"Judith dont on ne connaît encore que l'écorce, qui ne se connaît pas, qui nage dans le mystère du monde, un mystère géant et gris comme une cathédrale, ou bien mouvant, drôle et coloré comme des dessins animés mélangés dans toutes les langues, tchèque, égyptien, malgache, basque, coréen, et Betty Boop qui valse avec le professeur Nimbus au trentième étage d'un immeuble tout en verre, et les baleines qui accouchent, la fumée folle de ces millions de cigarettes sur la planète."
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Travellings" est le dernier roman de la grande
Brigitte Fontaine, qu'on ne présente plus. Chanteuse, écrivain, dramaturge, romancière, poète et haut perchée, elle signe ici un livre inclassable, que j'ai du même lire deux fois pour en percevoir les détails tellement le rythme est rapide et l'histoire foisonnante.
Pour les non-initiés aux techniques cinématographiques, le travelling est le déplacement de la caméra pendant la prise de vue, l'objectif étant de suivre au plus près un objet ou un individu en mouvement.
En sachant ça, l'appréhension du livre de
Brigitte Fontaine est plus facile.
Dès les premières pages on est plongés dans l'univers en fusion de Judith, Juju, jeune femme unique en son genre.
Judith aime comme elle déteste, vit comme elle ressent, s'enfuit comme elle s'exprime: vite, fort, très fort. Ses émotions ne sont pas les nôtres, elle vit tout 10 fois plus profondément, Judith est à fleur de peau, à fleur de nerfs, elle se jette sur les gens, se blottit contre eux et s'enfuit de suite, effrayée qu'elle est de perdre sa liberté.
Judith ne se comprend pas, ne comprend pas pourquoi elle réagit ainsi, elle a parfois des regains de lucidité, elle écrit des lettres en Toscane comme on jetterait des bouteilles à la mer. Elle veut tout tout de suite mais ne veut rien finalement, Judith vit, rencontre, profite, aime, rigole, pleure, voyage, se perd dans des mondes artificiels. Judith est certainement un peu folle aussi, schizophrène, pourquoi pas...
Et autour de Judith, il y a Enzo et Juan. Ses doubles. Touchés, imprimés, gravés de la présence de Judith dans leur vie, qu'elle fut éphémère ou plus longue, Enzo et Juan luttent pour récupérer Judith et surtout ramener son esprit auprès d'eux.
Vraie héroïne d'Almodovar, Judith va traverser les routes d'Espagne comme on traverse une vie, faisant de chaque rencontre une leçon et une expérience.
Judith est exténuante à suivre mais la première impression que j'ai eu en refermant ce livre, c'est une impression de vie, de vie bouillonnante.
C'est un livre qui nous emporte dans un univers parallèle qui s'intègre pourtant parfaitement dans le nôtre, c'est une vie qui nous parait dingue mais sincèrement, j'aimerais vivre au moins 1 journée de la vie de Judith, pour voir, pour avoir les sens en fusion, pour sentir mon coeur exploser et mon cerveau s'abandonner à la folie sans être retenu par des considérations matérielles. Sincèrement.