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Anne Capuron (Traducteur)
EAN : 9782847894936
122 pages
Delcourt (25/08/2004)
3.89/5   36 notes
Résumé :
Dans Oliver Twist, le héros qui donne son titre au livre le plus connu de Charles Dickens est recueilli par un certain Fagin, juif de son état. Ce dernier, présenté par Dickens comme le stéréotype du Juif exploiteur et avare, ne fait que passer dans le roman. Eisner imagine et décrit son histoire, faite de misère, de racisme et de désillusion…
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Dans la carrière de l'auteur, ce récit complet s'insère entre Mon dernier jour au Vietnam (2000) et La Valse des alliances (2003). La première édition de 2003, écrite, dessinée et encrée par Will Eisner. Ce tome comporte 118 pages de bande dessinée. Il s'ouvre avec une introduction de 2 pages, rédigée par Will Eisner en 2003, revenant sur le personnage d'Ebony (un enfant aidant parfois The Spirit dans ses enquêtes), sur le principe des stéréotypes visuels, et sur la responsabilité de l'auteur dans l'utilisation de ces stéréotypes. Il conclut en indiquant que cette bande dessinée raconte l'histoire de Fagin le juif, et pas celle d'Oliver Twist. le tome se termine avec une postface de 3 pages également rédigée par Eisner, agrémentée de 2 autres pages reproduisant des gravures d'époque représentant des individus ou des personnages juifs, réalisées par Henry Wigstead (datant de 1785), Thomas de Rowlandson (1808), George Cruikshank (1837), et de gravures anonymes.

Un gentleman bien habillé se tient devant un homme âgé en haillons, assis par terre dans une cellule : Fagin raconte son histoire personnelle à Charles Dickens, tout ce que l'écrivain a omis de mentionner. Il précise qu'il s'appelle Moses Fagin et que ses parents se prénommaient Abraham et Rachel. Ils venaient de Bohème dont ils furent chassés avec les autres juifs. Ils parvinrent à Londres où ils s'établirent dans cette société qui ne discriminaient pas les juifs légalement, ni ne les persécutait. La société anglaise avait déjà accueilli des juifs séfarades, en provenance d'Espagne et du Portugal, qui s'étaient bien intégrés. Les juifs provenant de l'Europe Centrale (Allemagne, Pologne) étaient appelés ashkénazes et considérés comme faisant partie d'une classe inférieure. Leur vie n'était pas simple, mais meilleure que celle qu'ils avaient connue dans leur pays d'origine. Abraham Fagin enseigna l'art de la rue à son fils : comment piéger les gogos. Pour Fagin, vint le temps de la préparation de sa bar-mitsvah, des études chez le rabbin. Il refusait de se résigner à une vie de pauvre mendiant. Un jour son père l'emmène voir un match de boxe : Mendoza (un grand boxeur juif) contre Joe Ward (un gentil). Au bout de 26 rounds, Mendoza sort vainqueur.

Abraham Fagin emmène son fils à l'entrée d'une taverne où il va aller récupérer les gains de son pari. Il pénètre seul car ce n'est pas un endroit pour les enfants, demande ses gains au bookmaker, et se fait rouer de coups par lui et ses copains, juste parce qu'il est juif. Il est jeté hors de l'établissement, et rend son dernier soupir sur le pavé humide, ayant chuté sur la tête. Moses Fajin continue d'exercer ses talents dans la rue, pour subvenir aux besoins de sa mère. Un jour, il rentre chez lui avec ce qu'il a réussi à chaparder pour y trouver le rabbin qui l'attend à côté du lit de mort de sa mère. le rabbin réussit à placer Moses chez Eleazer Salomon, un très riche marchand. Eleazer Salomon s'occupe également du fonds ashkénaze pour les bonnes oeuvres, sollicitant les juifs séfarades pour faire des dons afin de construire une école juive dans les quartiers pauvres, avec pour objectif d'améliorer ainsi l'image et la réputation des juifs ashkénazes. C'est ainsi qu'un jour Moses Fajin accompagne Salomon solliciter le soutien de Benjamin Disraeli (futur premier ministre). Moses Fagin obtient la permission de fréquenter une école. À 17 ans, il va travailler comme homme à tout faire dans l'école ashkénaze nouvellement ouverte. Mais il se fait mettre à la porte à la suite de sa relation avec la fille du propriétaire.

