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sur 1488 notes
Beaucoup de livres ont été écrits sur la Deuxième guerre mondiale, sur la Résistance, sur l'Holocauste, etc. Mais qu'en est-il des civils allemands qui n'ont pas sombré dans le nazisme, qui ont vécu sous le joug d'un régime fasciste autoritaire pendant plusieurs années ? Ils ne font pas plus pitié que les autres mais ils méritent qu'on s'attarde sur eux également. Pourtant, j'ai lu très peu d'ouvrages qui en faisaient état. Peu ont été écrits ? Peu ont été traduits en français ? À moins qu'ils n'aient pas traversé l'océan… Hans Fallada s'y est attelé et son oeuvre-phare Seul dans Berlin est un parfait exemple, d'autant plus que la narration se promène entre plusieurs personnages, donnant ainsi plusieurs points de vue.

Mai 1940. Tout commence à Berlin dans un immeuble modeste de la rue Jablonski. La vieille juive Rosenthal, dont le mari a été déporté, attend vainement son retour. Et dire que, pendant si longtemps, ils ont fait crédit à leurs concitoyens… Maintenant, elle se terre. Des voisins convoitent ses biens : Enno Kluge, un bon à rien incapable de tenir un emploi, et Emil Barkhausen, magouilleur, veulent s'introduire dans son appartement en pleine nuit et le vider. Eva Kluge, à l'opposé de son mari, joint à peine les deux bouts grâce à son emploi de factrice. Malheureusement, ses pensées sont tournées vers ses fils qui ont intégré l'armée et adhéré à l'idéologie nazie. Elle ne les reconnait plus. Lasse de cette vie de misère, elle lorgne du côté de la campagne… le vieux Persicke fait le fier mais il passe ses journées la bouteille à la main, terrorisé par son fils SS. En bas, le juge Fromm à la retraite voit tout et se désole. Enfin, il y a Otto Quangel, un menuisier contremaître, et son Anna. Leur fils unique vient de mourir en héros lors de la campagne de France. Pauvre Trude, sa jeune fiancée…

À travers leur destin, c'est celui du petit peuple berlinois, allemand, que l'on découvre. La vie rêvée que leur a fait miroiter le fuhrer n'est pas au rendez-vous. Plutôt, le désenchantement et la misère sont au rendez-vous. Ce ne sont pas des héros (à moins qu'on ne considère qu'ils soient les héros de leur propre histoire), on peut s'identifier à eux. Néanmoins, les Quangel décident de prendre les choses en main et de révéler à la face du monde le mensonge : la guerre ne fait que couter la vie à la jeunesse allemande. Ainsi, ils écrivent des tracts, au rythme de deux par semaine, et les déposent discrètement à gauche et à droite. J'ai trouvé poignant ce couple âgé, que j'imagine approchant la retraite, ayant perdu leur fils, n'ayant plus rien à perdre, mais persistant. Eux, si petits face à la machine de propagande nazie et tous les moyens dont elle dispose. Ce n'est rien de moins qu'un acte de résistance.

Les années passent. 1941, 1942… La police recherche activement l'auteur des tracts. Les déboires des inspecteurs, dont Escherich, sont intéressants aussi. Déterminé à trouver un coupable, n'importe lequel, pourvu que quelqu'un soit accusé et que l'honneur soit sauf. Après tout, des aveux mêmes inventés sont mieux que rien… Tant pis pour ceux qui devront écoper. Une preuve de plus de l'horreur de ce régime, permettant de constater que les Allemands n'étaient pas si libres. Il fallait obéir, démontrer son patriotisme. Rien ne doit arrêter la marche du Reich.

