C'est une famille de Gitans installée illégalement dans un jardin potager à l'est de la ville, regroupée autour d'Angéline, la matriarche. le dénuement est leur lot quotidien. Grand-parent, parents, enfants, tous sont analphabètes. Un beau jour, une femme arrive dans le campement : Esther, bibliothécaire gadjé, se propose de lire des livres aux enfants. Les mots du mercredi parviennent peu à peu à soulager les maux…
J'ai découvert ce livre lors d'un club de lecteurs et ce fut pour moi un véritable coup de coeur. Les personnages, hauts en couleur, sont très attachants. L'auteur nous les présente dans toutes leurs dimensions humaines, notamment leurs fragilités. C'est ainsi que nous faisons la connaissance d'Angéline la matriarche qui a perdu tout attrait physique, mais dont la personnalité reste attirante : elle montre un amour maternel sans borne pour ses fils et une certaine jalousie pour ses belles-filles. L'auteur décrit Simon, le fils aliéné ou encore Angelo, le Gitan amoureux d'une gadjé.
Les dialogues sont nombreux mais ils ne sont pas présentés selon la mise en page habituelle : ici, les échanges sont inscrits à la suite, au fil du texte, sans retour à la ligne ni tiret pour figurer chaque tirade. Cette présentation est assez spéciale mais ne complique pas la lecture, chacun des protagonistes étant bien marqué, comme dans l'extrait suivant :
J'ai rien et je veux rien, je demande plus. Ses joues luisaient tellement qu'on aurait pu les croire mouillées. On a toujours envie de quelque chose, dit Esther émue. Angéline secoua la tête : Non. Esther dit : Vous n'avez envie de rien ? L'autre secouait toujours la tête et cela ne ressemblait qu'à la vérité : ce qui se perdait dans la misère c'était aussi le désir et l'élan vers l'avenir. (p. 216)
En somme, le dénuement amène à un repli sur soi et oblitère la dimension du projet, la capacité à se projeter dans l'avenir, à s'inscrire comme un sujet désirant. Mais cela n'empêche pas l'espoir, notamment celui de la vie :
Milena, Misia, Nadia. Les trois belles-soeurs étaient enceintes. […]
Elles sont trois fruits du printemps, une réponse au sort contraire, à la folie, aux amours malheureuses, à la mort, une audace et une grâce.
p. 280-282.
L'espoir vient aussi d'Esther qui apporte les mots et le savoir et parvient même à faire scolariser une enfant. Cela n'est d'ailleurs pas sans poser problème à l'enfant mais aussi aux parents et aux autres enfants.
Alice Ferney explore, outre les conditions de vie ou de survie des Gitans, la dimension de l'analphabétisme, de la scolarisation, de la médiation d'une gadjé qui ouvre les enfants à l'univers des mots, du savoir, du plaisir de lire. Les ouvrages qu'Esther lit aux enfants sont issus du patrimoine littéraire, tels ces contes de
Hans Christian Andersen (
La Petite Sirène, La Princesse et le petit pois, …) ou les fables de Jean de la Fontaine (Le Loup et l'Agneau, le Savetier et le Financier) ou «
le Petit Prince » d'Antoine de
Saint Exupéry.
D'un bout à l'autre, j'ai été captivée par ce roman qui sait camper une atmosphère, amener des changements plus ou moins importants chez les personnages, qui prend le temps de conter la vie quotidienne du camp. Il évolue selon un rythme lent, expose des tensions dramatiques, mais l'espoir reste toujours présent. Les sentiments des protagonistes sont exposés sans mièvrerie, la vie des Gitans est décrite sans larmoiement, avec une volonté de réalisme.
Je conseille vivement ce livre qu'on parcourt d'une traite sans se lasser. Un message d'une lucidité terrifiante sur les conditions de vie des Gitans mais qui sait maintenir une flamme d'espérance.