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EAN : 9782600305297
392 pages
Droz (01/01/2004)
4/5   1 notes
Résumé :
Proposer un essai de génétique théâtrale appliqué à Corneille, et non une «poétique de Corneille» ou une «esthétique de la tragédie cornélienne », c'est tenter de mettre au jour la démarche créatrice du dramaturge, dans son mouvement particulier (comment s'élabore une tragédie), comme dans son mouvement général (comment se construit une poétique tragique).Produire un essai de génétique théâtrale signifie aussi qu'en l'absence de brouillons, il a fallu forger une mét... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le livre se donne comme objectif de mettre en évidence la façon dont Corneille concevait ses oeuvres. En contextualisant son travail dans son époque, la façon dont on percevait ce qu'est une tragédie et une comédie de son temps, les règles propres aux genres, et à l'écriture en général, et comment Corneille spécifiquement, avec son génie particulier et sa personnalité, s'est approprié ou a contourné ces règles, pour créer ses propres pièces. En essayant de trouver les présupposés et les méthodes de fabrication. Il faut dire qu'en plus des oeuvres de fiction, Corneille a produit beaucoup de textes théoriques sur le théâtre, et il a aussi fait des commentaires détaillés sur ses pièces, du point de vue techniques pourraient-on dire.

Le livre est long et dense, je ne vais pas en faire un compte rendu exhaustif. Quelques idées ont plus particulièrement retenu mon attention.

Corneille aurait bâti ses pièces en accordant une importance primordiale à la structure de l'action. le reste serait une sorte d'habillage, effectué dans un deuxième temps. Empruntant à Aristote l'idée que l'action principale d'une pièce doit avoir un commencement, un milieu et une fin, il en serait venu progressivement à choisir des sujets assez simples, parfois il serait parti d'une fin, et aurait imaginé ce qui précède. Par exemple dans Cinna, Corneille s'inspire d'une source historique, un récit de Sénèque, qui raconte qu'Auguste ayant reçu un avertissement sur la conjuration fomentée par Cinna, a fait acte de clémence et lui pardonna. A partir de cette mince trame, qui constitue la fin de sa pièce, il a construit le reste. le début étant la conspiration, le milieu la trahison de Maxime, et la fin le pardon d'Auguste. A partir de là, il imagine pourquoi Cinna complote (son amour pour Emilie), la raison pour laquelle Maxime trahit (rivalité pour l'amour d'Emilie), puis la trame étant fort simple, ajoute des épisodes, des « broderies », pour remplir les cinq actes. Les déchirements amoureux des héros, les questionnements sur la légitimité du pouvoir d'Auguste, le dilemme de Cinna entre le serment fait à Émilie et sa perception d'Auguste comme un souverain légitime, seraient des ornements imaginés dans un second temps pour remplir la trame principale.

Je cite Georges Forestier :
« L'art du théâtre selon Corneille ? un art du recouvrement de la matrice par les épisodes ; ou comment construire, à partir d'une action issue d'un sujet, une intrigue »

Corneille utilise le terme de broderie pour tout ce qui n'est pas l'organisation du sujet, celui-ci étant la base principale sur laquelle s'appuie une pièce de théâtre.

Aux ressorts canoniques de la tragédie, inspirés des Anciens, la terreur et la pitié, Corneille a rajouté progressivement l'admiration, que le spectateur est amenée à éprouver pour le héros principal de la tragédie. Pour que cette admiration puisse exister, le héros doit être « innocent », avoir les mains pures. Horace ne correspondait pas à ce schéma (meurtrier de sa soeur), et cette pièce ne satisfaisait pas Corneille rétrospectivement aussi à cause de cela. Ses héros dans ses pièces postérieures ne commettront plus ce genre d'actes. Ils seront pourtant souvent placés dans des situations terribles, car les ressorts principaux des pièces de Corneille reposent de préférence sur « les conflits au sein des alliances » : ce sont les proches, les parents, les gens pour qui on devrait éprouver de l'amour, du respect, de la confiance, qui se révèlent menaçants et dangereux. Corneille a trouvé cette formulation chez Aristote. Ses héros sont placés dans une situation pitoyable caractérisée par un dilemme absolu (le fameux dilemme cornélien), ce qui créé la situation typique de la tragédie (plus que « la crainte de perdre une maîtresse »). Par exemple, les deux jumeaux royaux de Rodegune (la pièce préférée de Corneille) se voient proposer par leur terrible mère la couronne à celui des deux qui tuera la femme qu'ils aiment tous les deux. Et celle-ci s'offre elle-même à celui qui tuera cette mère effroyable. En plus de la terreur et de la pitié qu'une telle situation provoque chez le spectateur, il faut qu'il éprouve de l'admiration. Antiochus, l'un des jumeaux, après l'assassinat de son frère, dont il ignore si c'est la main de sa mère ou de sa bien aimée qui l'a provoqué, n'envisage à aucun moment le meurtre de l'une des deux femmes. Il préfère mourir assassiné lui aussi, plutôt que de devenir le meurtrier de l'une des deux. Les circonstances feront que la meurtrière boira le poison à sa place, mais ce n'est pas lui qui a provoqué cette mort de part un acte de volonté. L'admiration du spectateur est censée donc venir souvent, non pas de ce que le héros fait, mais de ce qu'il se refuse à faire. le Cid, héros de tragi-comédie, acteur de son devenir, est remplacé progressivement par un héros empêché, qui n'agit pas, d'où vient sa grandeur. Mais ces personnages n'en sont pas moins héroïques, plus douloureux, plus tourmentés, toujours prêts à donner leur vie pour ce à quoi ils croient.

