Dits à la télévision : Entretiens avec Pierre Dumayet

Ces interviews et essais constituent en quelque sorte ce que tout lecteur (moi, en tout cas !) rêve de posséder après avoir refermé un livre aimé : en guise d'épilogue, un « plus » précieux sur la genèse de l'oeuvre, sur la nature de l'inspiration de l'auteur, sur la mystérieuse provenance des personnages...
Ce petit livre est tout cela.

Il fait revivre la voix inimitable de Marguerite Duras, le temps de quatre interviews.
Les deux premiers, portent sur le ravissement de Lol V. Stein et le vice-consul, et sont datés des 1964 et 66. Nous y apprenons par exemple l'origine du prénom de Lol, et aussi un événement dramatique de l'enfance, qui hanta l'écrivaine toute sa vie.
Ils sont suivis d'une démarche originale et pleine d'intérêt : faire réagir l'auteure au visionnage de ces interviews, trente ans plus tard. de là découle un approfondissement des considérations de l'auteure, qui se livre encore davantage (l'évidente proximité avec son interviewer n'y est pas pour rien).

Un essai de Marie-Magdeleine Lessana vient ensuite apporter les éclairages d'une psychanalyste-écrivaine sur le ravissement de Lol V.Stein. Précisons que M.M Lessana est auteure elle-même d'un ouvrage sur les relations « mère-fille », et d'écrits sur la féminité.

Le fascicule est bref, très bref... mais dense, très dense ! Et pour ne rien gacher, il est joliment relié, en cartonnage légèrement gaufré.

J'ai été happée par cette lecture, qui sans doute gagnera à être renouvelée si l'on veut pénétrer -autant qu'il est possible- le mystère de ces deux oeuvres de Marguerite Duras.
On réfléchira ainsi -sans fin surement ! - aux significations que recouvre ce terme équivoque du « ravissement ».... et cet opus nous accompagne dans cette quête avec pertinence.

C'est pour l'émission de télévision Lectures pour tous que Pierre Dumayet interroge Marguerite Duras à propos du roman "Le Ravissement de Lol V Stein" en 1964, puis à la sortie du roman "Le vice-consul" en 1966.
En octobre 1992, Marguerite Duras est de nouveau invitée par le journaliste dans l'émission Lire et écrire à réagir aux propos qu'elle tenait sur ses romans trente ans plus tôt.
L'ensemble de ces entretiens est publié dans ce recueil intitulé "Dits à la télévision".
Même écrits, il y a de grands moments de solitude. Il y a beaucoup de silences, d'hésitations et d'autres coupures de voix comme des arrêts brefs. Tout cela est consigné à l'écrit par des passages à la ligne ou des ...
Il faut dire que les périodes ne sont pas propices aux interviews car Marguerite Duras sort d'une cure de désintoxication pour la première période et d'un coma de plusieurs mois pour la deuxième période. Son état de santé ne facilite pas le dialogue et Pierre Dumayet ne l'aide pas beaucoup.
Ceci étant les propos de Marguerite Duras sont souvent émouvants. Elle parle de sa peur d'écrire sans l'alcool ou de sa participation à un bal de Noël dans un asile psychiatrique où elle a rencontré une femme folle lui inspirant Lol V Stein. Pourtant le personnage de son roman n'est pas vraiment une folle, elle est dans un état d'acceptation qui s'installe lorsque la jeune fille voit son fiancé tomber amoureux d'une femme plus âgée Anne-Marie Stretter. C'est cette même superbe Anne-Marie Stretter que l'on retrouve dans le vice-consul. Duras a trouvé son modèle en une femme, Elizabeth Striedter, rencontrée dans sa jeunesse à Vinh Long, réputée parce que son amant s'était suicidé pour elle. Elle portait sur elle la marque mystérieuse de cet événement qui a bouleversé Marguerite Duras à l'époque.
Et puis ces interviews sont complétées par un essai de Marie-Magdeleine Lessana, psychanalyste. Elle fait une sorte d'autopsie des textes qu'elle trouve précieux notamment parce que Duras parle avec lucidité, habitée par la justesse de son écriture. On retrouve dans les deux romans un enfant qui ne vivra pas en écho à la perte d'un fils à la naissance. Les analyses de Marie-Magdeleine Lessana sont parfois complexes mais toujours passionnantes. Elle évoque par exemple pour Lol V Stein que "l'État subjectif du ravissement semble décrire, avec lucidité, une pointe extrême de l'oubli de soi." En ce sens elle apporte des éclairages nouveaux qui ne sont pas contenus dans les romans.