parvient à retrouver l'usage de sa jambe droite, à remarcher, et grâce à l'enseignement public il devient ingénieur spécialisé en physique nucléaire et en chimie des sols.
Il se marie, et le couple part vivre en Nouvelle-Calédonie puis au Sénégal où l'auteur naîtra en 1957, avant de revenir à Paris. Plus ouvertement féministe que son épouse, il déconcerte même parfois ses contemporains.
À travers la vie de son père, c'est l'Histoire de la France et même du monde que Marc Dugain nous offre, de la Première Guerre mondiale jusqu'à la fin des colonies.
Ce sont les pensées de son père, certes, que l'auteur dévoile, mais à la lecture de ses précédents romans, il me semble que ce sont sans doute aussi les siennes, des pensées en tout cas, remplies d'un profond humanisme.
J'ai particulièrement été sensible à cette analyse politique de la période de la décolonisation où il faut abandonner les richesses minières des pays colonisés dont on aurait tant besoin, au moment où l'on entre dans une ère de production et de consommation massives, ce qui explique la réticence de certains politiques ! La manière dont les colons ont piétiné ce qui avait été élaboré depuis des siècles n'est pas oubliée.
La guerre froide est également largement évoquée, tout comme la liquidation de Kennedy.
Ce roman montre avec beaucoup de pudeur la difficulté à s'affranchir de ses parents, comment est-ce qu'on peut trouver sa place de fils tout en s'émancipant de ses parents et Marc Dugain exprime finement comment il s'est épuisé toute son adolescence à résister à ce père si incroyable, si exemplaire et sa difficulté de trouver sa place de fils à ses côtés.
C'est un roman autobiographique magnifique, riche, très fort, un roman humaniste qui couvre toute une époque, entremêlant petite et grande histoire et qui aborde par petites touches de nombreux sujets de sociétés outre la politique et ses compromissions.
Mais c'est avant tout un roman dont le thème central est l'amour, roman qui nous permet de comprendre aussi comment Marc Dugain est devenu Marc Dugain

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Marc Dugain décrit avec pudeur un père qu'il a profondément admiré, et qu'effectivement force le respect par la volonté indéfectible dont celui-ci a fait preuve pour surmonter, dès son plus jeune âge, l'absence chronique d'un père marin au long cours, les difficultés financières de sa famille, et surtout la terrible maladie qui va le laisser infirme pour la vie. Passant à l'âge adulte par une brillante carrière professionnelle et un mariage d'amour fusionnel, une trajectoire exceptionnelle à bien des égards que comme souvent l'auteur inscrit dans l'histoire avec ses grands bouleversements. Une manière de faire qui m'a par le passé parue artificielle et agacée (encore un peu ici avec la théorie complotiste) mais qui dans ce beau roman sur la transmission (sans doute le plus personnel et le plus réussi de Marc Dugain) trouve toute sa raison d'être.
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Vendredi 25 mars 2022 / Librairie Caractères- Issy-les- Moulineaux


Gigantesque coup de coeur !

Lecture phénoménale qui nous prend aux tripes dès les premières pages puisque l'auteur narre ses rapports enfin pacifiés avec ce père vénéré, qui est en train de mourir...Cela se passait en 1984...et le futur écrivain n'avait que 27 ans. ...

Comme il est précisé justement dans le quatrième de couverture : "C'est le livre le plus personnel de Marc Dugain.il retrace le destin de son père, cet homme du XXe siècle à qui il doit beaucoup,en dépit de la difficulté de trouver sa place de fils à ses côtés, mais dont l'inépuisable volonté n'a cessé de l'inpirer"