À partir de ce moment, Seul dans Berlin tourne essentiellement autour des tracts et de l'enquête, l'intrigue alternant entre les locataires de l'immeuble Jablonski et les inspecteurs. Plus on avance dans la lecture, plus le travail de ces derniers prend de l'importance. J'aurai aimé en apprendre un peu plus sur les conditions de vie sous le régime nazi. Par la bande, bien sur, on y a droit. Entre autres, les tentatives d'Enno Kluge de trouver une femme pour s'occuper de lui donnent un aperçu sur le quotidien des Berlinois en cette époque troublée en plus d'offrir l'excellent portrait d'un profiteur. Après tout, il faut bien sourire un peu.

Bref, Seul dans Berlin est un hommage aux hommes et aux femmes qui ont lutté, à leur manière, contre la tyrannie de leur propre gouvernement.
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Fresque sociale à Berlin dans les années 40 tout à fait passionnante et prenante.
Je ne m'attendais absolument pas à ce type de roman, je m'étais imaginée un livre noir sombre, presque un récit, il n'en est rien. Si le climat est bien sûr sombre, puisque la période le veut, la façon dont est écrit ce roman ressemble presque par moment à du théâtre. Tout le monde soupçonne tout le monde, si ce n'était pas aussi dangereux, cela en serait presque comique.
Les Quangel, couple vivant dans l'immeuble, qui est un peu notre point de référence de lieu dans ce livre, décide de faire acte de résistance. Leur action semble dérisoire, insignifiante mais on va voir qu'elle est à l'origine d'un tumulte conséquent. "tout le monde avait quelque chose à cacher à cette époque"
Ainsi, ce qui peut paraître un acte dérisoire et en fait, d'une part un véritable acte de résistance et d'autre part un acte de courage important lorsque l'on se rappelle le contexte de délation, de peur, de surveillance, de méfiance de suspicion à chaque coin de rue.
Le couple Quangel entre donc bel et bien en résistance et leur acte, si petit soit il, va être un souffle de liberté pour eux qui refusent de suivre aveuglément sans rien dire le régime nazi.
le ton change à partir de la troisième partie, il devient plus tragique, le devenir des Quangel fait froid dans le dos et la désillusion de Otto Quangel est bouleversante.
L'enquête de la Gestapo fait sourire de par leur bêtise et leur incompétence mais leur bassesse, leur lâcheté et leur cruauté nous glaçent.

