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EAN : 9782383110224
240 pages
Les Avrils (03/01/2024)
4.1/5   68 notes
Résumé :
À trente ans, Félix Pogam vit à Belleville avec sa compagne et leur bébé. Le soir, il joue de la guitare dans les bars avec l’espoir tenace de voir sa carrière solo démarrer. Car la gloire, Félix l’a déjà frôlée. Avec ses amis, ils avaient le talent, l’audace, l’osmose. Il y avait la fièvre, l’excitation et l’insouciance. Signature en label, disque et tournée ; leur groupe a décollé puis tout s’est arrêté. Félix, lui, n’a jamais renoncé. D’ailleurs, Marc, son manage... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (50) Voir plus Ajouter une critique
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Dans les premières pages, on découvre le narrateur, Félix, plongé dans ses souvenirs, lorsqu'il faisait partie d'un groupe de rock mené par le charismatique Louis : un album remarqué, des concerts électriques, une notoriété grandissante. C'était il y a plus de neuf ans. Désormais,il a trente ans, est en couple, vient d'avoir un bébé. Il est serveur mais continue en solo à composer, à jouer en concert, espérant être signé.

Avec une évidente fluidité narrative, Martin Dumont alterne une double temporalité, entre les chapitres ancrés dans le présent de l'année 1984 et ceux dédiés aux années glorieuses du groupe. L'enjeu pour Félix est de construire son avenir alors qu'il est tiraillé entre un passé magnifié par la patine du temps, et les réalités concrètes du présent ( un bébé, un couple, des factures à payer ).

« Moi qui n'ai plus de groupe, plus un seul musicien, j'ai la clameur des bars. le brouhaha des salles indifférentes. Les rires, les cris et les anniversaires. le son des retrouvailles et des joies éphémères, le tintement des verres qui trinquent au bonheur de l'instant. J'ai le fracas de la vie qui s'efforce d'être heureuse. »

Martin Dumon est l'écrivain de la douceur. Avec sa prose simple et sobre, mais pas simpliste pour autant, il excelle à trouver un équilibre harmonieux entre la pudeur des sentiments et leur éventail expressif. Tout sonne juste, aussi bien dans les dialogues que dans les les très belles scènes de concert qui retranscrivent parfaitement l'énergie et l'exaltation du musicien.

«  Qu'est-ce qu'il nous reste exactement une fois qu'on a laissé filer nos rêves ? »

Le lecteur accompagne totalement Félix à la croisée des chemins, il comprend son dilemme et est questionné dans sa propre relation à ses rêves de jeunesse. On a tous été des « tireurs d'étoile », on a tous eu à composer avec les réalités triviales du quotidien, on a tous cherché à un moment comme Félix à tourner la page du passé tout en conservant sa flamme vivante pour s'en servir comme tremplin. Félix est un des nôtres, et Martin Dumont aussi tant on devine que cette histoire d'amour, d'amitié, de musique, de paternité, du Paris de Belleville, doit aussi lui appartenir un peu.

Tempo est également très bien construit avec son avancée narrative fluide et subtile, à la fois nostalgique et propulsive. Il y a même un certain suspense à découvrir, par touche, ce qui est arrivé au groupe de rock, à Louis, les causes de leur séparation. Et puis, les dernières pages arrivent avec une certaine évidence pour boucler la boucle et laisser entrevoir une lumière apaisante qui fait du bien au coeur du lecteur.