Ce livre nous fait rencontrer ce Père exceptionnel,l'aîné de 3 enfants , qui,très tôt sera très responsable,mature, pour aider sa mère, une mère Courage ,élevant seule ses trois enfants,alors que le père, marin au long cours est parti aux États-unis...Cinq longues années passent...entre temps, un drame s'abat sur le fils aîné (père de l'auteur ) qui échappe à la mort, en ayant définitivement été marqué
par la polyomélite...le rendant infirme à vie. La première
grande déception rentrée : ses rêves d'intégrer une carrière prestigieuse sur les mers !
Mais ce jeune garçon exceptionnellement combatif,se battra...refuse toute once de pitié....il fera des études scientifiques brillantes, rencontrera la femme de sa vie,étonnamment brillante,également. Ils formeront "un couple-forteresse" comme Marc Dugain le qualifie lui-même...laissant d'ailleurs ainsi leurs deux fils dans une sorte de solitude....intérieure!

Le récit du parcours amoureux et intellectuel de ce couple hors du commun nous fait aller ,en parallèle, de plein fouet dans tous les grands événements du XXe siècle : les deux guerres, avec le grand-père maternel, une gueule cassée de la 1ère guerre,figure emblématique et adorée de son petit-fils, le départ des parents pour la Nouvelle-Caledonie ( ce qui nous vaut d'abondantes pages sur les méfaits de la colonisation ),ensuite pour le Sénégal, la guerre d'Algérie, celle du Vietnam,l'assassinat de Kennedy, l'ampleur de l'emprise du régime soviétique,communiste...les purges staliniennes...

Très frappée de constater l'extrême résonnance des analyses et observations de l'auteur avec l' actualité et la tragédie ukrainienne...
Combien on comprend la détestation combien compréhensive de l'auteur pour toute guerre, cruauté et absurdité conjugués pour des folies de pouvoir et de cupidité, la barbarie de toute dictature et de toute doctrine imposée à tout un peuple ( en l'occurrence,le communisme et la folie sanguinaire de Staline),....la nécessité de la création de l'Europe, sous l'impulsion du Général de Gaulle , la nécessité ,également, de ressource énergétiques indépendantes à chaque pays, le Nucléaire, les corruptions des Etats, etc.

Cet hommage bouleversant au Père croise l'histoire,la petite et la Grande Histoire du XXe siècle , avec ses progrès
mais aussi ses barbaries innombrables !!...

"Je suis sorti de la chambre pour pleurer.Ces dernières années, il était le seul avec qui je parlais. J'allais le perdre inexorablement.(...)
Rien n'était normal.Ni l'âge auquel il quittait la vie,ni l'extrême proximité que nous entretenons.J'avais passé ces dernières années à célébrer son intelligence,sa sérénité retrouvée, son scepticisme,sa sagesse.Avec lui,j'éprouvais mes raisonnements, mes vues sur le monde. On ne me l'enlevait pas,on me l'arrachait.
Je ne voulais briller qu'à ses yeux.Je n'ai jamais accepté d'autre autorité que la sienne et en cela,il à forgé ma détermination à ne dépendre de rien ni de personne.
Sa douleur m'est insupportable. Mais qu'il soit confronté seconde après seconde à la terreur de sa propre fin me l'est plus encore."(p.15)

Après cette lecture captivante et bouleversante, envie de lire enfin "La Chambre des officiers" dont je n'ai vu que l'adaptation cinématographique ( m'ayant à l'époque grandement marquée),en ayant cette fois bien en-tête la personnalité bienveillante et lumineuse de ce grand-père ,"gueule cassée "...ayant été une présence positive et chaleureuse dans l'enfance de son petit-fils...Autre texte pour lequel ma curiosité est éveillée : "Ils vont tuer Robert Kennedy" (N.R.F,2017)... et son tout dernier, qui parle de la Bretagne paternelle et de son amour de la Nature, "Conter les moutons" (mars 2022)....

Il y aurait encore tant et tant à dire de cette "Volonté " ...du Père qui a construit,au final, le jeune fils rebelle, Marc Dugain...ayant,au demeurant, intégré totalement l'empathie ,la Sagesse de son père "vénéré ",sans omettre l'assimilation totale de la grandeur du pacifisme du grand-invalide qu'était son grand-père, lui ayant transmis l'horreur pour l'imbécilité de toute guerre....