Ce livre majeur fait réfléchir une fois de plus sur ce qui s'est passé, et sur ce qu'il faut surtout éviter...
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Une fois n'est pas coutume , je vais tenter de dire quelques mots d'un livre qui a fait l'objet de nombreuses critiques . C'est un coup de coeur , un livre très fort qui permet de se rendre compte qu'au sein de la pire des dictatures armées d'une police politique ne reculant devant aucun moyen , des individus peuvent devenir conscients et se transformer en grains de sable dans le rouage de la machine à broyer . Cette conscience les rend libres même si l'on peut au final juger que leur action à bien peu changé le cours des choses . Tout comme le célèbre épigramme contre Staline d'Ossip Mandelstam , les actes de désobéissance civile , les pétitions de plus en plus nombreuses contre l'injustice et l'autoritarisme , ce livre ne s'oubliera pas de sitôt dans la tête de ceux qui l'auront lu . L'exemple d'un(e) qui dit non porte à réflexion , éveille un regain de conscience et au hasard de la vie , changer l'attitude moutonnière en démarche de refus . Si vous avez aimé ce livre , recommandez-le à d'autres .
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C'est la chronique d'un immeuble situé à Berlin dans les années 40.
C'est la chronique de petites gens habitant cet immeuble. Tous à un niveau différent ont fait allégeance au régime Nazi.
C'est une photo d'une part de la population allemande, celle qui en silence ne s'est pas opposée aux Nazis, car la Gestapo règne en maître absolu, propageant la peur, la violence, recherchant les dénonciations.
Otto et Anna Quangel apprennent la mort de leur fils unique tué au front.
A l'étage vit une ancienne commerçante juive à qui le régime à tout enlevé ; d'abord ses fils heureusement à l'abri aux USA, puis son commerce et enfin son époux emprisonné dont elle n'a aucune nouvelle.
Il y a le juge, homme solitaire, silencieux, pensionné ou plutôt probablement pensionné par sa hiérarchie pour non allégeance au pouvoir en place.
On retrouve la famille de nazillons, le père alcoolique et les 3 fils, paradant en uniforme, boxant qui se trouve sur leur route, dénonçant à tour de bras, voleurs.
Et puis, il y a les petits voyous, sans le sous, prêts à tout pour manger.
Otto et Anna rendent Hitler responsable de la mort de leur fils. Ils vont, pendant des semaines, écrire des cartes postales dénonçant le dictateur. Chaque dimanche, ils en déposeront une, parfois deux, dans des bâtiments servant de bureau dans l'espoir de réveiller leurs concitoyens. Ils déposeront prêt de 300 cartes, seront arrêtes, torturés et guillotinés.
La commerçante juive se suicidera lors d'un interrogatoire dans son appartement.
Le juge tentera discrètement de diminuer les souffrances d'Otto et Anna.
Les nazillons mourront à la guerre.
On ne sort pas indemne d'une telle lecture.
J'ai mis longtemps à écrire cette « critique », elle ne me satisfait pas, j'ai mis sur papier quelques phrases que j'espère simples et claires, pour donner envie de découvrir ces personnes qui sont à l'image d'un monde qui pourrait malheureusement renaître
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On connait l'horreur et l'angoisse suscitées par le régime nazi dans les pays attaqués dans les années 40 mais l'on ne sait pas toujours celles que le peuple allemand a vécues. Ce livre nous fait découvrir, à travers le quotidien des habitants d'un petit immeuble, cette vie contrainte par la peur, la suspicion, la surveillance constante qui a fait résonner en moi cette phrase d'Asli Erdogan « le silence même n'est plus à toi » car sous cette terreur même penser devient dangereux. Cette dure réalité révèle au fils du temps la part d'ombre ou de lumière de chacun et il serait certainement difficile de savoir quelle nature de nous-mêmes serait mise à jours dans de telles conditions. Espérons d'ailleurs ne jamais le savoir bien qu'actuellement et malheureusement certains peuples en font la triste expérience Un livre vraiment essentiel dont la quatrième de couverture résume bien le propos et que je vous invite à découvrir.
« Mai 1940, on fête à Berlin la campagne de France. La ferveur nazie est au plus haut. Derrière la façade triomphale du Reich se cache un monde de misère et de terreur. Seul dans Berlin raconte le quotidien d'un immeuble modeste de la rue Jablonski, à Berlin. Persécuteurs et persécutés y cohabitent. C'est Mme Rosenthal, juive, dénoncée et pillée par ses voisins. C'est Baldur Persicke, jeune recrue des SS qui terrorise sa famille. Ce sont les Quangel, désespérés d'avoir perdu leur fils au front, qui inondent la ville de tracts contre Hitler et déjouent la Gestapo avant de connaître une terrifiante descente aux enfers.
De Seul dans Berlin, Primo Levi disait dans Conversations avec Ferdinando Camon, qu'il était "l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie". Aucun roman n'a jamais décrit d'aussi près les conditions réelles de survie des citoyens allemands, juifs ou non, sous le IIIe Reich, avec un tel réalisme et une telle sincérité. »
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Comment se fait-il que je ne sois arrivée que par mes propres moyens vers « Seul dans Berlin », un livre écrit et publié juste après la guerre avec un immense succès? Comment se fait-il que je n'en ai pas entendu parler pendant ma vie scolaire, qui abordait pourtant déjà il y a trente ans la deuxième guerre mondiale et la question allemande sous l'angle de l'entente entre les peuples et la réconciliation, alors que ce livre contribue à le faire bien mieux que n'importe quel manuel d'histoire ?
Le fait qu'il n'ait été publié en version intégrale que très récemment (2011 je crois) donne une partie de la réponse et éclaire ce rapport particulier que nous avons en France avec l'Histoire « récente ».