Un roman humble et sensible, sans esbroufe spectaculaire mais touchant et plein de grâce.
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Merci beaucoup à Babelio et aux Éditions Les Avrils de m'avoir permis de découvrir ce roman.
Troisième livre de Martin Dumont que je lis, et que je suis depuis son premier roman « le chien de Schrödinger ». Chaque lecture est un moment de découverte car l'auteur se renouvèle à chaque livre et aborde des sujets complètement différents.
Là, on suit Félix et sa famille. Marié à Anna, qui est infirmière et père d'un petit Élie, né deux mois plutôt qui se démène pour joindre les deux bouts. Ils sont en mode survie.
Félix n'a pas oublié ces moments de jeunesse où son groupe musical s'est créé. L'amitié qui a lié ces quatre musiciens et, où, il a été très proche de l'autre chanteur, Louis. Ce groupe qui est monté au firmament avec à la clé, album et concerts …
Dans ce livre autobiographique, Martin Dumont nous fait vivre la vie d'un musicien et d'un groupe de sa création à son apogée, puis à sa déchéance. le quotidien du musicien qui croit encore en ses rêves et se produit dans des bars où personne ne l'écoute.
Un livre plein de nostalgie, mais aussi d'espoir, écrit d'une plume sobre et pleine de délicatesse, tout en pudeur et c'est ce que j'ai adoré.
Une partition qui se joue entre les chapitres, qui alternent le présent et le passé.
Une belle mélodie qui me conforte dans l'envie de continuer à suivre Martin Dumont qui sait se renouveler à chaque roman.
J'adore également les Éditions Les Avrils dont chaque lecture m'enchante.
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Après quelques années d'attente, j'ai été contente de retrouver la plume de Martin Dumont qui est restée très douce et poétique.
Avec tempo, nous nous éloignons de la mer pour découvrir un autre pan de la personnalité de l'auteur ; celle de sa passion pour la musique.

Dans ce roman, Martin Dumont va nous proposer un récit à la double temporalité où Felix, un jeune père de famille vivotant de sa musique sans parvenir à vraiment percer, revient sur les moments d'une gloire passée lorsqu'il jouait avec un groupe d'amis des années auparavant.

J'ai beaucoup aimé l'émotion se dégageant de ce texte ce qui apporte finalement beaucoup de lumière au récit. Martin Dumont a vraiment su accorder sa guitare pour nous offrir un récit où les notes et accords s'adaptent au rythme de la vie de Felix.

En lisant ce roman, je me suis sentie touchée par le personnage principal auquel je me suis finalement rapidement identifiée, car, il est parfois plus facile de vivre dans le passé que de tourner la page.

Si vous ne connaissez pas les ouvrages de l'auteur, je vous conseille de les découvrir, car ceux-ci ont quelque chose de savoureux et apportent un certain bien-être en les lisant. Je sais que je manque complètement d'objectivité quand il s'agit des romans de Martin Dumont mais, franchement il serait vraiment dommage de faire l'impasse dessus.

Je tiens à remercier les Éditions Les Avrils et Netgalley France pour m'avoir permis de découvrir Tempo, un roman dont je ne peux que vous conseiller la lecture...
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Le son d'un riff de guitare imprègne chaque page de ce roman, qui fait la part belle aux rêves déçus. Un drame pour ceux qui vivent avec celui qui ne veut y renoncer. La musique n'est pas une option. Que pourrait-il faire d'autre ? Les petits boulots acceptés sous la pression sont toujours un tremplin en attendant le miracle…

On perçoit le sentiment de solitude de cet éternel incompris, que le destin a préservé jusqu'à ce qu'un drame ne fasse éclater les fragiles liens d'un groupe aussi talentueux que motivé.
Le choix est cruel, aller au bout de ses rêves et se séparer de celle qu'il aime pour jouer le père à temps partiel, ou accepter la grisaille d'un quotidien alimentaire…

Les ambitions de jeunesse viennent souvent s'échouer sur les rives de la nécessité. C'est tout le propos de Matin Dumont, qui révèle ici sa passion pour la musique, dans ce qu'elle suscite d'émotions partagées.

Dans la droite lignée des deux romans précédents, on retrouve la plume mélancolique mais précise, qui fait apprécier chaque ligne du récit.


240 pages Les Avrils 3 janvier 2024
Masse Critique Babelio
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Que reste-t-il de ces beaux jours?

Martin Dumont confirme tout son talent dans ce roman dans lequel Félix se raconte. Ce musicien, qui vient de devenir père, se bat désormais pour assurer l'avenir de sa femme Anna et de son fils Élie. Si le groupe qu'il formait avec Louis, Alex et Rémi est remisé au rang des souvenirs, il rêve d'une carrière solo.