Une sacré leçon d'humanité et de
sagesse dans une actualité tragique et combien cruelle !!!
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Dans les pas de son père

En retraçant la vie de son père et l'histoire familiale, Marc Dugain raconte aussi la France postcoloniale et les années qui ont profondément transformé la France.

«Je me souviens presque mot pour mot du récit fait ce jour-là, il y a trente-six ans. La façon dont je vais le raconter dans ces pages sera certainement différente, car à l'époque je devais convaincre l'interne de m'aider à mettre fin aux souffrances de mon père. Alors que j'écris ces lignes, je suis confiné chez moi, devant la mer, sur la côte bretonne.»
Dans le pavillon des cancéreux où son père affronte la maladie, son fils essaie de convaincre son ami médecin de faire le geste qui abrègerait les souffrances de son patient. C'est précisément ce souvenir qui revient quand Marc Dugain entreprend de se replonger dans l'histoire familiale, au moment où la France est confinée.
Pour raconter la vie de son père, l'écrivain va commencer par remonter un peu plus haut dans l'arbre généalogique, du côté de ses grands-parents. La grand-père, Breton attiré par la mer et qu'il ne connaîtra guère puisqu'il va passer le plus clair de son temps sur les océans, loin des siens. Quand surviendra la Seconde Guerre mondiale, il sera retenu à New York et devra laisser sa femme, sa fille et ses deux fils affronter cette difficile période. Engagé dans des activités qu'il ne peut dévoiler, sa famille restera longtemps sans informations de sa part.
Marguerite aurait pourtant bien besoin de bras pour subvenir aux besoins du ménage. Elle va pourtant choisir de laisser ses fils poursuivre des études qui s'annoncent brillantes. C'est alors qu'un nouveau coup du sort s'abat sur la famille. L'aîné, qui a dû boire une eau infectée, est atteint de poliomyélite et va être privé de ses jambes. Mais le père de Marc va se battre et recouvrer l'usage d'une jambe. Ce drame ne l'empêchera pas non plus de suivre ses cours, d'apporter son concours à la résistance et même de trouver une épouse.
Quand son père, après six années d'absence, réapparait subitement, il a des raisons d'être ébahi, mais aussi d'être fier de sa progéniture. Cependant le «pacha» n'est pas homme à se complaire dans un cocon familial sédentarisé et ne tarde pas à reprendre goût au large. Est-ce par atavisme que son fils choisira aussi de s'exiler?
Malgré son handicap, il va emmener sa famille découvrir le monde.
Marc Dugain va alors dresser, au gré des affectations un panorama du déclin de l'empire colonial français et nous livrer un témoignage brut de ces années qui vont voir émerger une autre France. Celle de «la politique, de l'avancée, de la reculade, du double langage et de la trahison souriante». Au fil des discussions à la table familiale, les bons connaisseurs de l'oeuvre de Marc Dugain verront aussi apparaître les thèmes dont il s'emparera pour ses livres. Si son grand-père maternel, la gueule cassée de la chambre des officiers n'apparaît qu'en filigrane, la fin des empires coloniaux, la Guerre froide et en particulier les politiques russes et américaines sont largement évoquées, entre fascination et répulsion, entre interrogations et spéculations sur cet avenir qui se fera désormais sans ce père qui aura, peut-être inconsciemment qu'il ne le croit, laissé beaucoup de lui à son fils.



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Auto-fiction ou roman? La question se pose encore une fois.
Mais est-ce important? En admettant que chaque vie est une histoire en soi et qu'il convient de savoir la raconter.

Et sans conteste, Marc Dugain a le talent pour mettre en récit la vie d'un « marin des grandes terres ».
Cette biographie paternelle est à la fois un hommage lucide et touchant et une reconstitution de tranche de vie française, en contexte de l'après-guerre. L'auteur y associe la tendresse et l'admiration d'un fils, et une précise documentation sur l'époque des Trente Glorieuses et sur la décolonisation.