Peu m'importe finalement, je suis très heureuse d'avoir découvert et lu ce témoignage à chaud de la société berlinoise en guerre, de 1940 à 1942. de cette vision en miroir de la société française de l'époque, si similaire au fond, mais plus crue, encore plus violente, encore plus mue par la peur et encore plus livrée aux forces les plus obscures, car plus près du coeur de l'abjection.

J'ai d'abord eu du mal à entrer dans l'histoire, gênée par le style au raz d'un réel mesquin de petites gens, qui très banals, qui absolument ignobles, là où je m'attendais à un thriller grandiose mâtiné de scènes historiques mettant en scène l'hitlerisme au plus haut niveau de l'Etat, accompagnée de grandes envolées sur la Résistance au Mal.

Rien de tout cela dans ce livre, et c'est ce qui fait sa force car ce n'est que par la petite porte de l'Histoire que Fallada a choisi de nous faire entrevoir la grande :
Au fil des pages et de la tension dramatique dans laquelle elles nous entraînent, la force des personnages transparait de leur quotidien, et l'addiction à l'histoire se produit d'elle-même : les nantis qui consentent par intérêt, les pleutres, les misérables profiteurs, les brutes naturelles que ce système exhalent… et les résistants, incarnés par le couple Quangel, dont le destin tragique m'a ému à un point qui ne doit pas qu'à la colère sous-jacente dans les mots de Fallada, mais aussi aux personnages emblématiques et lumineux d'espoir dont il a pris soin d'émailler son récit : un juge, un pasteur, un instituteur…
Des figures qui sont là à la fois pour ne pas oublier que ce livre a été écrit dans le jus et l'urgence de l'époque, que ces figures sont essentielles, et qu'à ce titre « Seul dans Berlin » est un livre majeur.
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Il est des ouvrages qui ont la capacité de vous immerger totalement dans un univers, de vous proposer un éclairage pertinent et juste. « Seul dans Berlin » en fait indéniablement partie. Une vertigineuse plongée au coeur de l'Allemagne nazie à son apogée, ou la vie quotidienne est marquée par une allégeance, forcée ou non, au régime totalitaire en place.

Nous sommes rue Jablonski, dans un petit immeuble, quatre familles y vivent, chacune à leur manière, avec leurs idées, leur vision d'une tragédie qui est en train de se jouer sous leurs yeux, mais toutes vivent dans la peur et la soumission, même si elles n'en ont pas conscience. C'est dans cette ambiance délétère que la famille Quangel va recevoir comme un coup de massue sur la tête l'annonce du décès de leur fils au front. Une prise de conscience de l'absurdité de la guerre, une prise de conscience de l'ignominie du régime en place, d'abord induite par le sentiment de peine énorme causé par la mort d'un enfant, puis, petit à petit, par le constat d'une vie quotidienne devenue hideuse. La naissance d'un sentiment de révolte, un besoin irrépressible de dénoncer de quelque manière que ce soit. Bien sûr les Quangel ne vont pas devenir les « super résistants » qu'on pourrait croiser dans un film à succès, mais ils vont le faire à leur manière, avec leur moyens, avec le peu de place que le régime pouvait laisser aux gens. Ce sont des petites cartes dénonçant Hitler et le régime qui seront disséminées un peu partout dans Berlin. Bien évidemment, cela n'aura aucune incidence sur le cour de l'histoire, la Gestapo se chargera de faire disparaitre les cartes et leurs auteurs, comme pour rétablir une apparence qu'on souhaite à tout prix préserver.

