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Les Crimes célèbres » parus entre 1839 et 1841 sont ce qu'on pourrait appeler une oeuvre de jeunesse de Dumas. A cette époque-là nous savons que c'est le théâtre qui le motivait le plus : il y avait déjà remporté quelques succès notoires : «
Henri III et sa cour » (1829), «
Antony » (1831), «
La Tour de Nesle » (1832) ou « Kean » (1836). le roman ne l'intéressait pas encore, bien que l'Histoire, déjà, occupait pleinement sa pensée (beaucoup de ses pièces étaient bâties sur un sujet historique) : ses premiers essais romanesques, entre la reconstitution historique et le roman à proprement parler, sont plutôt timides :
Isabel de Bavière (1835), «
le Capitaine Paul » (1838) ou «
La Main droite du Sire de Giac » (1838). le déclic se fait en 1839 avec « acté » et ces « Crimes célèbres ».
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Les Crimes célèbres » ne sont pas un roman historique. Il s'agit là plutôt d'un travail d'historien, ou mieux de compilateur (sans effet péjoratif) de documents historiques, destiné à apporter au grand public des informations sur quelques grandes affaires du passé, mettant en cause des assassins et des victimes célèbres. « Célèbres », le mot est un peu exagéré, sans doute : si quelques noms parlent à notre oreille (Murat,
Marie Stuart,
les Borgia, la Marquise de Brinvilliers,
Ali-Pacha – et encore, celui-là, c'est à cause de Monte-Cristo !), bien d'autres nous sont parfaitement inconnus. Dumas (aidé par quelques « collaborateurs ») s'est livré à un effort titanesque de documentation (ce que fera
Emile Zola plusieurs décennies plus tard), avant de livrer un travail soigné, intéressant toujours, émouvant quelquefois, mais disons plus « universitaire » que romanesque : ici, ce sont les faits qui priment. Pas de psychologie, pratiquement pas de dialogue (et Dumas sans dialogue, ce n'est pas vraiment « notre » Dumas), et pas d'analyse générale pour commenter le crime, si ce n'est pour dire que l'origine de ces crimes concernent moins les individus eux-mêmes que la société qui les a créés (encore un concept pré-naturaliste, l'influence du milieu !).
Les crimes s'étalent (si on peut dire) depuis la Renaissance jusqu'à l'époque contemporaine de Dumas. Dix-huit crimes sont ainsi relatés : «
Les Cenci », « La Marquise de Brinvilliers », « Karl Ludwig Sand », «
Marie Stuart », « La Marquise de Ganges », « Murat », «
Les Borgia », «
Urbain Grandier », « Vaninka », « Massacres du Midi », «
La comtesse de Saint-Géran », « Jeanne de Naples », « Nisida », « Derues », «
Martin Guerre », «
Ali Pacha », « La Constantin », « L'Homme au masque de fer ».
Ouvrage didactique donc, plus que romanesque, mais intéressant pour l'Histoire, et déjà pour le savoir faire de l'auteur qui apprend comment « tourner » une intrigue, ce qui fera le noyau de ses futurs romans (il y ajoutera un sens du rythme épatant, et un sens du dialogue qu'on ne présente plus). Beaucoup de ces personnages (et de ces textes) referont surface, remaniés et remis au goût du jour, dans des romans ultérieurs :
Ali-Pacha dans « Monte-Cristo », Murat dans «
La San Felice »,
les massacres du Midi dans «
Les Compagnons de Jéhu », etc.
Donc pas encore le grand Dumas que nous aimons (ou adorons), mais un Dumas en formation, qui a déjà pour lui le goût de l'Histoire, et déjà en lui le génie pour la raconter. Ce ne sera pas long puisque «
le chevalier d'Harmental » (qui signe sa rencontre avec
Auguste Maquet) sera son premier grand succès en 1942.
Pour l'instant seule l'édition Phébus (en trois volumes) présente l'intégralité des "Crimes célères", mais on peut en trouver séparément (par ordre de trois ou quatre) dans diverses autres éditions