Par le fait, la lecture en devient passionnante, autant par la figure de l'homme (personnage solaire et éminemment courageux, scientifique aventurier, dont le titre donne la meilleure des qualités) que par la fluidité de la plume. La vie d'expatriés des parents ouvre à une réflexion sur le colonialisme, ses atouts et ses effets pervers.

Mais reste le coeur du sujet: un fils qui se confronte à un couple fusionnel, moins attentif aux enfants qu'à sa propre réussite. Un fils qui doit se mesurer à l'exemplarité d'un père, homme intimidant qu'il faudra affronter pour grandir. Et surtout assumer de ne pas être aussi parfait puis être capable de se réinventer.

Un roman très intime et personnel qui est un plaisir à lire.

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critiques presse (5)
OuestFrance
15 décembre 2023
Un hommage à son père, issu d’une famille pauvre de Bretagne, qui s’affranchit de sa condition jusqu’à devenir un physicien nucléaire reconnu.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
Telerama
19 juin 2023
Si ce livre-là est qualifié par son auteur de roman, c’est manifestement par pudeur, par scrupules, tout simplement parce que « la plus belle des fictions est celle qu’on entretient sur ses proches dans des souvenirs qui jalonnent une mémoire flottante ».
Lire la critique sur le site : Telerama
FocusLeVif
15 octobre 2021
Avec La Volonté, autobiographie captivante, Marc Dugain rend hommage à son père, "Breton carré aux angles francs" et au destin remarquable.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
LaCroix
16 septembre 2021
Marc Dugain s’acquitte, dans un très beau roman autobiographique, de sa dette de reconnaissance envers son père, plus de trente ans après sa mort.
Lire la critique sur le site : LaCroix
SudOuestPresse
06 septembre 2021
C’est l’histoire d’un homme. Ou plutôt de trois. Trois pères. La « maison Dugain & fils ». Trois générations. Trois hommes qui s’efforcent d’être toujours à la hauteur de leur humanité. D’un pays également. La France. Sa traversée du siècle dernier. Guerres, défaites, destins. C’est donc un beau et grand livre.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (180) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)

La plus belle des fictions est celle qu’on entretient sur ses proches dans des souvenirs qui jalonnent une mémoire flottante. Ce n’est pas la biographie d’inconnus, c’est un vrai roman.