On suivra ici la vie ordinaire de gens ordinaires plongés dans un univers de haine et de délation, un superbe éclairage pour tenter de répondre à la sempiternelle question : « mais pourquoi n'ont-ils rien fait ? ». Primo Levi disait que « seul dans Berlin » est l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie, c'est pour moi une nouvelle leçon de vie, un ouvrage magnifique.
Lien : http://testivore.com/seul-da..
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Je ressors de cette lecture en ayant changé, en ayant mieux compris certaines choses, c'est beau ce que peut faire la littérature, la belle littérature.
Nous sommes à Berlin sous le régime nazie, l'auteur nous emmène plus particulièrement rue Jablonski dans un immeuble où peuvent cohabiter toutes sortes de personnes, Mme Rosenthal juive qui attend prostrée le retour de son mari, elle est pillé par la famille Persicke dont le fils Baldur est une recrue des SS, il y a aussi le conseiller Fromm qui aide les persécutés, mais c'est surtout l'histoire de la famille Quangel, Otto est contremaître dans une menuiserie, Anna s'occupe de son foyer et le fils est parti à la guerre, ils vont combattre à leur façon mais je vous laisse le découvrir.
L'auteur nous fait suivre le quotidien difficile de chaque famille, il n'était pas bon de ne pas adhérer au parti sans risquer le camp de concentration, toute la terreur, la lâcheté, les ambitions de chacun, la brutalité, mais aussi le courage, l'aide de voisins parfois, l'envie d'agir enfin de résister à ce régime totalitaire, tout est très bien décrit, construit dans ce roman.
Un roman vrai qui nous fait découvrir la guerre, les résistants au régime du côté allemand, un roman réaliste une très belle découverte littéraire.
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« Là vous ne verrez rien. Tout est en ordre M. Bouillard. Tout est normal. Rien de particulier. On nous avait dit qu'Hitler tiendrait trois mois, six mois au maximum. Il a tenu, tout nettoyé ! Regardez les rues M. Bouillard, nos rues sont les plus propres d'Europe. Plus de musiciens, de syndicalistes, d'avocats, d'opposants. Tout est net. » Ces phrases dites par Anna Hellwig dans « la Passante du Sans-Souci » me sont venues à l'esprit lors de la fin de la lecture de « Seul dans Berlin ». A cet instant où Mme Anna Hellwig dit ces mots à Maurice Bouillard - négociant en champagne français, faisant affaire avec tout le monde - elle doit effectivement se sentir bien seule ; Femme de maître Hellwig, avocat juif berlinois à qui Maurice Bouillard demande à parler, elle lui montre l'urne qu'elle vient de recevoir et dit « Allez-y. Parlez ! Maître Hellwig est là, c'est tout ce qu'il en reste. Allez-y parlez lui ! » Bouillard la prend pour une folle comme il aurait pris pour des fous le couple Quangel. Car faut-il être fou pour se lancer, seuls dans cette distribution dérisoire et pourtant si nécessaire de tracts anti-Hitler.
Dans un Berlin qui sombre inexorablement quelques femmes et quelques hommes décident de résister. Par idéologie politique, religieuse, ou simplement par une conviction profonde qui ne fait appel à aucune idéologie particulière. Hans Fallada avec toujours cette justesse de ton et sans fioritures ni pathos nous raconte cette histoire magnifique et désespérée, par moment teintée d'humour et souvent monstrueuse.
Au lendemain de la guerre, Fallada, sur la demande du poète et écrivain Becher, et après une certaine réticence, écrit « Seul dans Berlin » inspiré de l'histoire du couple Hampel. En fait Becher lui a demandé d'écrire un livre sur la résistance allemande sous le régime nazi. Fallada écrira très vite, peut-être, inconsciemment sent-il la camarde se rapprocher de lui. Il mourra effectivement avant la publication de son livre. Ce qui permettra de l'éditer de façon expurgée pour ne pas heurter « certaines susceptibilités ». Rendons grâce aux éditeurs allemands d'avoir retrouvé du bon sens (même très tardivement) et de l'avoir rééditer en version non censurée.
Comme toujours chez Fallada, il y a la science des dialogues, de l'intrigue, le contexte historique, social et son humanité cabossée qui le rend si proche de ses personnages qu'il peut tous les faire vivre avec une égale authenticité.
En lisant Seul dans Berlin je pensais à un autre livre « Lti, la langue du IIIème Reich » de Victor Klemperer. Ce philologue dans sa description du quotidien et de la « manipulation » de la langue montre le lent processus de nazification de toute une population de la naissance à la mort. Comment résister alors ? Lorsque les mots sont détournés ou qu ils sont interdits ? Lorsque votre vie personnelle est codifiée jusqu'à la naissance de vos enfants pour sublimer et servir le IIIe Reich ? Je ne suis pas là pour parler du livre de Klemperer mais les deux offrent des passerelles de lecture.
