Confronté à une longue nuit d'insomnie, Franz Ritter musicologue autrichien, qui vient d'apprendre sa maladie, dont on ne saura rien, essaye en vain de trouver le sommeil. Très vite ses souvenirs se télescopent et ils nous transportent d'heures en heures - elles constituent les chapitres du livre - vers cet Orient qui le fascine....Orient qui fascine aussi l'homme Mathias Enard, maitrisant l'arabe et le persan
Souvenirs qui arrivent en vrac, un souvenir en fait remonter un autre, un auteur est évoqué...il a écrit sur l'Orient...mais un autre arrive, puis un musicien...on passe d'une époque à l'autre en quelque lignes d'une référence à l'autre....On part de Vienne pour aller en Chine après avoir traversé l'Iran, la Syrie, l'Afghanistan, l'Egypte, le désert ...multiples retours en arrière, allers retours dans l'espace et le temps.... pas toujours facile à suivre....
Souvenirs qui ont pour fil conducteur l'amour de Franz pour Sarah, qui vient de présenter sa thèse, au début du livre, Sarah avec laquelle il a connu le désert Syrien, au cours d'une nuit : "Sarah s’était roulée en boule contre moi, le dos près de mon ventre...;" Sarah....qu'il a connue, aimée, qui l'a quitté, avec laquelle il communique toujours, qu'il souhaite retrouver, à laquelle il pense toujours...n'est-elle pas, un peu,la figure de cet Orient qui le fascine
Impossible de mémoriser toutes les références littéraires, musicales, historiques ou géographiques évoquées par Franz Ritter, par Mathias Enard au cours de cette insomnie... Admiration pour cette somme de connaissances, de références de toute nature
Roman...oui par certains cotés....les voyages, l'amour pour Sarah...la présence de personnages imaginaires confronté à des situations ou des personnages historiques avérés. Mais n'y cherchez pas une chronologie...à vous de la reconstituer
Thèse littéraire... certainement pas, elle serait rejetée par les examinateurs "Votre travail ne comporte pas de plan...".
Un livre original dans sa construction, dans sa structure et sa trame, riche en informations et en références...c'est sans doute ce que le jury du Goncourt a souhaité reconnaitre
Il m'a accompagné dans mes insomnies matinales...celles au cours desquelles on se lève, parce que tout se mélange dans la tête...
L'Orient nous a donné "les Milles et une Nuits, Mathias Enard nous donne une nuit sur l'Orient. N'est-ce pas un clin d'oeil de Mathias Enard dans la construction de Boussole?
On ne peut qu'admirer son érudition, même si indubitablement il a été aidé dans cette recherche - Cf.remerciements en fin d'ouvrage.
Il a su nous transporter, à partir d'une trame originale, une nuit d'insomnie, grâce à son écriture ses longues phrases, ses mots recherchés. Dictionnaire indispensable.
Il a su aussi aujourd'hui où, Orient et Occident s'opposent dans des conflits religieux et culturels, montrer que ces deux cultures sont étroitement liées et interdépendantes.
Plusieurs boussoles nous guident au cours de cette lecture, dont celle de Beethowen; celle que je préfère c'est celle de Sarah : "Je me suis réfugiée ici, dans le Bouddha, dans le dharma, dans la sangha. Je vais suivre la direction que marquent ces trois boussoles. Je me sens un peu consolée je découvre en moi et autour de moi une énergie nouvelle, une force qui ne demande en rien que j'abdique ma raison, bien au contraire. Ce qui compte c'est l'expérience....c'est difficile à partager. Imagine que je me lève à l'aube avec plaisir, que j'écoute et étudie des textes très anciens et très sages qui me dévoilent le monde bien plus naturellement que ce que j'ai pu lire ou entendre jusqu'à présent. Leur vérité s'impose très rationnellement. il n'ya rien à croire. Il n'est pas question de "foi". Il n'y a plus que les êtres perdus dans la souffrance, il n'y a plus que la conscience très simple et très complexe d'un monde où tout est lié, un monde sans substance.J'aimerais te faire découvrir tout cela, mais je sais que chacun fait son chemin pour lui-même, ou pas."(P. 356-7)
J'ai eu parfois envie de le jeter, de le refermer et de dire comme Sarah...:"Franz tu me soûles. C'est incroyable. Tu parles sans interruption depuis deux kilomètres. Mon dieu, ce que tu peux être bavard.!" et puis une petite voix m'a dit de persévérer...et je ne le regrette pas. Je viens de faire un beau voyage.
D'autres y verront de l'ennui...mais chacun fera sa propre lecture
Lien :
http://mesbelleslectures.com..