La ville était cernée de montagnes mais, à cette heure du crépuscule, il était impossible de les distinguer dans la masse sombre du ciel artificiellement éclairée par les seuls lampadaires de la rue. Pour celui qui connaissait les lieux, le froid qui descendait de ces géants inertes suffisait à signaler leur présence, même de nuit. Il pleuvait. Une pluie qui chasse l’hiver pour faire place à un printemps glacial. L’angoisse qui se diffusait dans mes veines s’était installée deux ans auparavant, quand le diagnostic implacable avait été posé.
Il m’était parvenu par l’intermédiaire de son meilleur ami, un médecin militaire de la coloniale, qui m’avait invité à déjeuner pour me dire, désolé, que rien ne pouvait désormais le sauver. Chez d’autres, une tumeur suffisait à éteindre une vie, or on en avait trouvé chez lui des dizaines. Il multipliait les cellules malignes comme le Messie avait multiplié les pains. On avait alors parlé de quelques semaines, au mieux, pourtant deux ans s’étaient écoulés avant que cet homme qui croyait tant à la science ne s’écroule devant son impuissance.
Le parking se vidait. Le personnel hospitalier de jour rejoignait ses pénates en espérant certainement oublier jusqu’au lendemain cette longue procession de la maladie dans laquelle notre corps, notre ennemi le plus intime, finit toujours par vaincre notre esprit pour le précipiter dans des abîmes. La rencontre du froid intérieur et des basses températures venues des montagnes m’avait figé.
J’allais mourir une première fois avec lui et il me faudrait ensuite trouver la force de la résurrection, seul. Je n’avais jamais imaginé que si jeune, au seuil de mon existence, j’allais être confronté à la violence d’une telle épreuve. La question de la dépression qui allait suivre risquait de se poser mais j’en avais déjà démonté les mécanismes : ne sombre dans ce cancer de l’âme que celui qui refuse le monde tel qu’il est. Il faut savoir s’avouer vaincu si l’on veut perdurer dans son être, et toutes les illusions sont permises pour persévérer.
C’est la fin. Lui si fier autrefois de sa carrure de Mohamed Ali s’est rétréci. Il est désormais jaune, frêle, émacié. Ne restent que sa large tête de Celte et ses yeux un peu bridés, mais un voile s’est posé sur son regard, le voile de la pudeur de celui qui, sachant qu’il va disparaître, n’entretient plus aucune chimère, et se prépare dans les vapeurs de la morphine à glisser dans l’au-delà.
On l’a transféré ce matin aux étages élevés, ce pavillon des cancéreux sans espoir qui vivent le drame de l’inexorable extinction. Nul ne peut dire combien de temps il lui reste à souffrir. Quelques jours peut-être, qui assemblés formeront une semaine, voire deux, mais je sais qu’il peut une nouvelle fois déjouer les pronostics et subir un calvaire encore plus long.
Le grand hall de l’hôpital est vide. On se demande ce qui peut justifier un tel espace. Devant l’ascenseur, je croise quelques mines réjouies et d’autres affligées. Les premières viennent sûrement de la maternité, ici la vie entre comme elle sort. Personne ne monte avec moi. Les visites sont terminées. Sauf pour veiller les désespérés. J’ai envie de courir. D’ailleurs, depuis plusieurs mois, je ne fais que ça, courir. Pas très loin de là, sur un stade qui jouxte un incinérateur d’ordures ménagères. Je cours en rond sur une piste de quatre cents mètres.
Il est tout au fond de l’étage, à gauche, seul dans une chambre qui donne sur la ville dont les lumières scintillent d’une fausse joie. Il est assis, des oreillers coincés sous son dos douloureux. Le creux de son bras n’est plus qu’un vaste hématome relié par une aiguille à un goutte-à-goutte qui distille de la morphine à petites doses. De sa souffrance, il ne veut rien montrer, mais parfois il grimace et semble s’en excuser. Alors que rien ne l’y aide, il veut laisser le souvenir de sa dignité : d’une voix éteinte, il demande que l’un d’entre nous se rende à la maison et en rapporte du champagne. Il veut mourir comme Tchekhov, sans vraiment le connaître, mais moi je sais qu’ils ont bien plus que cela en commun.