Le roman commence en 1940, certains fêtent la victoire de l'Allemagne sur la France, d'autres se taisent, d'autres se cachent, d'autres ont déjà disparus dans tous les sens du terme. Dans une atmosphère ou l'étau de la délation, de l'intimidation, de la suspicion, de la terreur, de la propagande grandit de plus en plus que peut faire ce peuple ? S'épier ? Se dénoncer ? Faire comme si de rien n'était ? Que tout était normal ? Faire comme si le cours de la vie coulait sans chaos ? La vie d'Otto et Anna Quangel se déroulent dans un quotidien morne et gris ; Ils sont ouvriers, ils habitent un quartier populaire de Berlin ; Leur fils unique est à la guerre ; Anna a sa carte du parti comme tant d'autres ; Otto ne l'a pas mais c'est un pingre. Mais quelque chose grippe quelque part, dans un coin de leur cerveau, dans leur inconscient. Mais quoi ? La mort de leur fils au front est le déclencheur d'un processus irréversible : résister à un régime mortifère, ou personne ne semble à l'abri, ou personne ne semble ne pouvoir en réchapper. Otto, personnage peu aimable, avare, solitaire décide soudain d'affirmer son opposition à ce qui ce passe dans son pays. Même sa femme, Anna, au début se moque de lui. Que va-t-il faire, lui ? L'obscur tâcheron avec ses cartes postales ? Pourtant, elle le suit, elle participe. Embarqués tout les deux dans un bateau ivre qui court à sa perte. Ces cartes postales qu'ils disséminent dans Berlin au hasard paraissent tellement insignifiantes. Dessus des phrases simples, courtes mais qui disent toutes qu'Hitler est un imposteur, quelqu'un qui va détruire l'Allemagne, qu'il ne faut pas le laisser faire.
Hans Fallada nous fait participer à l'enquête menée par l'inspecteur Escherich mandaté par la SS pour retrouver ces traitres à la cause. Mais qui sont-ils ? Une organisation politique ? Syndicale ? de dangereux Rouges ? Comment pourrait-on soupçonner ce vieux grincheux et sa femme si terne. Personne en tout cas ne les soupçonne au 55 rue Jablonski. Dans cet immeuble populaire, où résident les Quangel, Hans Fallada nous présente les habitants ; Dans ces appartements il y a ceux qui se terrent, ceux qui continuent leur quotidien « en attendant que ça passe », ceux qui fanfaronnent car ils sont des membres actifs du parti nazi et sûr de monter en grade, ceux certains de leur puissance car il sont dans la SS, ceux qui traficotent, etc.
Hans Fallada nous dépeint une vie de ruelles, d'arrière-cours, de cafés, de petits commerces, d'usine ; Tout un monde populaire brossé d'une lumière dure, crue et parfois impitoyable. Un monde qui a peur : de son voisin, son collègue de travail, son client dans les échoppes et les bistrots, du passant dans la rue, même parfois de ses amis et sa famille. Toutes et tous ont peur de finir à la prison de Moabit, peur du camp de concentration, peur de la prison de Plötzensee. La peur gouverne tout le monde, on la dissimule, on la cherche chez les autres, les mouchards, les dénonciateurs en font commerce, les nazis en font leur force de frappe même si, comme le pense Otto Quangel eux aussi ont peur ; peut-être peur qu'un jour ce monde qu'ils ont forgé les engloutisse ?
Qui a lu « le Buveur » retrouve cette belle plume alerte, efficace dans la dramaturgie, les dialogues, l'art de décrire des scènes amples ou intimistes, le brassage de plusieurs personnages avec une clarté à les faire vivre sans écraser le propos principal. Fallada inscrit parfois, dans une même scène, la tragédie et la bouffonnerie. Jamais dans la réflexion intérieure des protagonistes, dans les voix multiples qui jalonnent cette histoire, dans la marche de chacun vers son destin, jamais Fallada ne perd le fil du coeur central de l'intrigue : la traque des Quangel.
Hans Fallada sans fioritures, sans détours, sans complaisance, de façon franche, brute, presque sèche parfois nous fait entendre un grand cri de désespoir et en même temps un grand cri d'espérance.
Je dois aussi parler d'un aperçu d'une réalité historique qui en 1946 n'a pas encore révélé toute son ampleur et parfois mettra longtemps à le faire. L'Histoire dans la fiction. En petites touches, parfois en quelques phrases, sans les nommer Hans Fallada parle des Einsatzgruppen, de l‘Aktion T4, du Volksgerichtshof.
Les Quangel, couple sans envergure, obstinément, accomplissent ce qu‘ils nomment “leur devoir“. Otto Quangel le dit lui-même, un jour ils seront pris au piège et il sera trop tard. C‘est une chose dont il est sûr. le pire est encore à venir. Mais Otto Quangel, pour peut-être la première fois de sa vie, se sent infiniment libre.