Quand il range sa guitare, après avoir joué quelques morceaux de sa composition dans le bar de son ami Kacem, Félix a le moral en Berne. On lui a dit et répété qu'il était un bon musicien, qu'il y avait quelque chose dans ses compositions et que sa maquette circulait. Mais il est désormais le père d'un petit Élie et se doit d'assumer cette charge trop lourde pour les épaules de sa femme Anna, qui après son congé maternité a retrouvé son boulot d'infirmière et accumule la fatigue.
Il sent bien que c'est sa dernière chance de rebondir, d'entamer une carrière solo, lui qui est passé tout près de la gloire avec son groupe.
Tout avait commencé lorsqu'il avait rencontré Louis, en seconde. Très vite, ils sont devenus amis, très vite il lui a fait aimer la musique, très vite il s'est mis à la guitare.
Quand Alex est arrivée, Félix s'est dit qu'une femme allait apporter des emmerdes. Mais au contraire, elle a su trouver sa place dans ce trio que Rémi est venu compléter. Il fallait bien un batteur pour réussir. C'était le temps des répètes dans une cave, c'était le temps des rêves...
«On s'imaginait sur une scène immense. Public en feu et colonnes d'amplis dans le dos. Louis faisait semblant de haranguer la foule tandis que je lançais des «Bonsoir!» et des «Merci!» aux murs à chaque fin de chanson. On bossait comme des dingues. On voulait progresser, constituer un set et se produire. le samedi était le plus beau jour de la semaine. Une fois épuisés, on rangeait les instruments, on débriefait, puis on sortait faire la fête.»
En faisant alterner les chapitres dans lesquels Félix se remémore ces années où le groupe s'est construit, leurs premiers succès et leurs premiers excès et les chapitres où le père de famille sent une pression de plus en plus forte sur ses épaules, — «j'ai été assez patient comme ça, je ne veux plus attendre. Rien ne vient jamais et je ne peux plus jouer pour des gens qui s'en foutent. J'ai besoin de fric et peur de perdre Anna. Une trouille pas possible» — Rémi Dumont réussit à donner à ce roman une forte dimension nostalgique. Et nous rappelle combien nos rêves de jeunesse, une fois confrontés à la vie réelle, peuvent être difficiles à assumer. Mais aussi, comme le confie Louis à son ami, que les moments difficiles donnent du sens à tout. Ces moments «qui mettent en valeur le reste. le plaisir, les frissons, le bonheur. Tout ce que l'on poursuit sans cesse. Et ce que l'on a vécu avant bien sûr! Il faut ça pour se rendre compte à quel point c'était fort. À quel point c'était grand.»
Si Félix est si attachant, c'est qu'il porte avec lui ses blessures narcissiques. Des blessures qui, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous accompagnent aussi.
C'est sans doute aussi la raison pour laquelle ce roman nous touche autant. En le lisant, on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il reste de ces beaux jours. de nos rêves d'enfant. A quel moment la réalité de la vie nous a-t-elle rattrapée ? Nos choix ont-ils été judicieux ? Et si c'était à refaire ? Cette réflexion douce-amère sur les moments-clé d'une vie confirme, après le Chien de Schrödinger et Tant qu'il reste des îles la place de choix que Rémi Dumont a pris au sein des romanciers contemporains.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. En vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.



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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
GIMME SHELTER
Il n’y a pas d’applaudissements. Les conversations reprennent, je bois une gorgée de bière avant de me réaccorder. J’égraine doucement les cordes. De haut en bas, des graves jusqu’aux aiguës. Les notes s’élèvent et flottent au-dessus de la salle. À mes pieds, la diode de l’accordeur clignote. Je tourne à peine les mécaniques.
Un quart de ton, pas plus. Des réglages fins pour parfaire l’équilibre.
Ma paume revient se caler sur le manche. Ré mineur, do, sol. La guitare vibre, je la presse contre ma poitrine. Sept ans que sa couleur brune m’accompagne partout.
J’aime ses touches en palissandre, son vernis satiné et la rondeur du son qui émane de sa caisse. Derrière elle, je me sens à l’abri. Comme en retrait du monde.
Le public s’agite. L’interlude expire dans un fracas de verre brisé. Il y a des éclats de rire, le raclement des chaises que l’on écarte pour nettoyer le sol. Je me redresse, ajuste le micro et entame un morceau sans attendre le calme.
La basse avec le pouce, la mélodie du bout des doigts.