Il n’en a rien bu, le liquide a coulé sur ses lèvres comme l’eau sur une terre aride. Je suis sorti de la chambre pour pleurer. Ces dernières années, il était le seul avec qui je parlais. J’allais le perdre inexorablement. C’était bien trop pour un vieil adolescent. L’infirmière de garde est venue pour les soins. Je suis sorti et j’ai arpenté ce couloir de la mort, sous les coups de néons péremptoires. Autour du poste des infirmières, deux petits lieux d’attente avaient été maladroitement aménagés, quelques sièges soudés, une table sur laquelle reposaient des revues usées. Rien n’était normal. Ni l’âge auquel il quittait la vie, ni l’extrême proximité que nous entretenions. J’avais passé ces dernières années à célébrer son intelligence, sa sérénité retrouvée, son scepticisme, sa sagesse. Avec lui j’éprouvais mes raisonnements, mes vues sur le monde. On ne me l’enlevait pas, on me l’arrachait.
Je ne voulais briller qu’à ses yeux. Je n’ai jamais accepté d’autre autorité que la sienne et en cela, il a forgé ma détermination à ne dépendre de rien ni de personne.
Sa douleur m’est insupportable. Mais qu’il soit confronté seconde après seconde à la terreur de sa propre fin me l’est plus encore.
Tout à l’heure, d’un signe de la main, il a éconduit poliment l’aumônier de l’hôpital venu lui rendre visite. Tout est là, encore là, rien n’est ailleurs, rien n’y parviendra. Il s’y tient. Lui, si croyant dans son enfance, si assidu à l’église, a rompu avec elle à un âge mystérieux. On ne pourrait lui reprocher de se renier à ce moment où le prêtre lui propose une passerelle céleste. Il n’a pas cette dernière faiblesse. Après la sortie de l’aumônier, je l’ai interrogé du regard et j’ai compris qu’il n’avait pas capitulé. Désormais, il ne compte plus que sur sa descendance pour assurer la continuité de son âme. Il vivra à travers moi. Cela me rassure un moment, avant que je ne craque à nouveau, terrassé par le chagrin.
La douleur s’est accentuée sur son visage. Je lui tiens la main mais je ne peux pas pleurer devant lui. Je sors une nouvelle fois dans le couloir déserté.
Je me laisse tomber sur l’un de ces bancs soudés. De là, je vois le poste de la surveillante d’étage. Elle parle à un homme accoudé devant elle. Ces deux-là se connaissent. Ils examinent silencieusement un état des patients en partance. Il tient sa mâchoire dans sa main un court moment, et sans doute soupire-t-il avant d’inspirer pour se donner du courage. J’envie sa nonchalance. Sa blouse blanche révèle sa carrure. Des cheveux blonds et longs comme ceux d’une femme tombent sur ses épaules. Rien ne presse plus à cet étage. On ne soigne plus, on ne réanime pas, on accompagne un processus physiologique implacable. Nous mourons d’un coup, ou nous mourons lentement. Ici, la lenteur s’impose.
Tout au fond, une dame corpulente s’affaire près de l’ascenseur. Elle tire d’un chariot le nécessaire pour laver et désinfecter. L’homme se retourne. Il n’a que moi dans son champ de vision, replié sur moi-même dans une position quasi fœtale. Je me redresse. Les autres, par leur seule présence, nous rappellent parfois le respect que nous devons à nous-mêmes. Intrigué de me découvrir là, il s’approche, une grande feuille à la main, et déjà je me lève, me sèche machinalement les yeux. Il esquisse un sourire qui pour moitié est une question. Mon étonnement n’est pas feint non plus.
Il y a bien cinq ans que nous ne nous sommes plus vus. Il a gardé son visage de Viking. Qu’est-ce que nous faisons là l’un et l’autre ? Lui est l’interne de service. Moi, il s’en doute, le proche d’un mourant. Je lui désigne la chambre d’un geste de la main. Une famille vient s’asseoir sans bruit près de nous, et on lit sur le visage de la mère la crainte de déranger. On s’éloigne un peu. Je retrouve de ma contenance, j’essaye de me montrer à la hauteur. On ne se connaît pas bien, mais la surprise et le lieu nous rapprochent curieusement. Nous n’avions jamais vraiment parlé, avant. Nous étions partenaires de tennis. Des partenaires réguliers qui n’échangeaient que les salutations d’usage et des balles, deux ou trois fois par semaine. Nous ignorions tout de ce à quoi l’autre se consacrait en dehors du court. Mais quelque chose nous rapprochait, qui justifiait notre assiduité. Un rapport particulier au jeu, une volonté partagée de s’appliquer plutôt que de chercher à gagner à n’importe quel prix. Nous étions complémentaires, lui tout en force, les balles lourdes, et moi plus aérien. Et puis nous avions cessé de jouer. Lui sans doute pour passer l’internat, et moi parce que j’avais commencé à travailler, avant d’avoir un fils. Ma fille doit naître dans quelques jours. Pourquoi me suis-je précipité si jeune dans la paternité ? Pour multiplier mes raisons d’aimer, me créer une responsabilité, me convaincre que je suis capable de l’assumer. Je m’épuise à travailler le jour pour des clopinettes, et étudier la nuit.
