La Trilogie Lloyd Hopkins, le Quatuor de Los Angeles, La Trilogie
Underworld USA, autant d'oeuvres qui, en une vingtaine d'années, ont définitivement assis le Dog parmi les plus grands auteurs de roman noir. Mais depuis 2009,
James Ellroy n'avait plus écrit avec autant de talent, de l'aveu même de l'auteur qui juge assez sévèrement ses deux dernières productions avant
Perfidia, à savoir
la Malédiction Hilliker et
Extorsion parues en 2011 et 2014.
Avec
Perfidia, le chien fou californien remontre les dents et retrouve l'inspiration rageuse et mordante qui lui avait quelque peu fait défaut ces dernières années. Avec
Perfidia, il annonce la mise en chantier du Second Quatuor de Los Angeles, préquel du premier. Il y remonte donc le temps. Alors que les quatre romans sur la Cité des Anges constituaient une fresque puissante pleine des relents frelatés de la violence, du vice et de la corruption qui entachaient la ville entre 1947 et 1958, le Second Quatuor nous plonge dans le Los Angeles de la deuxième guerre mondiale.
Perfidia débute le 6 décembre 1941, à la veille de l'attaque surprise de la flotte US stationnée à Pearl Harbor par l'aviation nippone. A partir de cette base historique sur laquelle il développe une enquête autour de l'assassinat d'une famille japonaise, membre de la cinquième colonne, sous couvert d'un rituel seppuku,
Ellroy aborde le thème de l'internement massif et abusif des centaines de milliers de japonais et d'américains originaires de l'empire du soleil levant dans les camps de concentration, dans un climat de guerre hystérique déclenchant une vague de paranoïa et de racisme peu reluisante de l'histoire américaine. Il redonne vie aux personnages emblématiques de la première tétralogie, rajeunis de quelques années, Kay Lake, la "petite de Sioux Falls" qui entretient une relation complexe avec le flic Lee Blanchard, l'ignoble sergent Dudley Smith, irlandais catholique qui tue comme il respire, le boxeur Bucky Bleichert et épaissit des personnages de second plan dans le quartet initial comme Hidéo Ashida, le nisei, jeune chimiste de talent du département médico-légal du LAPD et homosexuel refoulé ou encore le capitaine William "Whiskey Bill" Parker, l'autre catholique du roman, luttant contre la corruption et les Rouges, et avec l'aide de sa foi en Dieu contre son alcoolisme chronique. Celui qui se revendique réactionnaire et conservateur considère, malgré la complexité de ses personnages, qu'il y a néanmoins des bons et des méchants parmi ses anti-héros. Dans la seconde catégorie, on peut classer facilement Dudley Smith, dangereux ripou férocement intelligent, les eugénistes Lin Chung et Ace Kwan et plus généralement ceux que l'auteur décrit comme des "putains de communistes" et des "putains de fascistes". Dans la première catégorie, on y range Kay Lake, Ashida et Parker mais il ne faut pas se leurrer, ces trois là n'en présentent pas moins des personnalités ambigües, ambivalentes que le système peut pervertir à la moindre occasion.
Le romancier nous entraîne dans une tension narrative qui reprend le style littéraire qui est sa marque de fabrique, fait de phrases concises et directes. il y mélange allègrement, personnages de fiction et personnages réels, comme Parker qui a été chef du LAPD durant 16 ans à partir de 1950, l'actrice
Bette Davis, les gangsters Bugsy Siegel et Mickey Cohen ou encore le tout puissant patron du FBI,
J. Edgar Hoover, réalité historique et fiction romanesque où il retrouve ses thèmes de prédilection, le racisme, l'homophobie, la corruption, le sexe, la trahison, le chantage, le crime et la collusion dans la ville de son enfance, lieu de débauche et de dépravation qui ne cesse de le fasciner.
En plus de 900 pages, l'écrivain provoc qui défend tout au long des ses interviews les valeurs de l'Amérique blanche et profonde se montre aussi le disciple de
Dashiell Hammett, militant de gauche et chantre du roman noir à fibre sociale en exposant dans un procès féroce la nature réelle d'un pays cupide et pourri jusqu'à la moelle.