Je joue et tant pis si personne n’écoute. Il y a des soirs où ça ne me fait plus rien.
Tempo lent, premiers accords. Le bar s’efface à mesure que la musique monte. On bouge encore un peu devant, peut-être qu’on se rassoit. Ça n’a plus d’importance. Je chante d’une voix claire, sans effets ni saturations. C’est un couplet qui traîne, se hisse des profondeurs. J’aime dire que c’est un blues, mais je n’en suis pas sûr. Ça raconte la fin d’une histoire. Pas forcément l’amour, l’amitié aussi. Le vécu en commun. Ce n’est pas triste, peut-être un peu mélancolique. Ça dit qu’on n’y croit plus mais que ce n’est pas grave, qu’il reste quelques regrets et de beaux souvenirs. Surtout pas de remords.
Je ferme les yeux. Je reprends ces paroles qui ne sont pas de moi, ces mots lus pour la première fois sur le carnet de Louis. C’était il y a longtemps. L’époque du groupe et des textes griffonnés au creux des nuits trop courtes.
Des concerts, des chambres d’hôtel. Des morceaux qu’on compose à l’arrière d’un vieux bus. Celui-là, on n’a pas eu le temps de le porter sur scène. C’est dommage. C’est une chanson magnifique.
La soirée s’étire, le set touche à sa fin. Sur les ultimes refrains, quelques silhouettes m’accompagnent en frappant des mains. Dernier accord, remerciements puis
je coupe le micro. Pas de rappel. La lumière revient et la tension tombe. L’adrénaline s’estompe. Je quitte l’estrade, ma guitare sous le bras.
La salle est encore pleine. Je refuse l’alcool tendu par un type éméché, souris aux compliments d’une fille qui dit avoir aimé. Je glisse entre les tables. Au bar, le patron m’accueille d’un air absent. Il dépose le cachet et une pinte devant moi. Un riff connu s’échappe déjà des enceintes suspendues aux murs. J’ai l’habitude. Ici, la fête ne fait que commencer.
J’enfonce les billets dans ma poche, avale une longue gorgée puis sors sans terminer ma bière. Il pleut, des fumeurs abrités lèvent leurs verres dans ma direction. «Chapeau, l’artiste.» Je réponds d’un signe de main, remonte ma capuche et cours jusqu’au métro. Huit stations, cinq minutes encore sous l’averse et me voilà chez moi. L’appartement est silencieux. Dans la chambre, Anna s’est endormie la veilleuse allumée. Je m’abstiens de l’embrasser de peur de la réveiller, d’amputer un sommeil devenu trop précieux.
Allongé dans son berceau, Élie est éveillé. Il babille au milieu de ses peluches, les jambes repliées sur le ventre.
En m’apercevant, il serre les poings et se met à gémir. Je le soulève, le plaque contre mon torse et quitte la pièce en prenant soin de refermer la porte.
Je rejoins le salon, glisse un CD dans le lecteur. Volume au minimum, juste un filet de son pour escorter mon quart. Derrière la vitre, la pluie ne faiblit pas. Elle gifle la fenêtre à chaque rafale. Mick Jagger chante tandis que mon fils s’entraîne à tenir sa tête. «A storm is threatening, my very life today.» Deux mois qu’Élie est entré dans nos vies. Septembre 1988, la dernière semaine de l’été. La nuit de sa naissance, une salve d’orages éclatait sur Paris. Les éclairs illuminaient l’appartement dans d’énormes grondements, des trombes d’eau s’abattaient sur la ville. Pliée en deux par les contractions, Anna a trouvé la force de rire quand j’ai proposé d’appeler le bébé «Tonnerre».
Elle m’a répondu que c’était un nom de cheval, qu’on s’en tiendrait à l’idée initiale si je le voulais bien. Élie est né au petit matin. Dehors, les nuages finissaient de se disperser.
Il se calme. J’ai l’impression qu’il écoute le morceau mais c’est sans doute simplement qu’il s’endort. Pendant la grossesse, je posais une enceinte près du nombril d’Anna et passais des albums entiers. Ça m’amusait de me dire qu’il entendait peut-être quelque chose.
J’ai continué au retour de la maternité. Des dizaines de disques, mes artistes préférés et leurs plus belles chansons.
Anna voulait que je lui chante aussi les miennes mais je n’ai pas osé. Je ne me l’explique pas. Trois fois je suis resté planté devant mon fils, guitare sur les genoux. Je n’ai jamais réussi à sortir une note.