Il a posé sa main légèrement sur mon bras pour me dire qu’il devait faire le tour des malades, et qu’il reviendrait me voir. Je le vois passer de chambre en chambre. Les personnes qu’il visite ne sont probablement pas en mesure de lui parler. Douleur et opiacés se mélangent comme dans de sombres harmonies de Chostakovitch. Comment le génie russe a-t-il pu si longtemps écrire de la musique dans un tel état de terreur ? L’interne poursuit sa tournée. Le temps qu’il passe dans les chambres est invariable. Après qu’il en est sorti, j’entre dans la chambre de mon père. Il a les yeux à demi clos et humides, sa douleur l’obsède, elle obstrue son champ de pensée déjà restreint. Il regarde devant lui, la bouche ouverte d’une façon peu naturelle. C’est lui mai
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Douze millions d’hommes, de femmes, d’enfants ont quitté l’Afrique pour servir de main-d’œuvre gratuite aux Amériques et aux Antilles. Fournis le plus souvent par des chefs de tribus de l’intérieur, on les enchaîne, pour qu’ils comprennent bien que, désormais, ils quittent l’espèce humaine, et que seul le profit déterminera leur avenir. L’illusion que le temps a passé est l’alliée la plus fidèle de la bonne conscience, il n’en reste pas moins que la colonisation s’est faite sur l’idée que les occupés n’étaient pas des êtres humains de plein exercice. Le seul droit qu’ils aient eu, comme les Blancs, c’est celui de se faire massacrer en 14, et les Sénégalais ont nourri des bataillons de tirailleurs pour défendre une patrie qui ne les avait jamais conviés en tant que citoyens à part entière.
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Difficile de ne pas m’avouer que ce confinement est ma vraie nature et que, les inconvénients anecdotiques mis à part, je me plais dans cette sidération qui ressemble à un retour à la réalité après l’excès d’illusions. Loin de moi les prophéties et les superstitions, c’est le lot de ceux qui, à trouver leur vie trop ordinaire, attendent de l’extérieur le salut à leur ennui profond. Quelque chose s’ajuste discrètement. La civilisation tout entière a subitement pénétré dans un cloître à l’heure de la prière, laissant derrière elle ses précipitations et le souvenir récent de ses abus. Est-elle prête à s’appauvrir pour retrouver la raison ? Rien n’est moins sûr. Au contraire, l’épidémie éteinte, on la retrouvera à sa frénésie et à son agitation mais, au moins pendant quelques semaines, on aura respiré de l’air pur, on aura profité des siens et éventuellement de soi.
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Une partie significative du budget national va être consacrée à la sauvegarde de ce territoire irrémédiablement perdu ; excepté pour quelques illuminés qui s’imaginent que l’Algérie restera toujours française, la lucidité voudrait qu’on commence à se retirer, mais c’est compter sans la politique. L’Algérie recèle des richesses en gaz et en pétrole qu’on ne peut pas mépriser à ce moment de notre histoire où l’on entre dans une ère de production et de consommation massives. Les ménages se ruent sur les réfrigérateurs, les postes de télévision les hypnotisent. Ils prisent aussi les vêtements et rêvent de la Citroën DS, qui fait son apparition au salon de l’auto et devient le symbole de cette bourgeoisie méritante dont le cinéaste Chabrol est le meilleur contempteur.
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À ceux qui pensent que la culture et l’éducation sont le rempart contre la barbarie, les qualifications des chefs des commandos de la mort sont là pour démontrer le contraire. Ces officiers de la SS, pour la plupart de grands diplômés – certains sont docteurs en philosophie, en théologie, en sciences humaines -, ont plaidé pour la solution finale afin d’éviter à leurs troupes la répétition des exécutions sommaires, devant des fosses communes où il faut parfois un second projectile pour venir à bout des enfants.
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Videos de Marc Dugain (72) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marc Dugain
Extrait du livre audio « Tsunami » de Marc Dugain lu par Mathieu Buscatto. Parution numérique 30 août 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/tsunami-9791035414825/
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