L'introduction est claire : Will Eisner s'est fixé comme objectif de raconter l'histoire de Moses Fagin, l'un des personnages du roman Oliver Twist de Charles Dickens (19812-1870). Effectivement, c'était souvent sa manière de procéder pour réaliser un récit complet : se fixer un défi. Il explique que lui-même s'est rendu coupable de perpétuer un stéréotype visuel avec le jeune garçon Ebony, reproduisant des éléments caricaturaux, considérés comme banals à l'époque. Ce défi signifie deux choses pour l'intrigue : (1) l'auteur va développer des passages de la vie de Fagin qui n'étaient pas abordés dans le roman, (2) il doit se raccorder au roman. Cette deuxième conséquence en induit une autre : aboutir à un récit intelligible, y compris pour ceux qui n'ont pas lu le roman, et cohérent avec le roman pour ceux qui l'ont lu. Tel que le décrit Dickens, Fagin est individu méprisable, un voleur qui embrigade des enfants pour les dévoyer, qui les exploite, et qui en plus s'acharne sur le gentil Oliver Twist. En outre, le romancier le désigne plus souvent par le terme le juif (sans son nom), que par Fagin, ou le vieil homme, ce qui lui valut des accusations d'antisémitisme, y compris de son vivant. du coup, la première page de la bande dessinée montre Fagin s'adressant au romancier pour lui raconter sa vie et mettre ses actions en perspective.

Les 52 premières pages de la BD sont consacrées à raconter la vie de Fagin avant qu'il ne rencontre Oliver Twist, avant que Jack Dawkins ne recrute Oliver en page 68. Comme il a déjà pu le faire dans d'autres de ses romans graphiques, Will Eisner commence par évoquer le contexte historique plus large du peuple juif. Ici, il s'agit des vagues d'émigration de l'Europe vers l'Angleterre. Effectivement, il fait en sorte de ne pas évoquer un peuple juif générique, et explique qu'il y avait différentes couches sociales en fonction du pays d'origine. Pour ces deux pages, il recourt à une construction de page particulière : une illustration de la largeur de la page en haut, une en bas et un paragraphe de texte au milieu, pour évoquer des faits historiques. Il utilise ces courts paragraphes de texte (2 ou 3 phrases) à d'autres moments dans le récit, soit pour une ellipse temporelle, soit donner accès aux flux de pensée de Fagin, toujours avec cette élégante police de caractère manuscrite. Durant ces 52 pages, le lecteur suit Fagin dans son enfance : la pauvreté de ses parents, le chapardage et le vol comme seul moyen de subsistance, le placement, les coups du sort, les brimades, la colonie pénitentiaire. Will Eisner réalise des dessins en noir & blanc avec une touche de lavis gris. Il détoure les personnages et les éléments de décors par un trait noir précis, un peu plus raide qu'à son habitude. Plus encore qu'à son habitude, il utilise exclusivement des cases sans bordures, donnant une sensation de plus d'espace et d'une plus grande fluidité de lecture.

Par contraste avec la majeure partie de ses oeuvres, Will Eisner utilise moins la pantomime, privilégiant une narration visuelle plus classique. Les protagonistes présentent tous une forte personnalité visuelle, premier rôle comme figurants, avec des visages expressifs et des postures naturalistes. Il représente les décors plus dans le détail que dans certaines autres de ses oeuvres, afin que sa reconstitution historique soit consistante. le lecteur passe ainsi des taudis des quartiers miséreux de Londres à la demeure richement meublée d'un marchand de premier plan, en passant par les mines, le logement pouilleux de Fagin, les rues animées de Londres, une taverne populaire, et bien sûr la cellule en prison. le lecteur peut aussi prendre le temps de détailler les costumes d'époque, ainsi que les accessoires : la reconstitution historique est de qualité, sans verser dans la parodie misérabiliste. Les acteurs insufflent une vraie vie aux personnages, ainsi que des émotions très humaines, sans les surjouer. le visage de Moses Fagin n'a plus les caractéristiques d'un individu ayant émigré du bassin méditerranéen, mais celle d'un individu ayant émigré de l'Europe Centrale.