* dialogues de Jacques Kirsner pour La passante du Sans-Souci
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Il était sur mes listes depuis un bon moment déjà mais, comme c'est un bon gros pavé de 700 pages, je trainais les pieds pour me lancer dans sa lecture. Quelle erreur ! Ce gros roman non seulement se lit sans difficulté mais en plus c'est un magnifique roman, de ceux qui sont sur ma liste, livres à offrir .

Berlin pendant la seconde guerre mondiale racontée de "dedans", du côté allemand, du côté des civils qui essaient de survivre.

Un immeuble, des locataires, une vieille femme juive, un juge, un couple et quelques familles, les uns et les autres vont révéler des traits, des facettes de leur caractère en ces temps de guerre et de propagande. Tout ça n'est pas très beau, c'est même souvent glauque car finalement les grandes envolées en faveur du führer sont peau de balle et le vrai moteur est le plus souvent l'envie, la jalousie, la paresse...

Rien de très glorieux ne pousse ces hommes dans les bras de qui leur permettra d'utiliser leur voisin, aucune honte à dénoncer, tuer, piller, pour une bouteille de schnaps ou des cigarettes.

On évolue dans une petit milieu, des ouvriers , des bras cassés et ce n'est pas brillant. La vénalité les pousse à toutes les compromissions, toutes les lâchetés, tous les abus pour quelques marks. On comprend bien que la vie est difficile mais on voit aussi combien une partie de ces personnages étaient ainsi avant, la situation leur permet juste de donner libre cours à leurs tendances.

La terreur règne à tous les niveaux, ne rien dire, ne rien voir, ne pas contrarier les supérieurs et même celui qui a un peu de pouvoir peut se retrouver renversé et en salle de la torture en moins de temps qu'il ne faut pour le dire!

Peu d'espoir dans toute cette noirceur mais quel espoir pouvait-on avoir dans ces années monstrueuses et j'imagine que les premières années de paix n'ont guère été plus réjouissantes...

Un roman qui nous dévoile une partie de l'Allemagne nazie et comment la machine terrorisante réduit à rien l'être humain.
Lien : http://theetlivres.eklablog...
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