2
Sept heures, je descends à La Pieuvre. Le bar est en bas de l’immeuble. Si tôt, je suis le seul client. Kacem fait couler deux cafés et s’installe avec moi. Trois ans qu’il a repris ce bistrot. Avant c’était un rade. Glauque, sombre et rarement ouvert. Il paraît que c’était un tripot, que des types jouaient aux cartes en pariant des sommes folles.
On entendait parfois des voix s’invectiver à l’intérieur.
La mairie a ordonné la fermeture et Kacem a racheté. Il a tout retapé. Le sol, le comptoir, même l’espace cuisine à l’arrière. Les gens du quartier n’ont pas tardé à revenir.
Un peu pour le bar et beaucoup pour Kacem. Il connaît tout le monde. Il a toujours un mot gentil ou une petite attention. J’ai travaillé pour lui les deux premières années. Il cherchait un serveur et j’avais besoin de fric. Il m’a tout appris. La salle, le bar, la caisse. Jusqu’aux recettes de ses meilleurs cocktails. J’aimais l’ambiance, l’intensité des gros services et la paie régulière. Les soirs plus calmes, je m’installais dans le fond et je jouais mes chansons. Ça plaisait à Kacem. Il n’invitait jamais de groupes mais me laissait carte blanche. En fonction de l’affluence, je poussais les tables, je branchais un micro et montais chercher ma guitare. Les clients appréciaient. Un habitué se joignait de temps en temps à moi. Un contrebassiste de l’opéra de Paris, le meilleur musicien que j’aie jamais rencontré. Je pouvais lancer n’importe quoi, il se calait dessus. Fallait voir sa façon de jouer. Sans forcer, toujours au naturel.
Avec un grand sourire et l’air de penser à autre chose.
J’aurais pu continuer longtemps à bosser à La Pieuvre.
J’aimais ça, je gagnais un salaire correct et le boulot ne manquait pas. J’y laissais mes soirées sans que ça me dérange. Mais avec la fatigue, les jours aussi se sont mis à rétrécir. Je ne touchais plus assez ma guitare et j’ai passé six mois sans écrire un morceau. J’ai pris peur, je suivais une voie qui n’était pas la mienne. J’avais encore trop de rêves à tenir.
J’ai rendu mon tablier en prétendant qu’Anna se plaignait de ne plus me voir. C’était faux, elle bossait souvent de nuit et mes horaires lui convenaient. J’ai menti par crainte que Kacem m’en veuille, qu’il trouve mon choix stupide. Mais je ne suis pas certain qu’il ait cru mon histoire. Il s’est contenté de me dire qu’il comprenait et
qu’il y aurait toujours une place pour moi si je changeais d’avis. Il m’a serré la main, m’a remercié pour le travail abattu puis m’a tendu mon solde de tout compte.
Le soleil se lève, Kacem boit son café d’un trait. La lumière rase souligne les cernes qui creusent son visage. Il ne dort plus assez. Depuis le départ de son dernier employé, il assure tous les services seul. Derrière son bar seize heures par jour, dimanche compris. Il a du mal à recruter. Il répète qu’il cherche juste quelqu’un de fiable, un type compétent ou simplement motivé. Rien de bien compliqué. Comme il ne trouve pas, il désespère et se plaint des jeunes qui ne veulent plus bosser.
Une berline noire apparaît. Kacem se redresse, tiré de ses pensées par le bruit du moteur. La voiture accélère et rebondit sur le ralentisseur qui protège le passage piéton.
Le bas de caisse racle contre le goudron dans un violent crissement. Kacem jubile.
– Ça ne manque jamais. Bien fait crétin, t’as qu’à rouler moins vite!
La bagnole disparaît à l’angle et le calme revient.
J’observe la terrasse vide, l’unique rangée de tables rondes qui habille la façade. L’étroitesse du trottoir interdit de s’étendre. Depuis que la mairie lui a collé une prune, Kacem chasse les chaises de travers. Il houspille les clients, insiste pour qu’on respecte la ligne imaginaire.
Parfois ça râle un peu mais il répond que si on n’est pas content, on peut toujours aller se faire arnaquer sur les grands boulevards. Je n’ai jamais vu personne partir boire sa bière ailleurs.
