[Le Père F***] appliquait, avec rigueur, les règles de l'éloquence ecclésiastique, telles qu'elles étaient enseignées en ce temps-là. Les difficultés de cet art oratoire si particulier étaient alors impérieusement déterminées par la nécessité de se faire entendre dans des vaisseaux parfois très grands. - Le Père F*** disait volontiers qu'on l'entendait très distinctement dans les plus grandes églises de France, et je n'en doute pas. - N'empêche que cela suppose une certaine façon de placer la voix, comme disent les comédiens. N'empêche que cela ne peut pas ne pas exclure toutes les tentatives de langage parlé, de contact direct avec le public des fidèles. N'empêche que cela comporte une sorte de pompe qui, faute d'invention géniale, se gonfle de lieux communs. Même quand le Père F*** venait se placer sur le premier degré du chœur, dans cette église minuscule, je le sentais séparé de son auditoire par un voile de conventions, de préjugés, de formules toutes faites et de vocalises traditionnelles. Je me suis demandé souvent si l'introduction du microphone dans les églises n'allait pas transformer complètement l'éloquence de la chaire. Il n’y paraît pas encore.
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L'approvisionnement de l'ambulance - personnel et blessés - était remis aux bons offices d'un excellent garçon nommé M***, aussi peu normand que possible, naturel et liant, qui ne montrait quelque repli de l'intellect qu'en ce qui touchait sa fonction. Il appartenait à l'Ad-mi-nis-tra-tion, dans le militaire aussi bien que dans le civil. Il était de ces employés pour lesquels l'administration est, en fait, un sacerdoce, de ceux qui, pour écrire « l'administration d'un médicament » ne peuvent, et c'est légendaire, se dispenser de mettre une majuscule. Il était fort susceptible et poussait au delà des limites du raisonnable le sentiment de la responsabilité. Si l'un de nous jugeait le bœuf coriace ou le vin aigrelet et s'avisait de faire à ce sujet une remarque même anodine, les oreilles de M*** commençaient à rougir et la colère éclatait. Nous avions pris le parti de nous en tenir aux louanges.
Première partie de la conférence sur Georges Duhamel donnée le 25 mai 2016 à l'Institut Henri Poincaré à l'occasion du Festival Quartier du Livre (Paris 5ème) par Philippe Castro.