L'importance de la construction, de la trame, fait que Corneille accorde une grande importance aux retournements, à la surprise qu'ils peuvent provoquer chez le spectateur. Il remet également en cause la notion de vraisemblance, telle que l'ont défini les théoriciens de son époque. Ces derniers considèrent que les comportements inhabituels, qui sortent de la norme, ne sont pas vraisemblables pour le spectateur. Ainsi Chimène a été condamnée, car une fille n'épouse pas le meurtrier de son père, « dans la vraie vie ». Or Corneille s'est inspiré d'un fait réel, la « vraie » Chimène a bien épousé le « vrai » Rodrigue. Mais cela n'est pas suffisant pour les théoriciens, un événement, même avéré, s'il est « invraisemblable » ne doit pas figurer dans une tragédie car il empêche le spectateur de croire à ce qu'il voit.

Or les effets de surprise, de choc, étant une des composantes essentielle dans la conception de la tragédie de Corneille, il n'y renoncera pas. Mais il va le justifier, en s'inspirant de personnages mythiques ou réels, connus des spectateurs, ou dont il peuvent vérifier les agissements, en expliquant que l'existence vraie de ces faits les rend vraisemblables pour le spectateur. Corneille, auteur historique, utilise l'histoire pour pouvoir raconter des histoires qui sortent des normes, qui mettent en scène des actions d'exception, avec une charge émotionnelle forte, qui vont provoquer la terreur, la pitié et l'admiration.

Une lecture très stimulante et passionnante. Même si comme toutes les approches de Corneille, elle ne peut en faire le tour. Essayer de comprendre comment Corneille a conçu ses pièces permet certes d'en avoir une vision plus riche, plus complète. Mais ce que le spectateur voit, ce qui le touche, le fait réagir, réfléchir, ce n'est pas forcément la structure, mais plutôt ces fameuses broderies. Dans La place royale, une comédie extraordinaire parce que les personnages principaux ne se marient pas, savoir que c'est ce dénouement qui a provoqué la construction du personnage d'Alildor, que Corneille est allé cherché à droite et à gauche des éléments pour fignoler son jeune premier extravaguant ne change rien au fait que c'est cette personnalité qui fait l'intérêt principal de la pièce. Je ne tiens pas particulièrement à qu'on parle de comédie de caractère, et pourtant c'est cela qui donne le prix à la pièce, qui interroge, qui donne lieu à des interprétations. Des interprétations qui dépendent de l'époque à laquelle elles ont été faites, aujourd'hui on utilisera sans doute le terme de pervers narcissique, mais à la limite peu importe qu'elle ne soient ni définitives, ni même scientifiques. le seul fait qu'elles soient si nombreuses montre à quel point ce personnage interpelle, effleure quelque chose de fort et de véridique, sur lequel on essai de mettre des mots en fonction du contexte dans lequel on se situe.

De même les aspects politiques des pièces de Corneille peuvent avoir été écrites dans un deuxième ou troisième temps pour remplir les cinq actes canoniques dans des pièces à la trame d'origine légère, comme Cinna. Mais là aussi, ils ont apporté, apportent, et apporteront aux spectateurs des raisons de réagir, de réfléchir, de penser. Différentes suivant les époques, la vision du monde, mais leur richesse et complexité font qu'elles sont une composante essentielle des pièces. Ces mêmes structures, remplies avec un contenu moins dense, moins inspiré, des broderies plus ternes, plus banales, n'intéresseraient plus grand monde aujourd'hui, comme une grande partie des pièces, y compris celles qui ont eu le plus de succès, du XVIIe siècle.

Donc même si tous ces aspects viennent en second, que Corneille leur accordait moins d'importance, quelque part le génie de ses pièces se trouve là en grande partie. C'est cela qui fait sens pour le lecteur, pour le spectateur.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
...1639 ....La Mesnardière.....excluant tout ce qui dans l'action, l'attitude et les paroles des personnages, ne correspond pas à ce qu'ils sont :

"Pour la propriété des Moeurs, le poète doit considérer qu'il ne faut jamais introduire sans nécessité absolue ni une Fille vaillante, ni une Femme savante, ni un Valet judicieux. Car encore que ces parties se rencontrent quelquefois en ce sexe, et dans ce métier, il est néanmoins véritable qu'il y a peu de Saphos, encore aussi peu d'Amazones, et fort peu de sages valets ; et qu'ainsi de mettre au théâtre ces trois espèces de personnes avec ces conditions, c'est choquer directement la vraisemblance ordinaire."
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C'est encore de la dignité de la réponse que peut apporter un héros (c'est à dire un Homme) à une situation impossible qu'il est question.
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Vidéo de Georges Forestier
Rencontre proposée par Yves le Pestipon. Jean Racine, Lettre à La Fontaine, 11novembre 1661, de «De Lyon» à la fin.
On lit, on joue, on voit, on étudie beaucoup les tragédies de Racine. On a raison, mais on oublie parfois qu'il eut une vie, des amis, et qu'il écrivit des lettres. Ce qui nous reste de sa correspondance occupe presque tout un volume de la Pléiade. C'est passionnant, et c'est admirablement écrit. Parmi ces lettres, celle qu'il écrivit d'Uzès, le 11novembre1661, vaut par son ton, son humour, ses anecdotes, et son destinataire, le célèbre fabuliste qui ne l'était pas encore. On y découvre des complicités, presque de «loup» à «loup», une pratique de la langue, des styles, et du voyage, qui nous en apprend beaucoup sur le xviiesiècle français, et fait rêver. Très petite bibliographie Racine, Oeuvres complètes, II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard. Georges Forestier, Jean Racine, Gallimard, 2006.
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04/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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