Grâce et Dénuement est le roman qui m'a permis d'entrer dans l'univers de son auteure,
Alice Ferney. C'est sans doute celui qui m'a le plus ému à ce jour... Je le trouve magnifique, empli d'humanité et de poésie.
C'est un roman publié il y a quelques années. Sans doute, d'une certaine manière, par les mots et la façon de les dire, est-il actuel, plus que jamais...
Au bord de nos villes, il y a des caravanes parqués parfois de travers dans des endroits qui semblent clos, parfois c'est un terrain vague ou abandonné, des morceaux de ferraille autour d'elles jonchent le sol où courent des enfants aux visages et aux cheveux sales, criant à tue-tête, parfois pieds nus.
Alice Ferney nous invite à visiter un camp de gitans et les conditions difficiles dans lesquelles vivent leurs occupants et en particulier les enfants. Parfois il n'y a ni eau ni électricité.
Esther, ancienne infirmière reconvertie en bibliothécaire est éprise d'une idée merveilleuse, un désir presque incroyable mais que ne devrait pour autant pas surprendre, celui d'initier par elle-même, à la lecture, des enfants de gens du voyage privés de scolarité.
Comment parler de deux mondes qui cohabitent à proximité, dans une incompréhension souvent totale et réciproque ? Ces deux mondes seront-ils un jour réconciliables ?
Alice Ferney parvient avec beaucoup de justesse, de pudeur, de compassion aussi, à nous dépeindre une réalité que l'on peine parfois à accepter de voir. Elle dépeint ce qui est, ce qu'elle voit, ce qui parfois est insurmontable, elle le fait sans jugement.
C'est ainsi qu'elle parvient à entrer dans ce monde fermé, avec ses codes, ses règles, elle apprend à connaître les familles, une famille en particulier où règne une veuve et ses cinq fils, c'est presque un clan en soi, mais surtout il y a des enfants illettrés, non scolarisés, libres si l'on veut, toujours dehors qu'importe les saisons, le temps qu'il fait, il peut pleuvoir, il peut venter, les enfants peuvent courir pieds nus dans la gadoue, ils sont libres c'est vrai... Esther s'en émeut, Esther s'en indigne, l'indignation est souvent un premier geste, un premier geste vers une autre liberté, celle d'apprendre.
Quand Esther franchit les portes de ce camp de gitans, elle n'a pas encore franchi toutes les frontières pour parvenir jusqu'au coeur de ses enfants. Il y a les rebuffades, les moqueries, la méfiance d'un monde qui lui est tout d'abord hostile... Mais c'est une hostilité où les enfants sont les premières victimes, parce que les obstacles sont multiples pour les amener à être scolarisés.
Mais à force de ténacité, Esther poursuit obstinément son désir. L'apprentissage est un chemin, il suffit de poser un mot, puis deux, puis trois,
les autres viennent après. Des pas se déroulent, ce sont des histoires qu'on raconte à des enfants ahuris en se promenant sur les pages d'un livre, des rêves qu'on imagine, un doigt se promène attentif, court sur une phrase pour rattraper une image, un paysage, un oiseau, rejoindre le bord d'un monde insoupçonné.
J'ai été touché par le parcours d'Esther passant d'infirmière à bibliothécaire, continuant d'une autre manière à apporter le soin, seul l'outil change... Ici c'est le livre...
C'est aussi un livre peuplé de belles voix intérieures, celles qu'on n'entend si peu souvent,
Alice Ferney nous invite à tendre nos visages vers ces voix qu'elle jette dans son écriture poétique comme des constellations. Elle nous invite à lever les yeux, faire ce pas de côté nécessaire, le temps d'un livre qu'il ne faut surtout pas refermer comme une porte...