Arrivé à la page 53, le point focal du récit se déplace donc vers Oliver Twist, pour que le lecteur qui ne connait pas le roman puisse continuer à comprendre les événements survenant dans la vie de Fagin. Ce dernier n'apparaît donc pas pendant 14 pages d'affilée. L'exercice narratif devient alors très contraint pour Will Eisner qui doit dispenser les informations indispensables à la compréhension des péripéties du roman, donner à voir le comportement ignoble de Fagin conformément au roman, et lui insuffler un supplément d'âme en réorientant quelques jugements de valeur portés par Charles Dickens dans son oeuvre. À partir de là, le lecteur peut trouver qu'Oliver Twist se montre un peu envahissant en tant que personnage, aux dépens de celui qui donne son nom au titre de cette bande dessinée. Il constate également que Will Eisner parvient à conserver l'émotion du roman intacte, malgré les raccourcis nécessaires pour ne pas transformer sa BD en une adaptation. En ayant donné à voir l'enfance de Fagin au début, l'auteur a réussi à en faire un être humain à part entière, existant aux yeux du lecteur pour lui-même, et non comme version dérivée d'un roman célèbre. du coup, quand l'histoire de Fagin rejoint celle d'Oliver Twist, le lecteur continue à le percevoir comme cet individu à l'enfance maltraitée, ayant grandi en devant faire avec les injustices et la maltraitance des adultes, et de certains de ses compagnons d'infortune. Cela n'excuse pas ses choix de vie, ou sa façon de profiter des enfants. Cela montre en revanche que sa vie a été façonnée par l'histoire du peuple juif à cette période de l'Histoire, par les conditions économiques régnant à Londres et la place réservée aux juifs ashkénazes, par une société de classe inégalitaire (mais effectivement moins pire que celle des pays qu'ils ont fuis). Moses Fagin est bel et bien sorti des stéréotypes utilisés comme raccourcis pour s'incarner en tant qu'être humain complexe. Will Eisner n'en fait pas un héros, ne cherche pas à diminuer ses fautes, mais Moses Fagin n'est plus l'incarnation de l'acharnement méchant.

En considérant ce récit comme une histoire autonome, le lecteur peut trouver que la narration visuelle de Will Eisner se trouve trop contrainte par la volonté romanesque, et qu'Oliver Twist prend une importance trop grande dans la deuxième moitié de l'histoire. Mais, en fait, cette bande dessinée ne peut pas être seulement considérée comme une histoire indépendante. Il s'agit bien de l'histoire de Moses Fagin, personnage issu du roman Oliver Twist, et l'intention de l'auteur est de l'humaniser. Il l'humanise non pas en l'absolvant de ses exactions en tant que victime d'un système : il l'humanise en montrant un parcours de vie majoritairement imposé par des circonstances indépendantes de la volonté de Fagin. de ce point de vue, le récit devient cohérent et entièrement convaincant, montrant un individu complexe, et plus un stéréotype prêt à l'emploi dépourvu de substance.
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Will Eisner, auteur américain, est convaincu que les auteurs ont leur rôle dans l'élaboration des préjugés et des stéréotypes. Ainsi Charles Dickens a participé à l'image qu'avait la société des juifs. Une image construite par son roman Oliver Twist où apparait Fagin le juif, receleur menteur et avide d'argent. Une image que l'on sait mise en avant par les nazis...
Eh bien Will Eisner a décidé de redorer le blason de ce Fagin le juif, d'en faire un personnage plus nuancé et moins stéréotypé.
L'histoire reprend donc globalement celle d'Oliver Twist mais l'on commence bien avant. Les parents de Fagin, immigrés, ne trouvent à Londres que misère et pour survivre se réduisent à la mendicité et aux menus larcins. Fagin va enchainer les malheurs et les déconvenues qui fera de lui l'homme que l'on verra dans Oliver Twist.
Cela part de très bons sentiments, et revenir sur un méchant d'un roman hyper connu n'est pas mauvaise. Mais je trouve que tout au long de la bande dessinée, nous survolons trop les choses. L'auteur n'arrive pas à nous faire rentrer dans une vraie histoire et du coup l'intérêt n'est pas si grand. C'est vraiment dommage car même s'il rend un coté plus humain à Fagin le juif, on aurait pu d'avantage s'attacher à lui et au récit de sa vie.

Le dessin est tout en nuance de gris. Des jolies petites vignettes toutes en légèreté. Les traits sont semi réalistes avec un coté un peu humoristique parfois.
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Je commence à découvrir le travail de Will Eisner, auteur encensé outre Atlantique, et je dois dire que j'aime bien son travail. Dans ce nouvel opus, Eisner s'attaque à nouveau à l'image que la communauté juive renvoie, et plus particulièrement avec le personnage de Fagin le juif, dans Oliver Twist. Pour ma part je n'ai jamais lu le livre de Dickens, mais j'en connaissais vaguement les grandes lignes, et de toute façon ça n'est pas nécessaire pour lire cette BD. Et tant mieux !