Kacem touille le fond de son café puis se tourne vers moi.
– Ça va, le petit?
– Ça va… sauf qu’il dort la journée et pas tellement la nuit. Kacem grimace. Il me dit que pour lui c’était pareil.
Son deuxième surtout, impossible de le faire dormir.
Et qu’est-ce que tu as fait?
Il hausse les épaules.
– Rien, j’ai attendu que ça passe.
Je lève le pouce en guise de remerciement et il se met à rire. Je l’écoute m’expliquer que les garçons sont plus difficiles à endormir que les filles. Je ne sais pas si c’est vrai, s’il y a quelque chose de scientifique derrière.
Comme il a l’air d’y croire, je me contente d’acquiescer.
Un premier client s’installe. La rue se remplit peu à peu, des cris d’enfants montent de la cour d’école en face. Une fois leurs mômes déposés, la plupart des parents viennent à La Pieuvre partager un petit déjeuner. Ils s’assoient, parlent boulot et soucis des gosses, se promettent de se voir bientôt puis filent
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Tu comprends, Félix? La vie, sans les moments difficiles, ça n'existe pas, hein? Je veux dire, ce sont eux qui donnent du sens à tout. Qui nous inspirent, qui mettent en valeur le reste. Le plaisir, les frissons, le bonheur. Tout ce que l’on poursuit sans cesse. Et ce que l’on a vécu avant bien sûr! Il faut ça pour se rendre compte à quel point c'était fort. À quel point c'était grand. Tu ne crois pas? p. 201
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C’est pour ça que je joue. Sur des scènes fatiguées au fond des salles obscures. Dans les bars où personne n’écoute. Pour exister, pour avoir l’impression de vivre. Pour partager ce qui bouillonne en moi. La joie, la peur, l’amour, la peine. Tout ce qui me tord les tripes ou me rend follement heureux. Je joue pour qu’on se souvienne, pour couvrir les sirènes du néant. Pour oublier ne serait-ce qu’un instant l’absurdité de la fin et le vertige du vide.
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- Tu te rends compte de ce qu on fait, là, sur scène? le dire, toutes ces heures passées à composer, à écrire. à répéter pour en arriver là, devant ces gens? C'est quand même fou si tu y réfléchis. On monte, on se branche et on joue pendant une heure. On dit: «Bonsoir, c'est nous. maintenant écoutez-nous!» Et tu sais pourquoi on le fait? Parce qu'on pense que ça vaut le coup. On croit fermement qu'on a un truc à leur offrir. Quelque chose d'unique, de dingue. On est convaincus que nos chansons sont bonnes et qu'elles ont une chance de leur plaire. De les bouleverser, même. Et moi, je dis que c'est vrai, que c'est possible. Seulement il faut les défendre ces chansons. Les défendre de toutes nos forces. Parce qu'on n'aura pas beaucoup d'occasions de le faire.
Je suis resté muet. Il a conclu en me disant que s'il y avait une seule personne qui repartait avec l'envie de nous revoir ou de nous écouter, alors c'était gagné. Le concert était réussi. Le reste, on s'en foutait pas mal. Je ne lui ai pas demandé si ça fonctionnait à chaque fois. J'imagine que non, qu'il lui arrivait de changer de cible. Que parfois, malgré tout, il n'y croyait pas sufisamment. Qu'il avait aussi ses moments de tristesse et de désespoir. Mais je me suis mis à l'imiter. Je repérais un homme, une femme ou juste une silhouette si l'éclairage ne me permettait pas mieux. Et je donnais tout ce que j'avais pour elle. De la première à la dernière note.
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- Tu comprends, Félix? La vie, sans les moments difficiles, ça n'existe pas, hein? Je veux dire, ce sont eux qui donnent du sens à tout. Qui nous inspirent, qui mettent en valeur le reste. Le plaisir, les frissons, le bonheur. Tout ce que l'on poursuit sans cesse. Et ce que l'on a vécu avant bien sûr! Il faut ça pour se rendre compte à quel point c'était fort. À quel point c'était grand. Tu ne crois pas?
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