L'originalité du propos est de souligner la raison qui pousse Dickens à mentionner perpétuellement Fagin comme juif avant tout. Et en s'attachant à montrer la communauté juive ashkénaze (et non séfarade) telle qu'elle était dans cette période de révolution industrielle. La représentation des quartiers pauvres, de la misère crasse et du quotidien de ces personnes permet de mieux appréhender pourquoi le terme juif était à l'époque si connoté, et surtout si mal connoté.
J'ai beaucoup aimé la façon dont Eisner montre que les bonnes volontés ne suffisent pas. Sans aller à dire qu'il fait de la sociologie, il s'attache à montrer que Fagin ne fut jamais un mauvais homme, mais un homme qu'on obligea à être mauvais. Mal traité, jamais considéré, jamais aidé, il se réfugia dans la seule chose qu'il connaissait : les bas-fond d'une ville en pleine croissance. Sa vie est à l'opposée de celle d'Oliver Twist : rien ne viendra le sauver comme le Deus Ex Machina tant attendu (le collier que portait Oliver Twist dans son cas) et il mourra dans la même misère que celle où il vécut. C'est une part de réalité bien sombre, malheureusement bien trop courante à cette époque (et pas forcément moins courante à la nôtre) et qui permet d'expliquer que tout ceci n'est en rien dû à sa religion, mais à la société qui existait. Et le message est sacrément louable, surtout lorsque Fagin interagit avec Dickens.

Niveau dessin, je trouve encore que Eisner a un style très "souple" dans les corps, comme si tout bougeait en permanence. C'est assez étrange à mon goût, comme certains vieux Disney où les postures et les corps sont très mobiles, de toute part. Mais ce n'est pas dérangeant, et le trait supporte très bien l'histoire. Les détails sont parfois un peu confus, cela dit.

Ce que j'ai bien aimé, c'est que cette histoire a un message important, aussi bien pour l'auteur que pour nous, et rappelle que si nous stigmatisons une partie de la population derrière un terme, il est peut-être bon de se pencher sur les raisons qui ont amené ce terme à coller à eux. Aujourd'hui, il est mal vu de parler en mauvais termes des juifs, mais remplaçons Fagin le juif par Mohammed le beur et nous aurons une histoire tout aussi actuelle. Une belle façon de permettre aux lecteurs de réfléchir au sens des stéréotypes dans les ouvrages de fiction, et également de comprendre pourquoi la lutte contre eux est importante.
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Eisner revisite dans cet album l'oeuvre de Charles Dickens (Oliver Twist) en réhabilitant le personnage de Moses Fagin.
Magistral !
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Encore une fois, Will Eisner me surprend véritablement. C'était une tâche bien audacieuse que de réécrire sa version d'une oeuvre de la littérature anglaise aussi connue qu'Oliver Twist.

Personnellement, je ne savais pas que Fagin était d'origine juive et que cette oeuvre avait galvanisé un sentiment stigmatisant cette population déjà bien martyrisée par L Histoire: Will Eisner apporte toujours un éclairage très instructif. C'est comme si l'auteur avait voulu réhabiliter ce personnage bien méchant dans la version d'origine.

L'exercice de style était difficile et c'est pourtant un pari réussi. L'auteur parvient à nous surprendre. Il va plus loin que le stéréotype classique en expliquant le pourquoi des choses et comment le destin d'un homme peut basculer pour presque rien.

Oeuvre qui prouve qu'en BD, on peut mêler à la fois la rigueur, l'exigence et l'imagination. Une incontestable réussite !

Note Dessin: 4/5 - Note Scénario: 4/5 - Note Globale: 4/5
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
-Alors, jeune homme, as-tu décidé quelle était la meilleure religion? Le judaïsme ou le christianisme?
-Eh bien, monsieur, il me semble que toutes les religions se valent pour un misérable dans le besoin!
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Je suis Fagin, membre d'une race noble bien que dispersée ! Les juifs qui survivent, souvent contraints par les circonstances, dans des tanières immondes et confinées, et la misère et la crasse, dans la nuit londonienne ne sont pas devenus voleurs par choix !
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Je me sens juif quand on persécute les juifs.
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